Le Pr Patrice Boyer présente les points forts du dernier congrès de l’Association Européenne de Psychiatrie (EPA). Dans cette première partie, il aborde deux changements de paradigme qui ont été largement discutés : le traitement précoce et la définition même des maladies mentales.
TRANCRIPTION
Mon nom est Patrice Boyer, je suis un ancien président de la Société Européenne de Psychiatrie — European Psychiatric Association (EPA) — et actuellement vice-président du European Brain Council, qui est le conseil pour la recherche sur le cerveau, à Bruxelles, chargé de tout ce qui a rapport avec les autorités européennes pour la recherche en santé mentale et en neurologie.
Je vais essayer de dresser un bref survol du Congrès Européen de Psychiatrie qui vient de se tenir à Florence du 1er au 4 avril, pour souligner les points forts de ce congrès.
« Tous ensemble pour la santé mentale »
Il me semble qu’il y a eu deux points marquants dans ce congrès, dont le « motto » principal était « tous ensemble pour la santé mentale ». Et les deux points forts sont deux changements de paradigme, l’un ayant trait au traitement et l’autre à la définition même de la maladie mentale.
« Tous ensemble pour la maladie mentale » signifie tous ensemble : soignants, patients, familles, décideurs, assurance maladie — tous ceux qui contribuent aux soins pour la maladie mentale.
« Tous ensemble » signifie également tous ensemble pour développer des interventions précoces dans ce domaine et pour assurer la continuité des soins.
Changement de paradigme 1 : le traitement précoce
Premier changement de paradigme : on ne doit plus attendre qu’une maladie mentale ou une affection psychiatrique se développe réellement ou se soit installée pour traiter. Il faut traiter bien en amont. L’intervention précoce est vraiment la clé du succès pour ces traitements.
Qui dit « intervention précoce » dit évidemment « détection précoce ». Et « détection » renvoie à « identification des sujets à risque ». Alors comment peut-on identifier des sujets à risque ? Par un contingent d’indicateurs. De nombreux symposia ont d’ailleurs été consacrés à ce contingent d’indicateurs qui désignent des sujets à risque, à savoir par exemple des facteurs de risque personnels : grossesse problématique chez la mère, accidents périnataux, exposition à une maltraitance infantile, exposition à des stress, exposition à des toxiques, ou bien des antécédents de maladie inflammatoire ou infectieuse… donc des facteurs à la fois personnels et environnementaux qui constituent un risque et qui vont définir un groupe de sujets qui pourra effectivement développer ou effectuer ce qu’on appelle une transition vers une pathologie mentale avérée.
L’idée est de traiter ou de protéger/prévenir avant que cette transition ne soit effectuée. Comment protéger ? En développant des interventions précoces. Quelles sont ces interventions précoces ? C’est l’association d’un soutien familial, social, scolaire (s’il s’agit d’un enfant ou d’un adolescent) et le développement de thérapies cognitives, voire d’interventions médicamenteuses quand il peut potentiellement s’agir de trouble du spectre de l’autisme, du trouble de l’attention, de troubles potentiellement psychotiques, de troubles bipolaires… Il y a même eu des interventions consacrées aux possibles interventions précoces dans la maladie d’Alzheimer.
Ces interventions précoces concernant des sujets à risque sont vraiment un changement de paradigme. On sait que dans certains pays — peut-être la France a été un de ces pays — on est relativement réticents à développer des interventions très précoces de ce type. Et, pourtant, le pronostic futur en dépend complètement. A fortiori, si des signes, qui sont déjà des signes inquiétants ou annonciateurs de pathologie (p.ex. retrait social, bizarrerie, idéations antisociales, agressivité, irritabilité…) se sont développés, [ils peuvent amener] à développer un tel type d’intervention.
Ce changement de paradigme est donc un changement thérapeutique. C’est-à-dire qu’ensuite, la thérapeutique doit être établie en continuité avec le milieu social — ce que les Anglo-saxons appellent « integrated community care ». De nombreuses communications, y compris dans le Forum Européen inaugural du congrès, ont été consacrées à cet « integrated community care », à ces soins qui doivent être en continuité avec l’ensemble des soignants, mais aussi avec le milieu scolaire, professionnel et familial. Donc c’est une idée d’horizontalité, de transversalité, qui est très importante pour prendre en charge les patients. Encore une fois, il s’agit d’une complémentarité des soins qui va du soutien social à la thérapeutique médicamenteuse, quand il s’agit de signes avant-coureurs ou de risques de transition avérés. Ces interventions précoces s’imposent effectivement encore plus si la maladie a déjà commencé à s’installer, puisque l’intervention pour les sujets à risque est appelée prévention sélective ; l’intervention pour les sujets qui ont déjà développé quelques signes prodromiques est appelée intervention précoce et l’intervention pour les sujets qui ont vraiment développé des signes pathologiques est appelée intervention thérapeutique afin de réduire la durée sans traitement. Cette réduction de durée sans traitement, ce que les Anglo-saxons appellent « reduction of duration of untreated psychosis (DUP) » est très importante parce c’est ce type d’intervention précoce qui va radicalement changer le pronostic.
Le fait que ces soins soient établis dans la continuité pour l’ensemble de la communauté concernée est particulièrement important. Donc plusieurs interventions ont concerné la mise en place de centres d’intervention précoce dans les pays nordiques, en Angleterre, en Allemagne, y compris en Espagne et en Italie. Le problème pour la France est que la collection des données manque ; on sait qu’il y a des centres d’excellence et des centres d’intervention précoce, mais on n’a pas vraiment toutes les données sur l’activité de ces centres, alors qu’il s’agit d’une stratégie qui a fait ses preuves et qui doit être renforcée.
Voilà quel était le premier changement de paradigme du congrès : intervention précoce, prévention, protection, horizontalité des soins, continuité, intégration dans la communauté.
Changement de paradigme 2 : définir les maladies mentales
Le deuxième changement de paradigme est particulièrement intéressant, puisqu’en psychiatrie, il est encore plus radical : il s’agit de la définition même des maladies psychiatriques. Ceci […] a fait l’objet d’une conférence plénière.
On ne peut plus définir les maladies psychiatriques comme des entités spécifiques aux frontières bien définies, séparables les unes des autres, et cela parce que le modèle principal des maladies psychiatriques est un modèle d’interaction entre des facteurs de risque personnels, qui sont des facteurs génétiques et familiaux, et des facteurs environnementaux, qui sont des facteurs de stress et des facteurs toxiques. À partir du moment où il y a cette interaction, se développe une espèce de tronc commun de pathologies – quelque chose qui n’est pas spécifique et qui, selon la résilience du sujet et les circonstances environnementales, peut aboutir au développement de symptômes spécifiques de type A, B, ou C ; Mais ce qui est essentiel, c’est qu’il y a un tronc commun de pathologies.
Ce tronc commun est appelé « polysyndromique ». On n’a donc plus des entités pathologiques distinctes, mais des polysyndromes.
Alors si on a effectivement des polysyndromes, cela pose de grands problèmes pour les systèmes de classifications. Dans les systèmes de classification, on est habitué à classer des maladies. Comment va-t-on classer des syndromes qui se recoupent et qui se recouvrent ? Il y a une tentative aux États-Unis (au NIH), qui sont les critères opérationnels de recherche (Research Domain Criteria ou RDoC) – ceci a fait l’objet d’un certain nombre de communications et de symposiums.
Ces critères opérationnels de recherche partent d’un principe simple : il n’y a pas de signe spécifique, il y a des signes qui se recouvrent et qui sont liés aux dysfonctions de certains circuits cérébraux. Ces signes sont surtout des signes cognitifs. On va donc isoler des clusters de signes cognitifs qui sont en relation avec la dysfonction de tel ou tel circuit cérébral. C’est probablement tout à fait expérimental — les RDoC sont testés —, mais c’est une tentative de sortir du modèle … des maladies discrètes.
Medscape © 2017 WebMD, LLC
Les opinions exprimées dans cet article ou cette vidéo n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement celles de WebMD ou Medscape.
Citer cet article: Deux changements de paradigmes majeurs en psychiatrie - Medscape - 14 avr 2017.
Commenter