Enregistré le 12 juin 2017, à San Diego, CA, É.-U.
De nouvelles études présentées au congrès de l’American Diabetes Association (ADA) 2017 sur le pancréas artificiel ambulatoire chez des jeunes enfants en situation de vie proche du réel et chez l’adulte avec activité physique et repas riches, montrent des résultats encourageants. Le Pr Ronan Roussel, interroge les investigateurs Éric Renard et Sylvia Franc.
TRANSCRIPTION
Pr Ronan Roussel — Bonjour. Bienvenue au congrès de l’American Diabetes Association (ADA) 2017, à San Diego, Californie. Je suis Ronan Roussel, professeur de diabétologie à l’hôpital Bichat à Paris et je reçois aujourd’hui, le Pr Eric Renard du CHU de Montpellier et le Dr Sylvia Franc du CHU Sud Francilien, pour évoquer une session qui était très intéressante — très française d’ailleurs en proportion — sur les boucles fermées et les essais quasiment en vie réelle. Éric, voulez-vous résumer la présentation que vous avez faite ?
Pancréas artificiel chez des patients prépubères
Pr Éric Renard — C’était les résultats d’un travail [1] que nous avons a fait sur les enfants d’âge prépubère. En fait, c’est une population où le pancréas artificiel a été assez peu étudié jusqu’à présent. Et pourtant ce sont des candidats idéaux puisqu’ils ont un diabète instable difficile à contrôler. Le but de cette étude était de tester la faisabilité d’un pancréas artificiel ambulatoire chez des jeunes enfants et de façon comparative par rapport à ce qui est l’idéal dans une pompe – c’est-à-dire une pompe avec un capteur et un arrêt en cas d’hypoglycémie. Cette étude, qui a recruté 24 enfants à Montpellier, à Paris, à Tours et à Angers, a montré que le pancréas artificiel était faisable et apprécié des enfants et de leurs parents. Il n’y avait pas de différence en terme de réduction du temps passé en hypoglycémie, notamment la nuit. En fait, dans les deux cas, c’était très bien, il n’y avait quasiment pas d’hypo. Par contre, le pancréas artificiel montre sa supériorité pour le contrôle glycémique dans la cible, puisque, par rapport à un simple arrêt en cas d’hypo, on augmente beaucoup le temps passé dans la cible, on double quasiment le temps passé en normoglycémie. C’est donc un encouragement à utiliser le pancréas artificiel chez ces enfants.
Pr Ronan Roussel — C’était des enfants mal équilibrés ? Sélectionnés pour ça ? Ou il n’y avait pas de critère ?
Pr Éric Renard — Non, on avait pris plutôt des enfants qui avaient des bonnes hémoglobines et qui étaient à risque d’hypos nocturnes.
Pr Ronan Roussel — C’est-à-dire qu’ils en avaient déjà faites ?
Pr Éric Renard — Voilà. En fait, c’était des enfants comme beaucoup d’enfants, qui font des hypos la nuit, notamment quand ils ont fait de l’exercice dans la journée.
Pr Ronan Roussel — Pas des hypos sévères, spécialement ?
Pr Éric Renard — Non, pas des hypos sévères, mais où les parents avaient des craintes énormes vis-à-vis des hypos de leurs enfants la nuit. Donc, en fait, les deux systèmes marchent aussi bien, mais le pancréas artificiel montre sa supériorité – à laquelle on pouvait s’attendre, puisque le pancréas artificiel corrige les hypers aussi alors que l’Hypostop® ne corrige qu’en cas d’hypo.
Pr Ronan Roussel — Bien sûr, oui. Et c’était un essai qui était sur combien de jours ? Quel design ?
Pr Éric Renard — Il y avait deux sessions de 48 heures dans un hôtel — une espèce de « resort » où les enfants pouvaient faire du sport, ils pouvaient manger à volonté, il y avait des McDo, etc. L’idée était de les mettre dans les conditions proches de la vie réelle — un environnement quand même sécurisé — parce que c’était la première fois qu’on faisait des études chez l’enfant, donc on voulait être sûrs qu’il n’y ait pas d’erreurs techniques majeures. L’étude était assez brève, sur 2 × 2 jours, soit avec l’Hypostop, soit avec le pancréas artificiel.
Pr Ronan Roussel — Et, justement, en termes de sécurité, y a-t-il eu des événements pour lesquels il faudra être vigilants par la suite ?
Pr Éric Renard — Non, justement, cela a été pratiquement une découverte. C’est vrai que ce sont des enfants qui, pour la plupart, n’avaient même jamais utilisé de CGM. En fait, ces jeunes enfants — parce qu’ils avaient entre 6 et 11 ans — se sont très vite adaptés au système ; le réglage était même mieux qu’avec leurs parents. Ils n’ont pas du tout été incommodés.
Pr Ronan Roussel — J’imagine qu’ils étaient tous sous pompe avant l’étude.
Pr Éric Renard — Avant l’étude, c’était des enfants sous pompe.
Pr Ronan Roussel — Donc, le capteur était nouveau, plus le système.
Pr Éric Renard — Voilà, ils avaient essayé le capteur, mais non connecté, pendant 15 jours avant, de manière à comprendre ce que voulait dire l’affichage des glycémies.
Pr Ronan Roussel — D’accord. Et en termes d’algorithme et de mesure, de fermeture de la boucle, comment fonctionne ce système vis-à-vis des repas ?
Pr Éric Renard — Comme pour l’instant tous les systèmes dits de « pancréas artificiels » sont ouverts pour les repas — c’est ce qu’on appelle un système hybride, puisqu’en fait, à cause de l’insuline sous-cutanée, on ne peut pas fermer la boucle au moment des repas — ils savaient ou leurs parents comptaient les glucides, et ils avaient un index d’insuline pour les glucides qu’ils appliquaient à ce qu’il mangeait, mais ils étaient complètement libres de manger ce qu’ils voulaient par contre, puisqu’ils allaient au McDo, mangeaient autant de desserts qu’ils voulaient… enfin, ils faisaient ce qu’ils voulaient. Ils se sont assez bien débrouillés. Il n’y a qu’au petit-déjeuner où c’était un peu difficile, parce qu’ils avaient tendance à manger beaucoup et c’est vrai que là, par contre, les calculs n’étaient pas toujours hyper précis, mais bon, cela donnait justement la valeur d’une étude en vie réelle, puisque si on avait tout contrôlé, ce n’aurait plus été le cas…
Pr Ronan Roussel — Bien sûr. Justement, les repas sont un point particulièrement important que vous, Sylvia, avez abordé directement dans votre étude, si vous voulez la résumer également…
Activité physique et repas riches
Dr Sylvia Franc — Nous avons conduit une étude (l’étude Diabeloop [2,3]) qui justement, avec le système Diabeloop, visait à étudier de façon spécifique des situations dans lesquelles les patients sont particulièrement en difficulté, c’est-à-dire les repas et l’activité physique. Nous étions chez des patients diabétiques de type 1 adultes répartis en trois groupes : au repos, puisque c’est le passage obligé, mais aussi les patients faisaient une activité physique et on a également testé ce que donnait l’algorithme de Diabeloop par rapport à la boucle ouverte.
Pour ce qui est des repas, on amenait les patients au restaurant, donc ils étaient très contents, ils avaient trois jours de suite…
Pr Ronan Roussel — McDo, aussi ?
Dr Sylvia Franc — Nous avons choisi le repas japonais, parce qu’il y a beaucoup de protéines, le repas français parce que c’était une gastronomie française donc difficile à évaluer en termes de glucides, et le repas italien, qui était plutôt chargé… en lipides (on avait pris pizza, tiramisu etc.). Ce qui sort de l’étude Diabeloop : on voit l’excursion glycémique très importante au moment des repas et que malgré tout, ces patients-là (on avait une population de patients experts) restaient en hyperglycémie pendant les trois quarts de la nuit…
Pr Ronan Roussel — « experts », c’est-à-dire ?
Dr Sylvia Franc — C’est-à-dire qui connaissent vraiment bien leur maladie, qu’ils étaient équipés de la pompe depuis longtemps et qu’ils avaient une bonne connaissance…
Pr Ronan Roussel — Et en termes d’équilibre ?
Dr Sylvia Franc — Ils étaient à 7,8 % … d’hémoglobine glyquée, donc pas parfaits, mais ils se comptaient les glucides, ils faisaient quand même beaucoup de choses. On a montré que, justement, avec le système Diabeloop, on contrôlait beaucoup mieux le temps passé dans le « range » pendant la nuit. C’est-à-dire qu’on avait un bien meilleur contrôle glycémique.
Pr Ronan Roussel — Dans la nuit qui suivait le repas… ?
Dr Sylvia Franc — … qui suivait les dîners conséquents, très chargés.
Pr Ronan Roussel — Pour les trois types ?
Dr Sylvia Franc — Pour les trois types de repas. Donc, cela montre la difficulté des patients dans la vie réelle à arriver à gérer ces repas lourds, chargés, et le système Diabeloop a montré vraiment un bénéfice.
Pr Ronan Roussel — Oui, c’est vrai sur les 24 heures, mais après ces repas, où effectivement parfois on monte les doses parce qu’ils sont riches à plusieurs points de vue, y compris en glucides, et on a une hypoglycémie … l’excursion est différée. Là, la boucle tient compte de tout ça?
Dr Sylvia Franc — Voilà. On va analyser les doses d’insuline qui ont été administrées, mais on s’attend, bien sûr, à ce que l’algorithme, pour arriver à maintenir un bon niveau glycémique comme ça, ait administré une quantité d’insuline probablement supérieure. En tout cas, il a bien travaillé la nuit, puisque l’équilibre glycémique est bien meilleur.
Pr Éric Renard — En fait, le repas était géré à la main aussi, n’est-ce pas ? C’est-à-dire que ce sont toujours des formes hybrides… cela corrige l’excursion qui suit le repas, puisque le repas, lui-même, on est obligé de faire…
Pr Ronan Roussel — Ça finit le travail quoi.
Dr Sylvia Franc — Voilà. Il a été annoncé avec, en plus, la particularité de dire « c’est un repas chargé, lourd, un gros repas. »
Système mono- ou bi-hormonal ?
Pr Ronan Roussel — C’est un système mono hormonal d’administration d’insuline. Il y avait, dans la même session, une méta-analyse qui était présentée [4], qui est publiée dans Lancet Diabetes Endocrinology, qui faisait état de l’efficacité sur plusieurs critères de jugement, le temps passé dans le « range » notamment, mais aussi vis-à-vis du temps passé en hypoglycémie des différents systèmes de boucle fermée, avec peut-être toutes les réserves du fait qu’on ne compare pas forcément la même chose, un bénéfice pour les systèmes bihormonaux où insuline/glucagon sont administrés… enfin, les deux peuvent être administrés. Et on peut imaginer que c’est, effectivement, dans l’hypoglycémie que le bénéfice peut être supérieur. Vos systèmes, que tous les deux vous avez mis en œuvre, sont des systèmes monohormonaux. Est-ce qu’on peut vraiment attendre un bénéfice supplémentaire du système bihormonal ? Est-ce une vrai plus attendu ?
Dr Sylvia Franc — Je pense que le système bihormonal a vraiment un intérêt dans l’activité physique, dans la mesure où ce qu’on cherche à prévenir c’est l’hypoglycémie, et que justement dans ces boucles bihormonales, on a le frein à l’insuline qui va être l’administration de glucagon. Donc, il y a une étude, effectivement, dans cette session-là, de l’équipe de Portland, qui montrait que chez les patients diabétiques de type 1 – là on leur faisait faire quatre jours : ils faisaient trois jours sur quatre d’activité physique et ils testaient différentes situations. Donc, boucle ouverte comme d’habitude, ensuite ils avaient le système de prédiction d’arrêt en cas de prédiction d’hypoglycémie ou boucle monohormonale et une boucle bihormonale. Ce qui ressort, quand on compare la boucle monohormonale à la boucle bihormonale, c’est que le temps dans le « range » est très bon. Mais, par contre, il y a moins d’hypoglycémies — effectivement, le temps passé en hypoglycémie est moins important avec la boucle bihormonale par rapport à la boucle monohormonale.
Pr Ronan Roussel — Peut-être un vrai bénéfice qui sera attendu. Et, peut-être pour conclure en un mot : quelle est votre prochaine étape planifiée, puisque ces deux essais étaient relativement courts et avec des échantillons de taille limitée ?
Pr Éric Renard — Les étapes maintenant à venir, c’est le long cours. C’est-à-dire, dans la vie réelle et de façon prolongée, vérifier si ce qu’on peut montrer sur quelques jours se vérifie dans la vie réelle et de façon prolongée, avec une composante là aussi bien sûr de qualité de vie qui intervient. C’est vrai que dans les systèmes bihormonaux, on peut avoir une tendance à montrer des améliorations, mais il faut voir le prix à payer. C’est-à-dire qu’il faut avoir deux pompes, il faut changer la cartouche de glucagon tous les jours. Il y a beaucoup d’astreintes par rapport à un système monohormonal. C’est vrai que dans un essai court c’est acceptable, mais au long cours, ce sera sûrement plus difficile. En fait, nos prochaines étapes, ce sera effectivement de faire des essais chez l’enfant pendant six mois, en vie réelle, quand qu’ils vont à l’école, etc. et collecter non seulement le contrôle glycémique, mais aussi l’acceptation, la qualité de vie, en quoi cela leur permet de mener une vie proche de celle d’un enfant non diabétique.
Dr Sylvia Franc — L’étape pour nous est en cours en ce moment, puisqu’on est avec le système Diabeloop sur six mois — trois mois en boucle ouverte, trois mois en boucle fermée – et donc les gens sont dans la vie réelle, ont leurs activités, leur alimentation comme à l’ordinaire.
Pr Ronan Roussel — Des résultats à l’ADA 2018 ?
Dr Sylvia Franc — Voilà. Probable.
Pr Ronan Roussel — Très bien. Merci beaucoup et à bientôt.
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Citer cet article: Pancréas artificiel chez l’enfant et l’adulte : nouveaux essais en situations proches de la vie réelle - Medscape - 16 juin 2017.
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