POINT DE VUE

Perturbateurs endocriniens : est-ce une mode ?

Dr Boris Hansel, Pr Patrick Fénichel

Auteurs et déclarations

20 avril 2017

Enregistré le 31 mars 2017, à Paris

Dans cette 1re partie, le Dr Boris Hansel (Hôpital Bichat) interroge le Pr Patrick Fénichel (CHU de Nice) sur l’origine et le concept des perturbateurs endocriniens.

TRANSCRIPTION

Voir la 2e partie : Perturbateurs endocriniens: 7 conseils pratiques à donner aux patients

Dr Boris Hansel — Bonjour. Il est un sujet qui pose beaucoup de questions et alimente polémiques et « animosité », c’est celui des perturbateurs endocriniens. C’est à la fois un sujet de santé publique, mais aussi un problème d’écologie — autant dire que cela concerne tout le monde. Mais il faut avouer que beaucoup d’entre nous n’y connaissent pas grand-chose et il est difficile de faire la différence entre le vrai et le faux et, finalement, de savoir que penser de ces perturbateurs endocriniens. En tant que médecin, cela pose un problème pratique, concret, au quotidien : que dire à nos patients pour les conseiller au mieux pour préserver leur santé, tout en évitant les obsessions et les phobies vis-à-vis de ces perturbateurs endocriniens?

Pour en parler, je suis en compagnie du professeur Patrick Fénichel, chef de service de diabétologie, endocrinologie et médecine de la reproduction à Nice.

Pr Fénichel, vous avez beaucoup travaillé sur ce sujet des perturbateurs endocriniens que vous connaissez bien. Moi, je suis endocrinologue, j’ai une formation classique d’endocrinologie, et j’ai l’impression qu’on ne m’en a jamais parlé au cours de mes études. J’ai l’impression qu’on entend parler de ces perturbateurs endocriniens de manière exponentielle au cours de ces dernières années. J’ai donc envie de vous poser une question : est-ce une mode ?

Pr Patrick Fénichel — Non, je ne crois pas que ce soit une mode. Je pense que c’est un concept qu’il faut replacer historiquement : ce sont les biologistes animaux américains, dans un premier temps avec des observations sur la baisse de la fertilité chez certaines espèces — les visons des Grands Lacs du Nord-américain et des espèces d’oiseaux…

Dr Boris Hansel — Ces visons avaient un micropénis… ?

Pr Patrick Fénichel — Non, ce ne sont pas les visons. Ce sont les alligators… de Floride qui avaient un micropénis, les panthères de Floride qui avaient une cryptorchidie — c’est-à-dire, une non-descente testiculaire — et on a pu, à chaque fois, observer que c’était avec une catastrophe écologique un peu locale, avec déversement de produits chimiques par certaines industries, utilisation de pesticides dans l’agriculture ou produits industriels qui avaient entraîné ces anomalies.

Dr Boris Hansel — Donc ce sont des observations faites à peu près dans les années 50 ?

Pr Patrick Fénichel — Tout à fait. Entre les années 50 et 70.

Dr Boris Hansel — Et chez l’homme ?

Pr Patrick Fénichel — Chez l’homme, au niveau des médecins, des pédiatres et des spécialistes de la reproduction, deux types d’observation sont venues s’associer et ont conduit au concept de perturbateur endocrinien. C’est d’abord l’histoire malheureuse du Distilbène (diéthylstilbestrol), c’est-à-dire de ces filles qui ont été exposées dans le ventre de leur mère à cet œstrogène de synthèse donné entre les années 50 et 70 à des millions de femmes aux États-Unis et en Europe pour diminuer le risque de fausse couche. Il a en fait entraîné un certain nombre de cancers, comme le cancer du vagin qui est très rare et grave ; il a entraîné des anomalies des cycles menstruels, des anomalies de l’utérus – ce sont ces fameux utérus en « T » – et qui ont été rapportés à l’exposition de cet œstrogène de synthèse, le Distilbène.

Dr Boris Hansel — C’est donc un médicament qui a mis en lumière le fait que certains produits pouvaient avoir en effet hormonal ou qui perturbaient le fonctionnement hormonal… avec des conséquences graves pour la santé.

Pr Patrick Fénichel — Exactement, et surtout lorsque la mère, pendant la grossesse − que ce soit chez l’animal ou dans l’espèce humaine − était exposée à ce produit et exposait, du même coup, son fœtus. Absolument.

Dr Boris Hansel — Quand on lit la littérature scientifique, la presse et les textes écrits par les experts, on a des difficultés à définir correctement ce qu’est un perturbateur endocrinien. De manière assez naïve, nous allons donner une définition simple : Ce serait une substance chimique qui interfère avec le système hormonal, soit en augmentant la fabrication d’hormones, soit en bloquant cette fabrication ou en bloquant l’effet des hormones. Est-ce juste ? Peut-on être plus précis ?

Pr Patrick Fénichel — Oui, alors je ne suis pas surpris que vous, en tant qu’endocrinologue, ayez spontanément retrouvé la définition qu’en ont donné les scientifiques dans les années 70-75. Il y a une définition qui est exactement cela : c’est toute substance, qu’elle soit naturelle ou de synthèse — elle peut être issue d’une plante comme le soja ou comme certaines mycotoxines, elle peut être d’origine chimique industrielle, agricole, comme les pesticides — qui va interférer d’une manière ou d’une autre avec les systèmes de régulation hormonale et contribuer, de par cette interférence, de par ce parasitage, à perturber l’homéostasie avec, éventuellement — et c’est un point important de la définition — des conséquences pour la descendance.

Dr Boris Hansel — Ce que vous venez de dire est important, parce que dans le langage grand public et pour certains d’entre nous, même soignants, à force d’entendre taper sur l’industrie chimique et agroalimentaire, on a l’impression que perturbateur endocrinien est synonyme de produit industriel, mais, en fait, il y en a dans la nature.

Pr Patrick Fénichel — Il y en a aussi dans la nature, bien sûr. Et je vais dire mieux : il y en a qui peuvent dans certaines circonstances, avoir des effets négatifs, mais d’autres pourraient avoir des effets positifs. Négatifs, vous avez p.ex. la génistéine du soja n’est pas toujours positive, mais peut l’être ; mais vous avez ce fameux produit chimique qui est dans le tanin des bons vins de Bordeaux, le resvératrol, dont on dit qu’il est antioxydant, anticancéreux et peut avoir, dans certaines circonstances, des effets bénéfiques… mais il interfère avec le système œstrogénique et avec d’autres récepteurs hormonaux. C’est un perturbateur.

Dr Boris Hansel — Donc des produits d’origine végétale qui peuvent être perturbateurs endocriniens, des produits synthétiques, des produits chimiques, des médicaments etc. On a parlé tout à l’heure du Distilbène. Y-a-t-il aujourd’hui des médicaments dont on se dit qu’ils ont peut-être des effets délétères sur l’appareil hormonal, comme le Distilbène en a eu ?

Pr Patrick Fénichel — Certains médicaments tirés de l’endocrinologie, avec tous leurs effets secondaires négatifs, pourraient être considérés comme des perturbateurs endocriniens. Je prends [pour exemple] un diurétique qui est très connu, la spironolactone (Aldactone)… qui donne des gynécomasties. Voilà, par excellence, un effet d’un perturbateur endocrinien qui est un médicament.

Dr Boris Hansel — On a l’impression qu’il y a des perturbateurs endocriniens partout : médicaments, alimentation, les pesticides, etc. Peut-on un peu hiérarchiser les choses, où trouve-t-on en quantité trop importante pour notre santé des perturbateurs endocriniens au point qu’il faille être spécialement vigilant ?

Pr Patrick Fénichel — Je répondrai à cette question en disant que tout le problème est de trouver les doses environnementales qui soient « seuil ». Ce n’est peut-être pas comme ça qu’il faudrait voir les choses, parce que le concept des perturbateurs endocriniens a introduit deux choses en toxicologie — il a d’ailleurs révolutionné la toxicologie. Il a mis en évidence que l’exposition chronique à des toutes petites doses d’une substance − qui est souvent lipophile, qui s’accumule dans le tissu graisseux et à certaines périodes de la vie dans des fenêtres de susceptibilité vraiment particulièrement dangereuses, comme le développement fœtal ou la petite enfance − pourraient être, même à faibles doses, délétères.

Dr Boris Hansel — Vous voulez donc dire qu’il ne faut pas simplement se dire « on interdit telle exposition ou tel produit », mais « à certains moments être particulièrement vigilant sur des durées longues et peut-être plus de vigilance dans certaines populations, notamment quand il y a un excès de poids ».

Pr Patrick Fénichel — Absolument.

Dr Boris Hansel — On verra, dans la deuxième partie de cette émission, quels conseils très pratiques on doit donner à nos patients. On verra également quelles sont les grandes pathologies qui risquent de survenir quand on est exposé de manière exagérée et prolongée aux perturbateurs endocriniens.

 

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