Enregistré le 12 juin 2017, à San Diego, CA, É.-U.
Pr Éric Renard — Bonjour, nous sommes en direct du congrès de l’American Diabetes Association (ADA) 2017 à San Diego où on a vécu une journée importante, puisque comme le Pr Ronan Roussel (hôpital Bichat, Paris) va vous l’indiquer, il y avait deux grandes études dont les résultats ont été publiés.
Une première étude [DEVOTE[1,2]] qui était dédiée à l’insuline dégludec [Tresiba, Novo Nordisk] versus l’insuline [glargine, Lantus® Sanofi] avec un tropisme cardiovasculaire dans les «endpoints»
et d’autre part une étude [CANVAS[3]] qui évaluait les effets cardiovasculaires d’un antidiabétique oral et qui visait donc là aussi à voir quelle était la sécurité de ces produits.
Étude DEVOTE – déglutec vs insuline glargine
Pr Éric Renard — Ronan, est-ce que tu peux nous dire grosso modo, quels sont les résultats importants de l’étude DEVOTE?
Pr Ronan Roussel — L’étude DEVOTE était la première qui comparait l’insuline dégludec à l’insuline glargine à 100 unités — c’est-à-dire la Lantus®, celle qu’on connaît habituellement, la référence des insulines lentes. C’est un essai qui a été demandé par la FDA parce qu’il y avait un petit doute sur la sécurité cardiovasculaire, qui est levé on peut le dire grâce à cette étude. Il randomisait des patients à très haut risque cardiovasculaire entre Lantus et dégludec avec une titration qui était [comparable] ; les Hb1c s’amélioraient de ~ 8% à 7,5 % avec un profil parfaitement parallèle, donc les deux marchent de la même façon sur l’équilibre glycémique. Ce qui était intéressant, ce sont les événements sur ces études, qui duraient deux ans à peu près. Il y a eu des événements cardiovasculaires et la sécurité a été affirmée pour dégludec, avec un objectif principal tout à fait rempli. Ce qui était intéressant, particulièrement, c’était la sécurité non cardiovasculaire qui, là, différait sur un élément — un seul, mais important : les hypoglycémies sévères. Il y en a eu deux fois moins. Et il y en a eu un grand nombre, des centaines, donc on a de la puissance dans cette étude pour pouvoir affirmer qu’il y en a eu nettement moins avec ce représentant de la nouvelle génération des insulines lentes à action très prolongée, ce qui montre que quand on a un profil de pharmacocinétique/pharmacodynamique encore plus plat, encore plus prolongé que la Lantus, on en tire un bénéfice clinique : risque d’hypoglycémie sévère divisé par deux.
Pr Éric Renard — C’était bien sûr des diabétiques de type 2 à très haut risque cardiovasculaire. Certains avaient déjà fait des accidents…
Pr Ronan Roussel — Beaucoup étaient en prévention secondaire, oui.
Pr Éric Renard — Lors de la présentation de la méthodologie, autour de moi, certains se sont émus de l’algorithme de titration qui paraissait assez agressif par rapport à la pratique courante.
Pr Ronan Roussel — Il était repris, enfin similaire en tout cas, à celui du programme BEGIN, qui était le programme de développement de l’insuline dégludec, avec un objectif de titration entre 0,70 et 0,90. Alors il y avait la possibilité — pour laquelle on n’a pas eu beaucoup de détails si elle a vraiment été utilisée ou pas — pour les plus fragiles — mais on a l’impression qu’ils étaient tous fragiles quand même — de remonter un peu cet objectif. Mais 70/90, ce n’est pas tous les jours qu’on demande ça à nos patients, ni de type 1, ni de type 2, encore moins quand ils sortent d’un accident cardiovasculaire. Donc c’est vrai que c’est une vraie question de pertinence finalement. D’autant que, malgré cet objectif extrêmement ambitieux, à la fin l’Hb1c est de 7,5 %, donc cela veut dire que de toute façon, il n’est pas atteint. Donc, on peut se poser la question : est-ce que ce n’était pas un peu pousser à la faute ces patients?
Pr Éric Renard — Ce qui était aussi un peu frappant, c’est qu’il y a une différence significative dans les hypos sévères, mais sur le plan cardiovasculaire il n’y a pas différence. On a déjà eu à discuter de ce sujet : c’est vrai que dans l’étude ACCORD, on a beaucoup incriminé les hypoglycémies sévères à l’origine des problèmes de mortalité. Qu’est-ce que tu en penses?
Pr Ronan Roussel — C’est vrai que, un peu dans l’émotion de la publication des résultats d’ACCORD, tout le monde (et les cardiologues en particulier) avait en tête la séquence contrôle glycémique intensif = plus d’hypos (ce qui était vrai, il y a eu plus d’hypos) = chez des patients fragiles = trouble du rythme cardiaque, surmortalité, événements cardiovasculaires. Cette séquence, qui est théorique et est sûrement vraie de façon au moins anecdotique (cela a pu être observé dans certaines études spécifiques), a-t-elle une vraie pertinence, notamment pour expliquer la surmortalité dans ACCORD? On ne pouvait pas répondre à cette question. Il aurait fallu faire un essai qui randomiserait des patients à haut risque cardiovasculaire entre une intervention avec des hypoglycémies (et toutes choses étant égales par ailleurs : pas d’action sur la pression artérielle, sur le poids, sur je ne sais quoi …) et une intervention qui n’aurait pas d’hypoglycémie sévère. Or on ne savait pas faire, en tout cas personne ne s’est lancé là-dedans. Finalement, DEVOTE l’a fait, puisque c’est l’insuline basale dans un bras et dans l’autre, une Hb1c pareille dans les deux bras, deux fois plus d’hypoglycémies sévères (des centaines, ce n’est pas rien), et à la fin une réduction non significative de quelques pour cent des événements cardiovasculaires — il y a clairement une discordance entre les deux et cela veut dire qu’on ne peut certainement pas faire un lien d’équivalence entre hypoglycémies sévères chez des patients fragiles et mortalité cardiovasculaire ou événements cardiovasculaires en général. C’est un sous-produit de cette étude qui, finalement, n’était par ailleurs pas si intéressante que ça.
Pr Éric Renard — On a beaucoup parlé des hypos sévères, parce que ce sont celles qui marquent le plus, mais dans la pratique courante, ce sont plutôt des hypoglycémies non sévères. Est-ce que des résultats ont été abordés dans cette présentation?
Pr Ronan Roussel — Cela a été juste évoqué, cela n’a pas été présenté. En général, les deux se suivent évidemment, avec proportion en termes absolus ce n’est pas la même chose, mais on peut bien imaginer que les hypos non sévères vont avoir baissé aussi sous le nouvel analogue lent. Probablement qu’il y aura des données qui vont sortir plus tard. Il a juste un bémol : ces études portent sur plusieurs milliers de patients sur deux ans, ce n’est pas comme une étude de développement sur six mois extrêmement cadrée, et les hypos non sévères, on sait que ce n’est pas la chose la plus facile à capturer comme information, parce que les uns les notent, les autres pas, certains se resucrent sans se documenter et, donc, c’est un peu mou comme critère à vrai dire.
Pr Éric Renard — Est-ce qu’il y avait des profils plus à risque? C’est-à-dire, est-ce qu’on a l’impression que cette insuline dégludec pourrait, par son bénéfice sur les hypos sévères, bénéficier à une catégorie de patients ?
Pr Ronan Roussel — Ce n’était pas très clair, parce que les analyses de sous-groupes, qui pourraient donner des indications à faire générer des hypothèses là-dessus, ne montraient pas de sous-groupe particulier. Alors comme le seul bénéfice c’est moins d’hypos sévères, on peut imaginer que ceux chez qui cela va être particulièrement intéressant, ce sont les patients qui sont à risque de faire des hypos sévères. Et qui qui est à risque de faire des hypos sévères? Le principal facteur pronostic est d’avoir fait déjà une hypo sévère. Donc, on peut se faire la remarque que, chez ces patients-là, passer à un nouvel analogue lent de type dégludec — mais il n’est pas toujours disponible, donc éventuellement de type glargine concentrée — peut-être un bénéfice.
Pr Éric Renard — D’accord. Et est-ce qu’il y avait une différence en termes de changement d’insuline lente chez ceux qui étaient déjà sous basale ou initiation? Est-ce qu’il y avait des patients naïfs dans cette étude?
Pr Ronan Roussel — Il y avait des patients naïfs. On n’a pas eu beaucoup détails là-dessus — ils étaient minoritaires. Donc on ne va probablement pas avoir une puissance très grande, d’autant que les naïfs sont plus tôt dans la maladie et, donc font plutôt moins d’hypoglycémies. Je n’attends pas grand-chose là-dessus. Mais ça va venir.
Pr Éric Renard — Donc, en pratique, on peut dire que cette étude a répondu à la FDA, qui émettait un doute sur le risque cardiovasculaire — on peut dire qu’il n’y a pas plus de risque cardiovasculaire avec le dégludec par rapport à la glargine U100 —, mais pour la pratique courante, est-ce qu’il y a un message qu’on peut retenir ou est-ce qu’en fait il n’y a pas de différence claire?
Pr Ronan Roussel — Celui qu’on a évoqué sur les hypos : chez des patients qui sont à très haut risque d’hypoglycémie sévère et, en particulier, ceux qui en ont déjà fait, songer à un analogue lent de nouvelle génération paraît opportun. Après, il faudra aller dans les détails, et sont déjà annoncés au congrès européen de l’EASD (donc dans quelques mois), plus de détails, donc il faudra probablement attendre pour voir les conséquences pratiques éventuelles.
Étude CANVAS : canagliflozine, nouvel inhibiteur de SGLT2
Pr Éric Renard — La deuxième étude importante cet après-midi concernait un inhibiteur du SGLT2. On est restés sur les résultats de l’empagliflozine (étude EMPAREG), qui avaient été presque déroutants, tellement il avait une différence inattendue en termes d’événements cardiovasculaires. Donc, là c’était un autre, la canagliflozine (Invokana®, Invokamet®, Janssen). Est-ce que les résultats [3] vont dans l’esprit d’une classe de médicaments qui améliorent le processus cardiovasculaire ou est-ce que, en fait, cala n’a pas été une confirmation vraie de ce qu’on avait vu?
Pr Ronan Roussel — Un peu entre les deux. Il s’agit de la canagliflozine contre placebo chez plus de 10 000 patients, c’est-à-dire l’agrégation de deux essais CANVAS et CANVAS-R, où le critère de recrutement incluait des critères rénaux, mais peu importe. À l’arrivée on a 10 000 patients suivis pendant trois ans à peu près en durée moyenne, donc une vraie étude puissante avec une confirmation de la sécurité cardiovasculaire – c’est ce pourquoi c’était fait, les essais FDA qu’on connaît bien maintenant. La supériorité est démontrée : une réduction de 14 % sur le critère de jugement composite habituel (infarctus du myocarde, AVC ou mort cardiovasculaire). Donc c’est tout à fait parallèle à ce qu’on a eu dans EMPAREG, mais EMPAREG était surtout sidérant par son effet sur la mortalité toute cause, la mortalité cardiovasculaire et les insuffisances cardiaques. Là, on est un peu déçus et je crois qu’on ne peut pas conclure à un effet de classe, en tout cas il faut nuancer parce qu’une baisse non significative de la mortalité et de la mortalité cardio-vasculaire — donc, on n’est clairement pas dans la même catégorie — et un effet sur l’insuffisance cardiaque qui est une réduction d’une trentaine de pour cent. Donc c’est certes dans le même sens que EMPAREG, mais là c’était quasiment 50 %. Donc on est un peu déçus et surtout qu’il y avait quelques éléments de sécurité cardiovasculaires qui sont venus pondérer cela de façon vraiment importante, puisqu’un signal — dont on avait entendu parler parce que la FDA l’a déjà mentionné — sur le risque d’amputation de ces patients. Or, c’était là encore des patients à haut risque cardiovasculaire, pour beaucoup en prévention secondaire (on sait bien que ce sont un peu les mêmes, les lits artériels sont les mêmes partout et quand on est malade de l’un, a priori, on est malade l’autre), avec un doublement du risque d’amputation. Pour les trois quarts il s’agissait d’amputation distale, mais aussi des amputations hautes avec un même effet, et évidemment c’est curieux et intrigant.
Pr Éric Renard — D’accord. Est-ce que dans les populations initiales, il y avait des différences en termes de prévalence de l’artérite à l’inclusion qui pourrait expliquer que, dans cette étude, on a cet effet inattendu d’amputation beaucoup plus nombreuses?
Pr Ronan Roussel — On n’a pas encore les détails là-dessus. Il est vrai que c’est tôt et cela va probablement être développé par ailleurs, mais c’est évidemment extrêmement intéressant à savoir. En conclusion pratique, est-ce qu’il va falloir éviter ce type de médicament chez les patients artéritiques? Enfin, ce type de médicament — la canagliflozine, puisque l’empagliflozine n’a jamais rapporté ça — on ne le sait pas encore et je crains que la puissance soit là un petit peu limitée pour le dire, mais enfin on verra les résultats. C’est vraiment dans la décision médicale — alors, en France cela reste un petit peu théorique, mais si on regarde le nombre absolu d’événements (les amputations sont des événements rares, fort heureusement), on a bien plus d’événements de type critères composites — infarctus du myocarde, AVC, mort cardiovasculaire — auxquels, certes, en termes absolus, c’est plus important, on applique 14 %, cela fait quelques-uns, à peu près quatre événements pour 1000 patients-années « économisés ». C’est le résultat du 14 % de réduction sur le critère principal. Inversement, on a un doublement du risque d’amputation et, là aussi, la différence entre les deux bras, c’est entre trois et quatre événements pour 1000 patients-années. Donc, d’un côté, on a l’économie sur l’infarctus du myocarde, l’AVC, la mort cardiovasculaire, et de l’autre côté on a le doublement de l’amputation ; et il faut savoir chez quels patients cela va être plutôt l’un ou plutôt l’autre, parce que sinon, c’est un peu match nul et match triste.
Pr Éric Renard — D’accord. Donc beaucoup de questions soulevées par cette étude CANVAS qui ne confirme pas vraiment l’étude EMPAREG, même si cela va dans le même sens pour un certain nombre de points, mais qui soulève beaucoup de questions sur l’application : chez quels malades? Est-ce que certains médicaments associés ont pu avoir un rôle? Donc, une après-midi très riche, puisque c’était le diabète de type 2 à haut risque qui représente quand même une grande population de nos patients et comme souvent dans ces résultats, des résultats encourageants, mais aussi beaucoup de questions qui sont posées.
Pr Ronan Roussel — Exactement. Et, donc, rendez-vous à congrès de l’EASD.
Pr Éric Renard — Merci, Ronan. À bientôt.
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Citer cet article: Les études DEVOTE et CANVAS soulèvent des questions - Medscape - 19 juin 2017.
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