
Dr Pamela Wible
Eugene, Etats-Unis – Médecin généraliste, Pamela L. Wible est à l’origine du mouvement « Ideal Medical Care », qui promeut une façon plus humaine et humaniste de pratiquer la médecine, et l’instigatrice de centres de soins où la qualité de la relation prime sur la quantité. Cette approche (novatrice ?) a fait d’elle une habituée des séminaires TEDX. Quand elle n’exerce pas dans sa clinique communautaire, le Dr Wible investit tout son temps dans la prévention du suicide chez les étudiants en médecine et les médecins. Elle est notamment l’auteur de Physician Suicide Letters – Answered, où elle dénonce à travers des témoignages (y compris dans des lettres d’adieux) la « culture médicale cachée d’intimidation, de bizutage et d'abus de pouvoir » dont sont victimes les étudiants et les médecins (comme l’a fait cette année en France le Dr Valérie Auslender dans son ouvrage « Omerta à l’hôpital » ). L’article ci-dessous est un (court) résumé de son travail de mise en lumière et de prise de conscience du vécu douloureux des soignants.
La plupart des médecins déprimés ne demandent pas d’aide
Les médecins peuvent être gagnés par la tristesse, comme n’importe qui d’autre. Mais comment font-ils quand cette mélancolie dure des semaines, voire des mois ? Existe-t-il des facteurs de risque particuliers qui conduisent les médecins à la dépression ? Cette profession diffère-t-elle de la population générale dans sa façon de faire face ? Quels sont les traitements que les médecins recherchent et ceux qu’ils évitent ?
Ce que beaucoup d’entre eux font se limite à ça : rien. Ou alors ils essaient des solutions qui ne les aident pas. J’ai interrogé récemment 200 médecins qui ont souffert d’une dépression au cours de leur carrière et je leur ai demandé quel traitement ils avaient suivi. Les résultats sont les suivants : 33% se sont tourné vers un professionnel, 27% se sont débrouillés par eux-mêmes (self-care), 14% ont opté pour des conduites destructrices, 10% n’ont rien fait, 6% ont changé de métier, 5% ont pratiqué l’automédication, 4% ont essayé d’autres choses, et 1% ont choisi de prier.
La plupart des médecins ont essayé plusieurs traitements. Malheureusement, la majorité des médecins à qui j’ai parlé a attendu des mois, voire des années avant de se décider à agir – parfois même en s’autodétruisant.
Rechercher l’aide d’un professionnel a rarement été le traitement de première ligne. Cet article est un résumé qualitatif de mes travaux et des commentaires des médecins.
Je m’occupe d’une hotline dédiée à la prévention du suicide des médecins depuis 2012 et j’ai eu l’occasion de venir en aide à des centaines de médecins déprimés et suicidaires. Il est vrai que les médecins sont confrontés à des circonstances spécifiques au cours de leur carrière, susceptibles de les conduire à la dépression, comme l'intimidation, le bizutage, la privation de sommeil et les investigations des instances administratives ou/et ordinales, plus l'exposition quotidienne répétée aux souffrances et à la mort.
Auxquelles viennent s’ajouter les causes de dépression communes à l’ensemble de la population comme l’échec d’un mariage ou la mort d’un être aimé. Du fait même d’être médecin, ces causes banales de dépression deviennent encore plus risquées.
Causes communes de dépression
L’échec d’un mariage. Une relation défaillante est déstabilisante pour n'importe qui, mais les médecins sont plus susceptibles de faire capoter des mariages par négligence conjugale. Les médecins n'ont pas de semaines de travail prévisibles de 40 heures. Ils ne sont pas souvent à la maison pour le dîner. Les appels impromptus en soirée ou pendant les week-end leur font souvent manquer les événements familiaux, les activités des enfants et même parfois les vacances. Après une journée de travail, de nombreux médecins ont besoin d’un temps pour décompresser et comptent sur leur partenaire pour leur assurer un soutien émotionnel - au risque d'épuiser la relation plutôt que de la renforcer. C’est pourquoi, être médecin est, en soi, un facteur de stress conjugal.
Isolement social. La solitude peut conduire à la dépression chez quiconque, et les médecins sont particulièrement à risque d'isolement social. Les déplacements fréquents pendant la formation et les semaines de plus de 80 heures de travail laissent peu de temps pour les amis ou la famille. Même quand ils ne travaillent pas, les médecins parlent de médecine, pensent aux patients, étudient pour les examens ou pour obtenir des points de formation médicale continue. Penseurs introvertis, studieux et très intelligents par nature, les médecins peuvent avoir plus de difficultés que d’autres à développer des amitiés. Être médecin est donc un facteur de risque indépendant d'isolement social. Sue résume ainsi sa situation : « Je vois les couples d’amoureux à l'église et j'accepte qu'il n'y ait pas de prince charmant pour moi. Il n'y aura personne pour s'occuper de moi quand j’aurai un cancer du sein. Je n’ai pas d’économies et n’aurai pas de retraite. Je gère les appels téléphoniques et des soins pour les mourants, mais je sais qu'il n'y aura pas de médecin aussi aimant pour prendre soin de moi [1]. »
Décès d'un conjoint. Les médecins sont affectés d’une façon particulière par la perte d'un conjoint, car ils ont eu moins de temps que la population générale pour développer un système de soutien. Le décès d'un conjoint peut être un événement particulièrement dévastateur pour les hommes, qui semblent être plus à risque de dépression car ils comptent souvent sur le soutien de leurs partenaires et ont plus de mal à demander de l'aide par rapport à leurs collègues de sexe féminin.
Les difficultés financières. Bien que les médecins gagnent potentiellement plus d’argent que la population générale, ils économisent souvent moins et dépensent davantage en prêts étudiants, voitures et maisons, pour répondre à des modèles culturels et familiaux. De nombreux médecins sont aussi la proie d’employeurs, de professionnels, même des amis et de la famille qui croient que « tous les médecins sont riches ». Les médecins peuvent également prendre de mauvaises décisions financières, ce qui les conduira à assurer leurs arrières dans la vie beaucoup plus tard que la plupart. Aux Etats-Unis, certains remboursent encore leurs prêts étudiants datant des années 50 ou 60 et ont peu économisé pour la retraite.
Traumas infantiles. Les abus sexuels, émotionnels et physiques dans l’enfance augmentent le risque de dépression pour tous. Certains médecins ont dit que ces blessures infantiles ont nourri leur désir de faire médecine afin de pouvoir aider les autres. Suivre des études de médecine en tant que « guérisseur blessé [wounded healer, expression que l’on doit à Carl Jung – NDLT] » et en se soumettant à une culture d'auto-négligence pendant la formation et au-delà (sans un accès facile à des soins psychiatriques) déstabilise encore davantage ces médecins à risque.
Antécédents familiaux de dépression. Les personnes (médecins et non-médecins) dont les parents sont dépressifs présentent un risque accru de développer une dépression. Pourtant, quand on postule pour faire médecine, il n’est jamais dit aux étudiants potentiels et à leurs familles qu'ils seront davantage à risque de dépression (et de suicide) de par la formation elle-même. Jusqu'à 43,2% des médecins souffrent de dépression ou de symptômes dépressifs pendant leur internat [2]. Le consentement éclairé des futurs étudiants en médecine devrait être requis pour les prévenir des risques additionnels pour la santé mentale qu’il y a à suivre des études médicales.
Retraite. Cet événement majeur de la vie qu’est la retraite peut entrainer une dépression chez beaucoup de gens. Mais quand l’identité d’une personne est associée très étroitement à une carrière, comme cela peut être le cas pour un médecin, la dépression post-retraite peut être bien pire. De plus, comme mentionné précédemment, certains médecins n'ont parfois pas économisé suffisamment d'argent pour arrêter la vie professionnelle et vivre confortablement, alors que d'autres n'ont pas développé de vie personnelle après avoir consacré tant de leur carrière à s'occuper d'autrui.
Actualités Medscape © 2017 WebMD, LLC
Citer cet article: Dépression, comportements autodestructeurs et suicide des médecins : témoignages - Medscape - 4 sept 2017.
Commenter