Interview minute – Dr Mahasti Saghatchian, en direct de l’ASCO 2017.
Chicago, Etats-Unis--En direct du congrès annuel de l'American Society of Clinical Oncology (ASCO), le Dr Mahasti Saghatchian (spécialiste du cancer du sein, Gustave Roussy) revient sur les résultats « d’une étude très intéressante qui montre que tomber enceinte après un cancer du sein n’augmente pas le risque de rechute et n’aggrave pas le pronostic des patientes. »
Quel que soit le statut hormonal des 1200 patientes enrôlées dans l’étude, après 10 ans de suivi, il n’a pas été observé d’augmentation du risque de rechute ou de décès lié à la survenue de la grossesse.
Il s’agit de la plus vaste étude à avoir étudié l’impact de la grossesse après un cancer du sein et la seule à avoir abordé spécifiquement la question des femmes dont les tumeurs avaient des récepteurs aux estrogènes (2/3 des cancers du sein).
Le rationnel de l’étude
Selon la spécialiste du cancer du sein, le rationnel de l’étude est que les cancers du sein sont très souvent sensibles aux hormones et que la grossesse est une période de la vie où il y a une explosion des sécrétions hormonales. « La crainte est donc que la grossesse réactive des cellules tumorales résiduelles et entraine une récidive de la maladie », explique le Dr Saghatchian.
Autre élément, plus sociétal, « Aujourd’hui, les femmes ont des enfants de plus en plus tard et malheureusement un cancer du sein peut survenir chez des femmes qui restent jeunes et qui ont le souhait d’avoir une grossesse ultérieure », précise-t-elle.
Quel impact de l’allaitement ?
Le Dr Saghatchian souligne le fait que l’étude a abordé la question de l’allaitement. « Cette étude fait la démonstration qu’il est possible d’allaiter après un cancer du sein, qu’il n’y a pas d’effet délétère. Jusqu’ici, on ne savait pas très bien ce qu’il fallait proposer aux femmes. »
Sur l’arrêt des traitements hormonaux adjuvants
Après un cancer du sein hormono-dépendant, les patientes doivent normalement prendre un traitement hormonal adjuvant pendant 5 à 10 ans, ce qui diminue clairement leur risque de rechute. Or, ces traitements doivent être interrompus si la femme a un souhait de grossesse. « Dans l’étude rétrospective de l’Institut Jules Bordet (Belgique), les femmes qui interrompaient leur traitement avant 5 à 10 ans n’avaient pas un pronostic plus mauvais. A priori cette interruption de traitement est faisable; elle ne semble pas impacter sur le pronostic des femmes. Mais, je pense que pour les femmes à haut risque de rechute, on inciterait à la prudence et en tout cas au décalage de ce projet de grossesse après 5 ans d’hormonothérapie », tempère toutefois le Dr Saghatchian.
Un effet protecteur chez les femmes aux tumeurs sans récepteurs hormonaux ?
« Une donnée assez étonnante dans cette étude est que la grossesse semble avoir un effet protecteur chez les femmes qui ont des tumeurs sans récepteurs hormonaux (RH-) », explique l’oncologue.
Chez les femmes qui avaient des tumeurs RH-, les risques de rechutes et de décès étaient moindres si elles avaient eu une grossesse.
« C’est totalement nouveau. Est-ce que la grossesse joue un rôle immunitaire protecteur ? Est-ce que la grossesse renforce les mécanismes biologiques qui permettent de lutter contre la récidive du cancer ? C’est une vraie question et il serait très intéressant de pouvoir y répondre de façon prospective », souligne le Dr Saghatchian.
Proposer systématiquement une consultation en oncofertilité
« L’autre implication de cette étude en clinique est de nous faire réfléchir systématiquement à des consultations d’oncofertilité et donc à un prélèvement d’ovocytes pour ces femmes qui potentiellement peuvent avoir de la chimiothérapie et donc une diminution de leur fertilité. Il faut qu’en cas de souhait de grossesse ultérieure, les femmes puissent éventuellement bénéficier d’une assistance médicale à la procréation. Montrer que la grossesse n’est pas dangereuse est une incitation de plus à l’oncofertilité », conclut le Dr Saghatchian.
L’étude en bref Protocole L’étude a inclus 1207 patientes diagnostiquées avec un cancer du sein non métastatique avant 2008 et âgées de moins de 50 ans. La majorité (57 %) avaient un cancer ER+ et plus de 40 % des facteurs de mauvais pronostic (grosse tumeurs, envahissement ganglionnaire). Parmi les 1207 participantes, 333 sont tombées enceintes. Chaque patiente ayant eu une grossesse a été appariée à 3 patientes dont les cancers avaient les mêmes caractéristiques mais qui n’étaient pas tombées enceintes. La durée moyenne entre le diagnostic et la grossesse était de 2,4 ans. Résultats Après un suivi moyen de 10 ans après le diagnostic de cancer, aucune différence n’a été observée entre les deux groupes en termes de récidive du cancer indépendamment du statut hormonal des tumeurs. En outre, les analyses secondaires ont montré qu’il n’y avait pas de différence significative que la grossesse ait été interrompue ou non, qu’elle soit survenue dans les deux ans suivant le diagnostic ou après, et que la femme ait allaité ou non. Parmi les femmes dont les cancers étaient ER+, aucune différence significative n’a été observée en termes de survie globale entre les femmes qui étaient tombées enceintes et les autres. Donnée étonnante, les femmes qui avaient eu des cancers ER- et qui étaient tombée enceinte avaient un risque de mortalité abaissé de 42 % par rapport à celle qui n’avaient pas eu de grossesse. |
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Citer cet article: Grossesse post-cancer du sein : quels risques ? - Medscape - 19 juin 2017.
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