Paris France – Des chercheurs français ont pu localiser et neutraliser partiellement la zone du cerveau impliquée dans le phénomène des “voix” entendues par les patients schizophrènes.
L’essai contrôlé contre placebo mené sur 59 patients par le Pr Sonia Dollfus et coll. (CHU de Caen, France) a montré que la stimulation transcrânienne (TMS) à haute fréquence de cette zone permettait de faire disparaitre partiellement leurs hallucinations auditives verbales (HAVs).
« Il s’agit du premier essai contrôlé à montrer qu’en ciblant une zone spécifique du cerveau avec la TMS haute fréquence on améliore ces patients », a commenté le Pr Dollfus.
TMS : Application d'un champ magnétique bref, délivré par une antenne externe placée sur la tête, pour stimuler le cortex cérébral superficiel. Nécessite un appareillage important (sur site) et coûteux. Crédit : CHU Caen. |
L’avancée est d’importance puisque 70 % des patients schizophrènes sont victimes de ces voix à un moment ou un autre de la maladie. Ces hallucinations, qui peuvent être très gênantes pour le patient et son entourage, peuvent prendre des formes variables : intérieures, extérieures, amicales, menaçantes, présentes en continu ou occasionnellement…
Les chercheurs insistent toutefois sur le caractère préliminaire de ces résultats.
L’étude a été présentée au congrès de l’ECNP à Paris mardi 5 septembre et sera publiée ultérieurement dans le Schizophrenia Bulletin [1].
Le premier essai contrôlé comparant la TMSr à un placebo dans les HAVs
Dans la schizophrénie, la TMSr (répétitive) basse fréquence a déjà montré une efficacité modérée. Elle est utilisée comme traitement complémentaire - en add on - lors de symptomatologie hallucinatoire auditive handicapante, persistante sous antipsychotique.
En parallèle, des résultats prometteurs ont été publiés avec la TMS haute fréquence et la neuronavigation par TMSr mais aucune étude contrôlée n’avait été menée auparavant.
La nouvelle étude française est le premier essai contrôlé réalisé en double aveugle à évaluer la neuronavigation par TMSr à haute fréquence (20 Hz) dans un endroit précis de la région temporo-pariétale gauche. Cette zone « cible », épicentre du langage, a été identifiée auparavant par les chercheurs dans une étude pilote réalisée en ouvert chez onze patients schizophrènes souffrant d’HAVs.
Le protocole
En pratique, 74 patients schizophrènes ou atteints de troubles schizoïdes (DSM-IV R) ont été inclus dans l’étude. Au final, 59 patients ont été randomisés pour recevoir la neuronavigation par TMSr à haute fréquence (n=26) ou un placebo (n=33). Leur réponse au traitement a été évaluée pendant 4 semaines. Pour chaque patient, la zone cible a été déterminée précisément grâce à un IRM morphologique utilisant un système de neuronavigation. Les impulsions hautes fréquences ont été délivrées au croisement entre la projection de la branche verticale ascendante de la scissure de Sylvius gauche et le sillon temporal supérieur gauche.
Le protocole de haute fréquence (20 Hz) a consisté en 13 trains de 10 secondes avec 200 impulsions pour chaque train. L’intervalle entre les trains était de 50 secondes pour un total de 2600 impulsions et une durée totale de 13 minutes.
En tout, 4 séances de 13 minutes de TMSr ont été réalisées sur deux jours au rythme de 2 sessions par jour.
Les patients ont été évalués au bout de deux semaines à l’aide de l’échelle Auditory Hallucinations Rating Scale (AHRS).
Un bénéfice notable chez plus d’un tiers des patients
Au final, une amélioration significative a été observée chez 34,6 % des patients traités par TMSr vs 9,1 % des patients du groupe placebo (p=0,016). Une réponse significative étant définie comme une baisse d’au moins 30 % du score totale de l’échelle AHRS. La différence est restée significative après ajustement pour différents facteurs de biais (système de neuronavigation, type de TMS, CHU) avec un risque relatif de 5,29 (IC 95 % de 1,26 à 22,25).
Les chercheurs précisent que le pourcentage de répondeurs n’a pas varié entre les deux groupes au cours du temps (J2, J7, J21 ou J30).
En termes de tolérance, les investigateurs rapportent plus d’effets secondaires (pression, douleurs locales, contractions des mâchoires, blépharospasme) pendant la TMSr mais aucun effet secondaire grave n’a été rapport dans les deux groupes.
Une nouvelle option thérapeutique ?
Pour le Pr Sonia Dollfus, « ces résultats indiquent deux choses : l’une est que nous pouvons désormais dire avec un certain degré de certitude que nous avons trouvé une région anatomique spécifique du cerveau associée aux hallucinations auditives verbales chez les schizophrènes. La seconde est que nous avons montré que le traitement par TMSr fait une différence au moins chez certains patients, bien qu’il y ait encore un long chemin à parcourir avant de savoir si la TMSr est la meilleure voie pour traiter ces patients sur le long terme. »
« Ce travail s’ajoute à d’autres qui ont montré le rôle critique d’une suractivité de sous-régions du lobe temporal dans la genèse des hallucinations verbales dans la schizophrénie. Pour espérer aller vers un traitement, les essais comme celui de Dollfus et coll. sont importants. Bien que les taux de réponse soient modérés, la TMS est une option supplémentaire bienvenue dans notre arsenal thérapeutique, en particulier chez les patients non répondeurs », a commenté le Pr Andreas Meyer-Lindenberg (Central Institute of Mental Health, Mannheim et membre du comité exécutif de l’ECNP), dans un communiqué de presse de l’ECNP.
Pour, le Pr Patrice Boyer (Université Paris Diderot; Vice-Président de l’European Brain Council, Paris, France), il faut maintenant chercher à sélectionner les patients qui ont le plus de chance d’être répondeurs à la TMSr. « L'appliquer systématiquement pour un gain de 30% chez le tiers des patients qui ne répondent pas aux traitements classiques est peut-être licite mais un meilleur ciblage serait le bienvenu », a-t-il expliqué à l’édition française de Medscape.
Autres indications de la stimulation transcrânienne en neuropsychiatrie La FDA, aux Etats-Unis, a validé la TMSr comme traitement antidépresseur en monothérapie depuis 2008, après échec d’un seul antidépresseur à posologie et à durée suffisantes à utiliser chez les patients déprimés de plus de 18 ans. En 2014, l’agence américaine a également approuvé le premier dispositif de TMS dans le traitement des douleurs associées aux migraines avec aura. |
L’étude a été financée par le ministère de la santé (PHRC) et le conseil régional de Normandie. Le Pr Patrice Boyer a déclaré les liens d’intérêts financiers suivants : -Exerce (a exercé) les fonctions de conférencier ou de membre d'un bureau de conférenciers pour: European Psychiatric Association et l’Institut Hippocrate. |
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Citer cet article: Hallucinations auditives : la stimulation transcrânienne peut faire taire les voix - Medscape - 8 sept 2017.
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