Psychiatrie : quand le remède était pire que le mal

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

20 février 2017

Dr Patrick Lemoine

Paris, France – Comment la psychiatrie s’est-elle faite complice des dictatures nazies ou communistes ? Comment a-t-on pu penser un jour que la malaria pouvait guérir la psychose ? Comment le « fou » a-t-il pu à ce point faire office de bouc émissaire, avec (bien souvent) la complicité des psychiatres ? Si la psychiatrie garde une mauvaise image, il faut dire qu’elle a proposé dans le passé – et aujourd’hui encore sur la planète – des remèdes bien pires que le mal lui-même. Le Dr Patrick Lemoine revient sur ces traitements délirants – pour ne pas dire barbares – qui ont jalonnés l’histoire de la psychiatrie, et qui, pour certains, ont abouti – étonnamment – à des méthodes efficaces. Ils ont fait l’objet d’un chapitre dans l’ouvrage collectif intitulé « La folle histoire des idées folles en psychiatrie »*, que le Dr Lemoine a co-dirigé avec Boris Cyrulnik.

Medscape édition française : Comment est née l’idée de cet ouvrage ?

Dr Patrick Lemoine : L’idée du livre est à mettre au crédit de mon confrère et ami Boris Cyrulnik, il s’agissait de témoigner – plus que de dénoncer – les errements de la psychiatrie depuis l’Antiquité jusqu’à la période contemporaine. Il y a encore beaucoup à dire, un deuxième tome est d’ailleurs en préparation.

Dans l’histoire des idées folles en psychiatrie, laquelle mettriez-vous au premier plan ?

PL - Parmi les idées les plus frappantes, il y a la théorie des chocs qui consistait à penser qu’un choc pouvait mener à la folie, et que, par conséquent un autre choc pouvait mener à la guérison. Une théorie pas entièrement erronée si l’on pense au syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Une infirmière de San Francisco, Francine Shapiro, ayant vécu l’annonce sans ménagement de son cancer a ainsi conçu une méthode originale, l’EMDR (Eyes Movements Desensitization Reprocessing, désensibilisation et reprogrammation par les mouvements des yeux) qui consiste à faire revivre dans sa chair, grâce à une technique proche de l’hypnose, le ou les traumatismes à l’origine du tableau clinique de SSPT. Si la technique est parfois difficile à supporter, elle s’avère d’une efficacité remarquable.

Quels en sont les exemples les plus marquants ?

PL - Partant de l’idée que l’épilepsie et la folie étaient deux maladies incompatibles, les psychiatres ont eu pour obsession, depuis l’Antiquité jusqu’à 1937, de déclencher des crises d’épilepsie par des chocs qui soient thérapeutiques. Dans ce domaine, il y a eu beaucoup d’horreurs mais aussi des techniques intéressantes. Jeter les fous à l’eau par surprise a été l’un de ces traitements cruels. Il a longtemps été d’usage de construire les hôpitaux près des fleuves des grandes villes. Ainsi les Hôtels-Dieu de Paris ou de Lyon. Et parfois, selon la légende, le soir, les fous étaient amenés sur la rive et plongés dans l’eau glacée. La frayeur, le choc hypothermique étaient considérés comme propres à déclencher une réaction salutaire de guérison, mais on aucune étude scientifique sérieuse ne permet de juger de l’efficacité de la méthode…

On peut aussi citer l’impaludation, une technique fort dangereuse, mais semble-t-il partiellement efficace, que l’on doit au Dr von Jauregg. En observant des patients atteints de paralysie générale – due en réalité à la syphilis tertiaire qui se traduisait par un délire mégalomaniaque – le neurologue autrichien constata que l’état mental des patients paraissait s’améliorer lorsqu’ils présentaient des infections accompagnées de forte fièvre d’où l’idée que la fièvre pouvait guérir du délire. Les malades s’amélioraient effectivement car le tréponème pallidum ne survivait pas à la chaleur La méthode consistait à inoculer le paludisme par voie sanguine aux malades. Les résultats stupéfièrent la communauté médicale de l’époque car les malades s’amélioraient alors que la pathologie infectieuse était mortelle dans des délais relativement brefs. La malariathérapie était née. Elle valut même, en 1927, le prix Nobel à son concepteur. Avant d’être abandonnée avec l’arrivée de la pénicilline et l’éradication de la vérole, elle fut testée – sans succès dans toutes autres sortes de folies dont l’origine n’était pas infectieuse – et on peut facilement imaginer que de malheureux schizophrènes y laissèrent leur peau.

Quid du choc insulinique ?

PL - C’est un autre médecin autrichien, le Dr Sakel qui, en 1933, est à l’origine d’une autre méthode étonnante consistant à plonger les schizophrènes dans un coma hypoglycémique provoqué par l’insuline à fortes doses. Alors qu’il soigne des sujets opiomanes avec des faibles doses d’insuline, ce psychiatre découvre, en se trompant dans le dosage qu’un sujet opiomane et dément présente une nette amélioration de son état mental. Il préconise donc, après à cet essai involontaire, de pratiquer une insulinothérapie à doses élevées chez les psychotiques. On ignore encore aujourd’hui le mode d’action réel de ce genre de traitement, dont la découverte relève de la sérendipité (serendipity) chère aux anglo-saxons. Plusieurs hypothèses plus ou moins fantaisistes ont été proposées sur la capacité régénératrice des cellules dysfonctionnelles cérébrales lors du coma. Mais on peut penser que le maternage infirmier (nursing) important dont bénéficiait le patient au moment du resucrage, alors que le malade se trouvait dans un état de régression psychophysiologique profonde, constituait l’essentiel du traitement. L’insulinothérapie, plus connue sous le nom de « cure de Sakel » connut un coup d’arrêt dans l’Allemagne nazie, Hitler l’ayant interdite pour la simple et bonne raison que le docteur Sakel était juif ! Mais, il y a 10 ans, certaines cliniques françaises dispensaient encore ce traitement…

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