
Pr Jean-Philippe Collet
Paris, France — Un papier « fondateur » : telle est l’expression utilisée par le Pr Jean-Philippe Collet (Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris) pour définir une étude suédoise, publiée dernièrement dans Circulation, qui montre que l’arrêt d’un traitement par aspirine en dehors de situations justifiant cet arrêt (chirurgie ou hémorragie) s’accompagne d’une augmentation d’au moins 30% des infarctus du myocarde, des AVC et des décès cardiovasculaires dans l’année qui suit (voir notre article du 2 octobre) [1].
En soi, le problème de l’effet rebond à l’arrêt d’un traitement par aspirine n’est pas nouveau.
Ce qui est nouveau, c’est que l’on dispose pour la première fois de données exhaustives sur une population, montrant de la manière la plus claire le bénéfice d’une bonne observance de ce traitement peu couteux, et que cette démonstration intervient dans un contexte où il devient également parfaitement clair qu’il y a beaucoup, voire plus à gagner par l’éducation thérapeutique et le bon usage des médicaments, que par le renforcement des prescriptions.
« La médecine entame une révolution copernicienne », estime le Pr Collet. « Les gens prennent conscience des limites de la logique d’accumulation à laquelle pousse le marketing. Ce dont on a besoin, c’est de travailler sur les comportements des patients, et cette étude l’illustre magnifiquement ».
Une étude rigoureuse, des résultats qui font sens
La méthodologie de l’étude suédoise, en premier lieu. Le Pr Collet la qualifie de « très rigoureuse », notamment parce que les arrêts de traitement justifiés, c’est-à-dire liés à des actes invasifs ou à des hémorragies, ont pu être exclus. L’excès d’évènements est donc bien dû à l’arrêt, et non à un contexte stressant entourant celui-ci.
S’agissant des résultats, les suédois constatent pour commencer un taux de 20% d’arrêts de traitement. Cet ordre de grandeur a déjà été signalé, indique le Pr Collet, qui note au passage que « 80-85% d’adhérence au traitement constitue un chiffre très constant ».
Autre aspect intéressant : l’impact de l’arrêt de traitement est très différent selon le contexte, c’est à dire « en prévention secondaire, où la preuve est faite de l’efficacité de l’aspirine, et en prévention primaire, où l’aspirine ne dispose pas d’AMM, faute de d’avoir prouvé son efficacité dans les études randomisées ».
En s’en tenant à la prévention secondaire, donc, les résultats suédois indiquent que pour 36 patients arrêtant l’aspirine (sans justification), on observera 1 évènement CV dans l’année. (En prévention primaire, le ratio est de 1/146).
Par rapport à l’étude COMPASS , présentée voici quelques semaines au dernier congrès de la Société Européenne de Cardiologie (ESC) , l’écart est éloquent.
Chez des patients coronariens stables ou présentant une artériopathie périphérique, l’adjonction de rivaroxaban (Xarelto®, Bayer) au traitement existant, dont l’aspirine, « permet d’éviter un évènement pour un minimum 60-70 patients traités », rappelle le Pr Collet.
En d’autres termes, la santé publique et les dépenses publiques ont plus à gagner à éviter un arrêt de traitement par l’aspirine qu’à ajouter un traitement par rivaroxaban.
On continue à faire plus, ou on commence à faire mieux ?
« Ce qui est important [dans l’étude suédoise], c’est que le résultat va à l’encontre d’une logique industrielle qui rajoute des médicaments sans se préoccuper des comportements des patients », insiste le Pr Collet. « Dans COMPASS, les patients prenaient déjà quatre médicaments en moyenne, et on en a rajouté un alors que le tiers de ces patients continuaient à fumer ».
Et ceci constitue « la culture scientifique dans laquelle nous vivons. Le minimum basique est d’arrêter le tabac et de prendre ses traitements : c’est en somme l’éléphant dans le magasin, et on ne le voit pas. Une logique un peu consumériste continue de prévaloir ».
« On réfléchit peu au fait de bien utiliser les médicaments ; ça ne rapporte pas à court terme ; ça n’est pas porteur. Il y a très peu d’études d’intervention sur les comportements ».
Les choses sont cependant en train de changer : « la médecine entre dans une nouvelle ère », estime le Pr Collet. « La e-médecine, les forums de patients, etc, sont autant d’outils à utiliser pour sensibiliser les gens ».
Dans le cas particulier de l’aspirine, un autre élément va intervenir : « en 2018, plusieurs études importantes sur la prévention du cancer, ou du déclin cognitif, vont être publiées », relève le Pr Collet.
« On va avoir des études avec 15 000 patients et 10 ans de recul. Ces études pourraient montrer un bénéfice de l’aspirine en prévention des cancers, ou du déclin cognitif. Compte-tenu de leur taille, elles pourraient même montrer un bénéfice sur le plan CV. Ces preuves allongeront encore le cahier des charges de l’aspirine, ce qui favorisera probablement l’observance des traitements et l’attention portée à cette observance ».
Le Pr Collet a déclaré des activités avec : Sanofi Aventis (2016), Medtronic (2016), Eli Lilly (2016), Astra-Zeneca (2016), MSD (2016), Bayer Healthcare (2016), Bristol Myers Squibb (2016), Stago (2016), La Fédération Française de Cardiologie (2016), l’ICAN (2016). |
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Citer cet article: Effet rebond à l’arrêt de l’aspirine : les commentaires du Pr JP Collet - Medscape - 5 oct 2017.
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