POINT DE VUE

En pratique : toxicités dermatologiques des anti-cancéreux

Pr Caroline Robert

Auteurs et déclarations

24 octobre 2017

Enregistré le 11 septembre 2017, à Madrid, Espagne

Perte de cheveux, syndrome main-pied, éruptions génitales… Le Pr Caroline Robert rappelle l’importance d’identifier et ainsi de soulager les effets secondaires dermatologiques induits par les traitements anti-cancéreux.

TRANSCRIPTION

Bonjour, je suis Caroline Robert et je dirige le service de dermato-oncologie à Gustave-Roussy.  On y traite des patients avec des cancers de la peau (les mélanomes, les carcinomes de Merkel, les carcinomes épidermoïdes…), mais on s’occupe également des problèmes dermatologiques qui surviennent à cause des traitements anticancéreux et pas seulement ceux que nous donnons dans nos services. On essaie de rendre service aux patients qui sont traités par nos « pauvres » collègues oncologues qui, n’étant pas dermatologues, sont parfois bien démunis. Et c’est très important. La peau est en fait un peu un organe cible — à chaque fois qu’on donne un traitement, c’est presque toujours là qu’on retrouve le plus fréquemment les effets secondaires. Heureusement, ce n’est pas là qu’ils sont les plus graves, mais il n’empêche que ce n’est pas drôle pour les patients d’être tous rouges, de se gratter, d’avoir des boutons, de faire comme une poussée d’acné alors qu’ils n’ont plus l’âge. Il faut qu’on les aide car cela retentit beaucoup sur leur qualité de vie.

J’ai rappelé tout cela à l’ESMO en 2017 qui a voulu refaire un point sur ces effets secondaires créés par les médicaments, et j’ai voulu dire que c’était très important pour les patients et pour les collègues qui connaissent moins la dermatologie.

Il y a des effets secondaires qui sont attendus : on sait très bien que quand on va donner un agent cytotoxique, on va avoir un effluvium anagène, que les cheveux vont tomber et que dans la grande majorité des cas cela va repousser. C’est très important que les patients soient au courant, mais attention, ne dites pas que cela va repousser dans 100% des cas, car malheureusement, ce n’est pas le cas. Il y a un petit pourcentage de patients qui sont absolument imprévisibles, surtout les femmes qui reçoivent des taxanes pour le cancer du sein, c’est là qu’on a vu que… parfois les cheveux ne repoussent pas. C’est assez catastrophique pour elles, donc il faut dire que dans la grande majorité des cas cela va repousser, mais garder une petite réserve. On a également des effets secondaires qui sont quasiment associés au traitement. Là, ce qui est important, c’est que les patients soient prévenus. S’ils sont prévenus, ils vont être beaucoup moins angoissés, ils vont savoir que ce n’est pas une allergie ou une intolérance, ils vont prendre les choses beaucoup mieux et vont savoir que cela devait arriver, qu’éventuellement on va les aider à passer un cap difficile, mais vraiment, l’information donnée avant tout, c’est extrêmement important.

Aussi, est-ce qu’il a des effets secondaires qu’on peut anticiper et prévenir ? Oui, bien sûr. Si vous donnez un inhibiteur de récepteur de VEGF, vous avez qu’il y a un risque élevé d’avoir ce qu’on appelle le syndrome main-pied, avec cette inflammation parfois douloureuse (parfois essentiellement hyperkératosique) des plantes de pied ou des zones de frottement (mais ce sont souvent les pieds), qui fait que parfois les patients ont du mal à marcher. Si vous regardez la plante des pieds de vos patients avant le traitement, cela peut vous apprendre beaucoup de choses, parce qu’il y a beaucoup de gens qui ont des pieds avec des statiques pas tout à fait bien équilibrées, avec des durillons. Et vous pouvez être sûrs que si vous avez déjà, à l’avance, des durillons sur des points de pression mal équilibrés, cela ne va pas aller pour votre patient, donc c’est le moment, avant le traitement, de l’envoyer chez un bon pédicure ou podologue. Il faut d’ailleurs avoir un bon correspondant, un bon pédicure, un bon podologue qui connaisse cela et qui pourra aider en faisant des semelles spéciales qui vont bien rééquilibrer les points de pression. Cela peut vraiment aider les patients, c’est un peu sous-estimé parfois par les oncologues parce qu’on ne réalise pas que d’avoir mal aux pieds, cela revient dans la tête à chaque pas et c’est embêtant.

Il y a aussi autre chose que j’ai rappelé : certains patients, également avec les anti-récepteurs aux VEGF, peuvent avoir des éruptions génitales qui ressemblent un peu à des éruptions psoriasiformes ou lichénoïdes. Il faut éliminer une infection, faire des prélèvements infectieux et mycologiques, mais on sait que cela peut arriver et souvent votre patient ne va pas oser vous en parler. Cela peut arriver chez les hommes et chez les femmes. Vous ne les examinez pas forcément sur les aires génitales tout le temps, ni en dermatologie, ni en oncologie, et si le patient n’ose pas vous le dire, il va souffrir en silence. Alors posez-lui la question parce qu’une fois que vous avez éliminé une infection, vous pouvez donner un dermocorticoïde et en général cela se passe bien.

Il faut aussi être prêt à donner des traitements adaptés quand vous donnez un anti-EGF récepteur — vous savez que vous avez cette efflorescence de lésions folliculaires inflammatoires qui ressemblent un peu à de l’acné, mais qui n’en est pas (il n’y a pas de comédons), mais parfois les gens sont quand même très défigurés et on sait comment diminuer l’intensité. On sait que les dermocorticoïdes peuvent aider, mais surtout que les traitements antibiotiques, notamment les cyclines, par leur effet anti-inflammatoire, peuvent aider.

On n’a pas le temps de parler de tous les effets secondaires cutanés, mais enfin il faut rappeler deux choses :

  • Quand vous avez un effet secondaire cutané dans le cas d’un traitement anticancéreux, il faut se poser la question de l’imputabilité de ce médicament, parce que votre patient peut avoir aussi une infection virale ou il peut prendre d’autres médicaments qui ont créé ça. Il faut se poser la question : « si c’est le médicament, est-ce que je dois l’arrêter tout de suite ou est-ce que je peux juste diminuer la dose, ou est-ce que je peux donner un traitement symptomatique ? » Donc quelle est l’intensité de l’effet secondaire?

  • Il faut savoir éliminer d’emblée des effets secondaires graves. Il y a des effets secondaires cutanés qui sont mortels, c’est rare, mais cela peut arriver. Si vous appuyez le doigt sur la peau de votre patient, glissez un peu et décollez l’épiderme, c’est ce qu’on appelle le signe de Nikolsky : cela va vous signer une atteinte cutanée très grave, comme un syndrome de Lyell, une épidermolyse, une nécrolyse épidermique toxique. C’est gravissime, très rare. Regardez les muqueuses aussi, regardez les conjonctives oculaires — s’il y a une grosse inflammation à cet endroit-là, cela peut être grave.

Il ne faut donc pas négliger la peau. Il faut savoir que quand vous commencez un traitement, surtout les traitements chroniques (maintenant que les traitements qui marchent mieux, on les fait plus longtemps…), on va changer la peau de nos patients et la peau c’est notre interaction avec le monde extérieur, c’est donc important, et on doit être là pour aider les patients.

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