Enregistré le 13 janvier 2017, à Paris, France
Comment gérer le traitement anticoagulant chez les patients avec une fibrillation atriale et ayant besoin d’un stent? Jean-Philippe Collet répond aux questions de Gabriel Steg et propose des recommandations pratiques que l’on peut tirer de l’étude PIONEER-AF-PCI.
TRANSCRIPTION
Pr Gabriel Steg — Bonjour, bienvenue. Je suis Gabriel Steg et j’ai le plaisir, aujourd’hui, de m’entretenir avec Jean-Philippe Collet de la Pitié-Salpêtrière au sujet de l’étude PIONEER-AF-PCI, une étude vraiment importante qui a été à la fois présentée au congrès de l’American Heart Association (AHA) 2016 au mois de novembre et publiée simultanément dans le New England Journal of Medicine . C’est une étude qui s’intéresse à un problème fréquent, difficile et pour lequel jusqu’ici on avait très peu de données: comment gérer le traitement anticoagulant et le traitement antiplaquettaire chez un patient qui a un anticoagulant pour de la fibrillation auriculaire et qui a besoin d’un stent ?
Pr Jean-Philippe Collet — C’est la question d’actualité qui intéresse beaucoup de praticiens. Comme tu le soulignes très bien, c’est quelque chose de pratique, de redondant. Ce sont des patients à risque. On a peur, on ne sait pas ce qu’on doit faire exactement et c’est la première étude qui évalue vraiment un anticoagulant oral direct (AOD), le rivaroxaban, versus les anti-vitamine K (AVK) chez les malades qui vont bénéficier d’une angioplastie, avec un certain nombre qui avaient un syndrome coronarien aigu d’ailleurs. Cela montre la faisabilité de l’utilisation de l’AOD dans ce contexte.
Pr Gabriel Steg — Alors, on va rappeler quelques mots sur le dessin de l’étude, qui n’est pas si simple que ça ; il faut bien comprendre les trois bras de l’étude.
Il y a un bras de référence qui est le bras classique : anti-vitamine K et une bithérapie antiplaquettaire – aspirine + clopidogrel — pour 12 mois. C’est vraiment la référence standard, on peut dire presque classique, voire conventionnelle, puisqu’elle n’utilise pas une stratégie — comme l’avait proposé l’étude WOEST — où on arrêterait l’aspirine précocement. C’est vraiment les anti-vitamine K à la dose conventionnelle et le traitement antiplaquettaire double prolongé.
Et puis deux stratégies qui utilisent le rivaroxaban, donc un des AOD.
Une stratégie qui ressemble un peu à celle de WOEST, où on donne un AOD, le rivaroxaban, à la dose de 15 mg, c’est-à-dire pas tout à fait la dose normale ou habituelle, chez les gens qui ont une fonction rénale préservée et une monothérapie antiplaquettaire, c’est-à-dire un anti-P2Y12.
et puis une autre stratégie, alors là carrément expérimentale, qui est une toute petite dose de rivaroxaban, 2,5 mg deux fois par jour, avec une bithérapie antiplaquettaire
Il est important de rappeler que, dans l’étude, la durée de la bithérapie antiplaquettaire dans les bras qui utilisent la bithérapie antiplaquettaire n’est pas fixée par l’étude — elle est fixée par l’investigateur, en aveugle, avant de connaître le résultat de la randomisation. C’est lui qui décidait de faire 1 mois, 6 mois ou 12 mois et, ensuite, il devait s’y tenir. Donc, l’étude ne va pas tellement nous renseigner sur la durée optimale du traitement antiplaquettaire. Elle va surtout nous renseigner sur le régime de traitement anticoagulant à associer au traitement antiplaquettaire. Alors, qu’est-ce qu’a montré l’étude ?
Pr Jean-Philippe Collet — D’abord, il faut quand même rappeler que ce sont des patients qui sont sélectionnés, c’est-à-dire que ce ne sont pas tous les patients qui sont en fibrillation atriale, il y en a qui sont écartés et il y a, évidemment, forcément, des patients qui ont des valves mécaniques, mais ça c’est trivial. Et il y a quand même les patients qui ont des antécédents d’AVC ou d’AIT. C’est important de le rappeler parce que, lorsqu’on regarde les CHA2DS2-VASc, ils sont assez différents de l’étude WOEST ou de l’étude ISAR-TRIPLE. On peut voir qu’il y a un décalage de la répartition des scores CHA2DS2-VASc plutôt vers la gauche, vers les faibles risques. Et il y a un certain nombre de patients qui avaient des CHA2DS2-VASc à 1 ou 2 où l’indication des anticoagulants est même discutable. Mais c’était important pour cette première étude de sélectionner des patients. La deuxième chose, c’est que les patients sont randomisés après l’angioplastie, comme tu l’as dit. Donc, ils ne sont pas, non plus, sans bithérapie – ils ont au moins une dose de charge + un traitement pendant quelques jours, donc avec un effet récurrent de la bithérapie sur quelques jours.
Pr Gabriel Steg — C’est important : l’angioplastie est toujours faite sous une bithérapie antiplaquettaire et l’aspirine est toujours présente, à bord, au moment de l’angioplastie.
Pr Jean-Philippe Collet — Exactement. Et je pense que cela a un effet sur le risque d’évènements aigus liés à la pose du stent. Donc, sur le critère primaire de jugement — qui était en fait un critère de tolérance sur les hémorragies confondues, majeures et mineures — il y a un résultat très en faveur du rivaroxaban avec une réduction impressionnante de pratiquement 10 % en valeur absolue par rapport au traitement AVK. Je pense que c’est une bonne nouvelle. C’était le critère primaire de jugement et l’étude a été taillée sur ce critère de tolérance. Donc l’étude est positive sur ce plan-là et cela va avoir un impact direct sur les recommandations.
Pr Gabriel Steg — Donc les stratégies utilisant un nouvel AOD, soit à la dose un peu réduite de 15 mg, soit à la dose très réduite de 2,5 x 2 mais associée à une bithérapie, font moins saigner que la trithérapie anticoagulant oral/anti-vitamine K + bithérapie antiplaquettaire. Mais est-ce que cela n’est pas, finalement, un peu attendu, compte tenu du fait qu’on avait réduit la dose d’anticoagulant dans les deux bras rivaroxaban?
Pr Jean-Philippe Collet — Encore fallait-il le démontrer. Je pense qu’on en a la démonstration. On reste quand même sur des taux d’hémorragie qui sont relativement élevés, même dans le groupe rivaroxaban avec des antiplaquettaires. Donc cela confirme aussi que ce sont des patients qui sont à risque d’hémorragie élevé et qu’en utilisant les AOD, on réduit le risque hémorragique. Alors en fonction des critères, on réduit plutôt les hémorragies mineures avec le critère TIMI, mais avec le critère ISTH, qui est plutôt un critère plus global, on réduit aussi les hémorragies majeures, et donc c’est rassurant. Alors sur les évènements ischémiques, même si l’étude n’est pas taillée pour, on voit que globalement il n’y a pas de catastrophe. Il n’y a pas d’augmentation du risque de thrombose de stent, du risque d’infarctus spontané, de décès et donc c’est vraiment en faveur d’une stratégie. Je pense que cela va pouvoir être marqué dans les recommandations.
Pr Gabriel Steg — Un mot quand même de prudence sur la conclusion sur les évènements ischémiques : le taux d’évènements étant faible, l’intervalle de confiance de l’estimation est très large et on ne peut pas exclure qu’il y ait un sur-risque d’accident vasculaire cérébral dans les bras qui utilisent des doses plus faibles de rivaroxaban. Le taux observé est similaire à celui observé avec les anti-vitamine K, ce qui est encourageant, mais on n’a pas de preuves qu’il n’y a pas un sur-risque – il eut fallu beaucoup plus de malades pour pouvoir le conclure et il faudra probablement des informations complémentaires pour être entièrement rassurés là-dessus. Je dis ça parce que, comme tu l’as fort justement souligné, c’est une population à faible risque dans PIONEER et je ne voudrais pas que, demain, des gens qui nous regardent ou qui nous écoutent se disent que des patients à très haut risque peuvent être mis sous une toute petite dose de rivaroxaban sans danger en termes de protection cardiovasculaire.
Pr Jean-Philippe Collet — En ce qui concerne la dose de 2,5 mg, je ne suis pas inquiet pour la pratique parce que, d’abord, il n’y a pas d’AMM française, donc elle n’est pas à disposition. Il y a une AMM européenne — je sais que les Allemands l’utilisent un peu. Je pense qu’on attendra davantage de confirmations avec ce régime, peut-être avec l’étude GEMINI, mais qui a un autre dessin. Mais la question pratique est : est-ce qu’on peut utiliser le 15 mg chez ces patients qu’on va dilater, qui ont une fibrillation atriale avec un antécédent d’AVC ? Moi, personnellement, je pense qu’on peut le faire parce qu’un certain nombre de patients avaient reçu la dose de 15 mg dans ROCKET et on n’a pas eu de signal négatif sur l’interaction entre la dose du médicament et le risque d’AVC.
Pr Gabriel Steg — Quand on utilise 15 mg de rivaroxaban, c’est avec une monothérapie antiplaquettaire au moment de la randomisation utilisant l’inhibiteur de P2Y12, et c’était, dans l’immense majorité des cas, du clopidogrel. Donc, cela veut dire qu’on laisse tomber l’aspirine quelques jours après l’angioplastie et on fait une bithérapie clopidogrel plus 15 mg de rivaroxaban.
Pr Jean-Philippe Collet — Exactement. Alors, on n’a jamais testé aspirine/clopidogrel. Le clopidogrel a été utilisé parce que dans WOEST on avait aussi utilisé le clopidogrel (parce qu’à l’époque du dessin de WOEST, on ne voulait pas faire d’angioplastie sans clopidogrel, qui est quand même le « sauveur du stent »). Personnellement, en pratique, ce que je fais c’est que lorsque les patients ont potentiellement des signes de résistance au clopidogrel, comme par exemple le surpoids, le diabète, j’ai plutôt tendance à laisser l’aspirine et, quand les patients ont des antécédents d’hémorragie digestive, j’ai plutôt tendance à choisir le clopidogrel. C’est pratique et personnel, mais cela permet de répondre à une question qui est assez récurrente.
Pr Gabriel Steg — Quand tu dis « j’ai tendance à laisser l’aspirine », tu veux dire que tu fais une bithérapie aspirine/rivaroxaban ou une trithérapie aspirine/clopidogrel/rivaroxaban?
Pr Jean-Philippe Collet — Non, non. Une bithérapie aspirine/rivaroxaban.
Pr Gabriel Steg — Aspirine/rivaroxaban, sans inhibiteur de P2Y12?
Pr Jean-Philippe Collet — L’inhibiteur du P2Y12, on le donne avant l’angioplastie, avec une dose de charge. On le laisse 2-3 jours avant la randomisation (en tout cas dans PIONEER), et on peut espérer qu’il y ait un effet récurrent de 7-8 jours.
Pr Gabriel Steg — Voilà des recommandations pratiques tirées de l’étude PIONEER. C’est la première d’une série de quatre études, puisqu’il y a trois autres essais qui vont suivre PIONEER : il va y avoir REDUAL PCI avec le dabigatran, il va y avoir AUGUSTUS avec l’apixaban et il va y avoir ENTRUST-AF avec l’edoxaban. On aura, donc, je pense, des effectifs plus importants et peut-être que la méta-analyse de ces essais sera précieuse pour voir ce qu’il en est du risque d’accident vasculaire cérébral, car c’est la question qui n’est pas entièrement résolue. On voit bien que ces nouveaux anticoagulants oraux, dans les essais de stent et de fibrillation auriculaire font plutôt un peu moins saigner que les anti-vitamine K, c’est la même chose que ce qu’on avait observé dans la fibrillation auriculaire tout-venant. Mais la grande question c’est « est-ce qu’on préserve l’efficacité ? », et je crois que, là, il faudra probablement une méta-analyse de ces quatre essais pour arriver à répondre. Tout ça va être présenté ou publié dans les deux années qui viennent — on va avoir des informations.
Pr Jean-Philippe Collet — Tout à fait. Ça va aller très vite, oui. Très vite, oui. Impressionnant.
Pr Gabriel Steg — Jean-Philippe Collet, merci.
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Citer cet article: AOD et angioplastie : leçons pratiques de l’étude PIONEER - Medscape - 9 mai 2017.
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