Los Angeles, Etats-Unis — La chimiothérapie adjuvante du cancer du sein peut induire des neuropathies périphériques qui persistent pendant des années, selon une revue systématique de la littérature publiée dans l’édition en ligne du 24 août du Journal of the National Cancer Institute[1].
Face à ce constat, les auteurs, le Dr Patricia Ganz et coll. (Center for Cancer Prevention and Control Research, Jonsson Comprehensive Cancer Center, UCLA, Los Angeles), se sont interrogés sur la toxicité propre aux différents régimes de chimiothérapie classiquement utilisés.
En pratique, devant le faible nombre d’études réalisées sur le sujet, les chercheurs ont initié un essai randomisé sur plus de 1500 femmes.
Les résultats, publiés dans le même numéro du Journal of the National Cancer Institute, montrent que les femmes qui reçoivent des associations de doxorubicine + docétaxel ou de doxorubicine + cyclophosphamide + docétaxel ont pratiquement deux fois moins de risque de développer une neuropathie périphérique sévère persistante que celles recevant des plus fortes doses cumulées de docétaxel.
Le Dr Ganz appelle donc les cliniciens à prendre en compte cette donnée avant de choisir une thérapeutique.
« Il y a vraiment très peu d’options thérapeutiques pour la neuropathie, et rien qui ait prouvé son efficacité […] Idéalement, il serait mieux de la prévenir en n’administrant pas de chimiothérapie si on en attend qu’un bénéfice minime. Aussi, les taxanes devraient être évitées chez les patientes qui sont à risque élevé de neuropathies persistantes. Au minimum, ces patientes devraient être informées de la probabilité de développer des symptômes sur le long terme », a commenté la chercheuse.
Trop peu de données publiées
Pour étudier l’incidence et la prévalence de la neuropathie périphérique chez les femmes atteintes d’un cancer du sein précoce recevant une chimiothérapie adjuvante et son impact sur la qualité de vie, les chercheurs ont réalisé une revue de la littérature entre 1990 et 2016 (MEDLINE, PubMed, Embase databases, Cochrane Library).
Les investigateurs ont identifiés 364 articles, dont seuls 5 contenaient des données au-delà d’un an après le diagnostic. Au final, ils ont retenu quatre études.
« Le résultat le plus frappant de cette revue est le peu de données qui ont été publiées sur le sujet. Aussi, dans ces études, l’incidence de la neuropathie périphérique allait de 11 % à plus de 80 % après 1 à 3 ans de traitement », a commenté le co-auteur de l’étude, le Dr Joy Melnikow (Center for Healthcare Policy and Research, Université de Californie, Etats-Unis).
Cette grande variabilité s’explique par les différents outils diagnostiques utilisés (6), les différents protocoles d’étude, les différents régimes de chimiothérapie, les différents dosages, le temps de suivi et la façon de mesurer les résultats, selon les auteurs.
Focus sur un vaste essai clinique
Pour y voir plus clair, les chercheurs ont mené un essai clinique randomisé prospectif (National Surgical Adjuvant Breast and Bowel Project Protocol B-30). Les participantes atteintes d’un cancer du sein précoce avec ganglion(s) positif(s) ont été randomisées pour recevoir :
-4 cycles de doxorubicine 60 mg/m2 + cyclophosphamide 600 mg/m2 toutes les 3 semaines, suivi de 4 cycles de docétaxel 100 mg/m2 toutes les 3 semaines (AC→T);
-4 cycles de doxorubicine 60 mg/m2 + cyclophosphamide 600 mg/m2 + docétaxel 60 mg/m 2 toutes les 3 semaines (ACT) ;
ou
-4 cycles de doxorubicine 60 mg/m2 + docétaxel 60 mg/m2 toutes les 3 semaines (AT).
Les caractéristiques démographiques et tumorales des femmes étaient similaires dans les trois groupes.
La qualité de vie a été évaluée à l’entrée dans l’étude, pendant la chimiothérapie et à 6, 12, 18 et 24 mois (Functional Assessment of Cancer Therapy-Breast Trial Outcome Index).
Les symptômes ont été mesurés selon les critères de l’essai Breast Cancer Prevention Trial, et la sévérité de la neuropathie périphérique a été déterminée en fonction de la réponse à la question : « A quel point êtes-vous gêné par les engourdissements et les picotements au niveau des mains et des pieds ? »
Les fortes doses cumulées de docétaxel plus toxiques
Au final, les résultats montrent que les femmes qui reçoivent des associations de doxorubicine + docétaxel (AT) ou de doxorubicine + cyclophosphamide + docétaxel (ACT) ont pratiquement deux fois moins de risque de développer une neuropathie périphérique sévère persistante que celles recevant des doses cumulées plus importantes de docétaxel (AC-T).
Incidence des neuropathies périphériques à T0 et à 2 ans
|
Total |
AC→T |
ACT |
AT |
Neuropathies périphériques à T0 (n=2051) |
18,5% |
15,8% |
20,7% |
19,1% |
Neuropathies à 2 ans (n=1512) |
41,9% (10 % de symptômes sévères) |
49,8% |
35% |
35% |
Aussi, selon une analyse multivariée, les régimes ACT et AT étaient associés à une moindre sévérité des neuropathies périphériques à long terme : RR=0,59 et 0,45, respectivement (p<0,001).
En parallèle, souffrir d’une neuropathie périphérique à l’entrée dans l’étude augmentait le risque de développer des symptômes à long terme (RR=2,67, p<0,001), tout comme l’âge d’au moins 50 ans (p=0,005), le statut ganglionnaire ≥4 (p=0,01), la mastectomie vs tumorectomie (p=0,002) et un IMC≥25 kg/m2 (p<0,001.
Les chercheurs soulignent qu’une neuropathie sévère à long terme était significativement liée à une moindre qualité de vie (p<0,001), avec des scores allant de 57,9 chez les patients très gênés par la neuropathie périphérique à 76,79 chez les patients sans symptômes.
Un appel à l’action
Pour les chercheurs, les patientes qui ont des neuropathies préexistantes ou d’autres facteurs de risque de neuropathie tireraient un avantage à recevoir des chimiothérapies adjuvantes avec des moindres doses de taxanes. Ils soulignent que les différences en termes de survie et de taux de récidive entre les régimes avec des doses plus ou moins importantes de taxanes sont peu importantes.
Le Dr Joy Melnikow indique également que la question des effets secondaires chez les survivants va au-delà des neuropathies périphériques. « Il y a d’autres toxicités qui doivent être prises en compte pour que les femmes fassent un choix éclairé, souligne-t-elle.
Au final, elle qualifie les résultats de ces deux études « d’un appel à l’action ».
Le Dr Ganz est membre du conseil scientifique de la Breast Cancer Research Foundation. Un des co-auteurs a des liens d’intérêt avec l’industrie (voir la revue et l’essai). |
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Citer cet article: Cancer du sein : penser aux neuropathies induites avant de prescrire une chimio adjuvante - Medscape - 11 sept 2017.
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