Enregistré le 31 janvier 2017, à Paris
Le Dr Patrick Lemoine, psychiatre, explique l’origine des états dissociatifs pathologiques et comment ils peuvent être utilisés pour améliorer la prise en charge des patients en stress post-traumatique.
TRANSCRIPTION
La dissociation
La dissociation est un phénomène clinique très particulier, souvent déroutant. C’est cet état de conscience modifié qui se produit chez des sujets ayant subi des traumatismes à un moment ou à un autre de leur vie, et qui très souvent ont également ce qu’on appelle un état limite ou « trouble borderline ».
C’est un sujet particulièrement intéressant, parce que toutes les cultures du monde décrivent et utilisent les états de conscience [modifiés], que ce soient les derviches tourneurs, les juifs devant le Mur des Lamentations, les chrétiens avec le rosaire, les chamanes, les lamas en méditation, ou même des voyages en Amérique du Sud avec différentes substances psychotropes etc. À chaque fois, il existe un phénomène qu’on va appeler, de manière générale, « transe » et qu’on utilise également en hypnose médicale. Cette transe, pour toutes ces cultures, est une manière d’aller glaner une information. Qu’on appelle le lieu où on va chercher l’information l’inconscient, le monde des esprits ou les limbes, peu importe. Il s’agit de chercher de l’information ailleurs que dans la conscience d’aujourd’hui et ordinaire.
Il y a un autre état de conscience modifié, selon moi important, c’est le sommeil paradoxal ou rêve. Là aussi, on va glaner de l’information. Par exemple, lorsque je fais un mot croisé et que je ne trouve pas une définition, je m’endors et, le lendemain matin, la grille se remplit comme par magie : j’ai été chercher quelque part, dans ma bibliothèque intime, les solutions à ces définitions des mots croisés.
Si on admet le fait que la transe, la méditation et le sommeil paradoxal sont des états de conscience modifiés, on peut essayer de mieux interpréter, de mieux comprendre, voire, d’utiliser, les dissociations.
Les états dissociatifs pathologiques
Les états dissociatifs pathologiques sont la plupart du temps [observés chez] des jeunes filles − sauf dans des cas de traumatismes extraordinaires chez des hommes. Curieusement, toutes ces jeunes filles ayant subi des traumatismes et faisant des états dissociatifs, sont des rêveuses lucides capables de savoir qu’elles rêvent quand elles rêvent et également de diriger leurs rêves. Mais le problème est que parfois, éventuellement en public ou souvent quand elles sont seules — on n’est pas dans l’hystérie, c’est un diagnostic différentiel — ces sujets peuvent tomber par terre, se mettre à avoir des crises épileptiformes, des tremblements généralisés. Lorsqu’elles sont dans un lieu public, c’est le SAMU, l’hospitalisation, voire des thérapeutiques injectables toutes plus inefficaces et dangereuses les unes que les autres ; et surtout, un ridicule pour chacune d’entre elles à chaque fois. C’est donc pour elles un vrai calvaire de subir ces états dissociatifs. Pourtant — et c’est ce que je leur dis à chaque fois — « vous êtes des chamanes qui vous ignorez, c’est dommage que vous ne puissiez pas déclencher vos crises et les maîtriser, les arrêter quand vous voulez ». En réalité, tout le sujet de la recherche que je veux vous présenter aujourd’hui repose sur la compréhension, la maîtrise. Une transe, c’est fait pour glaner de l’information. Or, lorsqu’on a subi un traumatisme, très souvent on a des cauchemars répétitifs et des flashbacks à propos du traumatisme. Ces états dissociatifs ne sont, en fait, que des flashbacks extrêmes, où le sujet tente, en vain malheureusement, de trouver la solution à son traumatisme, et cela n’arrive pas, comme si dans un transfert de données, la pièce jointe était trop lourde et que le système boguait, se mettait en boucle. Le sujet n’arrive pas à traiter et à refroidir l’information.
Le traitement
On peut utiliser des techniques telles que l’hypnose médicale et surtout l’EMDR [Eye Movement Desensitization and Reprocessing – voir encadré ci-dessous] qui est le traitement de référence [1] de ce genre d’état de stress post-traumatique. Il consiste à transférer un message, une pièce jointe trop lourde, via l’Internet cérébral, pour aller des réseaux trop affectifs aux réseaux plus rationnels de manière à archiver le traumatisme. Comme c’est trop lourd, qu’est-ce qu’on fait avec l’EMDR? On fragmente la pièce jointe en petits morceaux et ça finit par passer. Et on voit, ainsi des sujets qui font ces états de stress post-traumatique et qui font ces états dissociatifs, arriver, petit à petit, à maîtriser la chose, éventuellement à transférer leurs dissociations dans le rêve, et le tour est joué. Finalement, certains de ces sujets arrivent même à se féliciter d’avoir cette capacité à glaner l’information.
L'EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing ou en français « intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires ») est une technique psychothérapique mise au point par Francine Shapiro en 1987. L'EMDR est devenue la technique de référence pour la prise en charge des États de Stress Post-Traumatiques. Son originalité repose sur l'utilisation de stimulations neuro-sensorielles alternatives, c'est-à-dire faisant travailler tour à tour les hémisphères cérébraux. Cette stimulation peut être visuelle (mouvements oculaires), auditive ou tactile. Il n'est pas suffisant et il est même parfois nocif de se contenter de parler d'un traumatisme non encore intégré, cette technique risquant d'ancrer encore plus la scène traumatique dans la mémoire et donc de la faire sur-revivre. En revanche, il s'avère crucial d'aider le sujet traumatisé à intégrer l'information stressante de manière à pouvoir l'archiver avec le statut de souvenir révolu. L'efficacité des stimulations sensorielles bilatérales alternées reposerait sur un modèle neurophysiologique : l'activation alternée des deux hémisphères cérébraux faciliterait une action de reconnexion des réseaux de traitement de l'information (émotionnels, mnésiques, comportementaux) dissociés par le trauma. Cette technique réalise une sorte de métissage des techniques de thérapies cognitives et comportementales avec l'hypnose. En effet, il est pratiquement constant d'observer des phénomènes de transe (ou dissociations) au cours des séances qui permettent de faire revivre de manière extrêmement présente le traumatisme dans un environnement totalement sécure de manière à favoriser son intégration. - PL |
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Citer cet article: Etats dissociatifs post-traumatiques : l’éclairage du Pr Lemoine - Medscape - 27 avr 2017.