POINT DE VUE

Arrêt cardiaque en pré hospitalier: comment améliorer la survie?

Pr Gérard Helft, Dr Dominique Savary

Auteurs et déclarations

13 février 2017

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Enregistré le 12  janvier 2017, à Paris

Le pronostic d’un arrêt  cardiaque extra hospitalier reste défavorable. Campagnes auprès du grand  public, défibrillateurs, prise en charge aux urgences : Dominique Savary, urgentiste, et Gérard Helft, cardiologue  interventionnel, explorent les stratégies actuelles pour améliorer la survie.

TRANSCRIPTION

Dr Dominique Savary — Bonjour, je  suis le docteur Dominique Savary. Je suis heureux de vous retrouver sur  Medscape en direct Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC). Je suis avec le professeur Gérard Helft, cardiologue  angioplasticien [à la Pitié-Salpêtrière] et nous nous retrouvons aujourd’hui pour parler de l’arrêt cardiaque en  préhospitalier.

Prof. Gérard Helft — L’arrêt cardiaque  en pré hospitalier devrait tous nous préoccuper et c’est le cas en particulier  de la Fédération Française de Cardiologie, parce que les chiffres sont toujours  inquiétants. Cela concerne quelques 45 000-50 000 arrêts cardiaques  extrahospitaliers en France. C’est considérable, et bien sûr, le pronostic  reste défavorable.

Dr Dominique Savary — Oui, il reste  défavorable. On se retrouve, en fonction des lieux et en fonction du type  d’habitat − si c’est urbain ou rural − avec des survies qui vont le plus  classiquement entre 4 % et 5 %, jusqu’à 9 %-10 %.

Prof. Gérard Helft — Exactement. Et  c’est à peu près pareil dans les pays autour de nous. J’ai vu récemment un  papier Anglais : sur une population d’environ 50 millions d’Anglais — ce  n’est pas tous les Anglais, mais presque — ils ont 7 %. On reste dans des  chiffres particulièrement bas, en dépit de certaines avancées.

Les campagnes grand public

Dr Dominique Savary — Tous à fait.  Alors, la Société Française de Cardiologie aide les urgentistes, puisque vous  nous aidez à promouvoir le « Appelez le 15, massez, défibrillez ». Vous avez  fait de grandes campagnes.

Prof. Gérard Helft — C’est surtout  la Fédération Française de Cardiologie, mais la Société Française de  Cardiologie serait tout à fait d’accord sur ce message, évidemment. Oui, bien  sûr on a déjà essayé — en fait, les premières campagnes remontent à bien  longtemps — de sensibiliser le grand public. Mais c’est largement insuffisant  et on essaie de réfléchir actuellement, non pas tous seuls, mais comment faire  des campagnes pour que davantage de concitoyens prennent la mesure. Donc une  des clés serait peut-être de rendre plus fréquentes les formations au grand  public… qui sont déjà prévues, qui existent déjà. Nous pensons qu’il faut faire  des formations très courtes. Il y a beaucoup de débats sur le contenu de la  formation pour les secours. Nous pensons qu’il faut faire des formations  courtes et qu’il faut les renouveler. C’est comme pour tout, si on apprend  quelque chose une seule fois, c’est insuffisant. En tout cas, il y a clairement  beaucoup de choses à faire.

Dr Dominique Savary —Est-ce ce que  vous présentez aux JE SFC ? Quels sont les points, en dehors des formations,  sur lesquels on pourrait appuyer pour le grand public ?

Prof. Gérard Helft — Pour le grand  public, nous regrettons qu’il n’y ait pas assez de campagnes média qui seraient  alimentées non seulement par les cardiologues, mais par tout le monde. Je veux  dire qu’il n’est pas normal que des jeunes qui regardent deux, trois, quatre  heures par jour la télévision en France n’aient pas une information plus  régulière — alors, je ne sais pas sous quel format. Sur des choses  simples : comment reconnaître quelqu’un qui mérite un massage cardiaque. Parce  que clairement ça ne va pas.

Les défibrillateurs

Prof. Gérard Helft — Ensuite, il y a  un grand point : c’est celui des défibrillateurs et de leur utilisation. Il  y a quelques lois, quelques décrets récents, qui essaient de faire bouger les  choses. Mais il y en reste encore beaucoup à faire. Il y a, par exemple, un  point simple que vous connaissez, sans doute : il y a un certain nombre de  défibrillateurs en France − on estime qu’il y en a quelques 120 000. Il en  faudrait beaucoup plus. Les estimations sont qu’il en faudrait 4 à 5 fois plus.  Et puis il faut une maintenance de ces défibrillateurs, une accessibilité, une  localisation. Actuellement, ni les pouvoirs publics, ni nous, ni personne n’est  en mesure de donner un état des lieux précis. Il existe quelques applications,  sur smartphone, pour essayer de savoir où est le défibrillateur le plus proche.  Mais il y a beaucoup de chantiers, beaucoup de choses à faire et ça ne bouge  probablement pas assez… pour des tas de raisons.

Dr Dominique Savary — Tout à fait. Effectivement,  concernant l’implantation, nous les SAMU, aimerions être interrogés quand un  village veut poser son défibrillateur et dire « peut-être faudrait-il plutôt le  mettre dans la salle de sport », ou, dans les grandes villes, « peut-être que  ce secteur, c’est là où se passent les arrêts cardiaques ».
On peut quand même  avancer. Je pense entre autre à Pierre-Yves Gueugniaud qui va intervient à ce  congrès et qui parle de RéAC, qui est le premier  registre français − en dehors de registres régionaux qui ont déjà existé. Ce  registre permet de savoir à quelle hauteur est utilisé ce défibrillateur  accessible au grand public, comment il est utilisé, etc. Je pense qu’on va  pouvoir faire des progrès grâce à cette évaluation globale.

Prof. Gérard Helft — Oui, vous avez  raison de le souligner. Le registre RéAC est tout à fait remarquable, il a  permis et permet toujours d’avoir des données chiffrées. Il y a une donnée  frappante : malheureusement la survie reste extrêmement faible, autour de  5 % globalement dans ce registre − sans dire de bêtises. Si on utilise le  défibrillateur automatique ou, plus exactement, si le défibrillateur  automatique externe est là, la survie passe à 13 %, ce qui est déjà  beaucoup mieux. Et si le défibrillateur est utilisé parce qu’il y a une  fibrillation ventriculaire, donc à bon escient, on passe à 35 %. Il y a donc  une marge d’amélioration qui est réellement considérable; cela mérite qu’on  travaille là-dessus.

Dr Dominique Savary — Bien sûr. On a  parlé du grand public et de ses actions qui sont primordiales dans les maillons  de la chaîne de secours, c’est fondamental. Y a-t-il des actions menées auprès  des secouristes, et bien sûr, auprès des SAMU ? Nous travaillons beaucoup sur  d’autres accès, mais par exemple, par rapport aux secouristes, pensez-vous  qu’il y ait des bras de levier ?

Prof. Gérard Helft — Honnêtement, je  ne sais pas très bien. À la Fédération, ce qui nous préoccupe vraiment, c’est  le grand public. Il y a des tas d’organismes qui délivrent des formations.  C’est dans l’air du temps parce que, malheureusement, à cause des attentats,  les gens ont pris conscience qu’il faut se former. Peut-être qu’il faut profiter  de cet engouement, certes un peu triste, pour apprendre à sauver des vies, pour  axer sur la reconnaissance de l’arrêt cardiaque. Pour un médecin cela devrait  être simple, pour un citoyen ce n’est pas simple. Il faut aussi certainement  commencer assez tôt. Les enfants, les adolescents sont assez réceptifs, ont  moins d’inhibitions, donc nous militons aussi pour la formation dès le collège.

La réanimation et coronarographie

Dr Dominique Savary — Je vais  reprendre un sujet qui est à la mode chez les secouristes. Aujourd’hui, on a  énormément travaillé sur le massage cardiaque — la profondeur, le rythme du  massage — et les professionnels le font très bien, régulièrement − je pense aux  secouristes, que ce soit les pompiers, ou même des ambulanciers privés. Mais  aujourd’hui il faut probablement également travailler sur la ventilation et des  systèmes qui améliorent la circulation grâce à des systèmes de ventilation qui  sont moins délétères. On ventilait probablement trop; il y a des systèmes avec  des pressions positives qui permettent d’améliorer cette ventilation. Je crois  que de plus en plus de pompiers sont en train de s’équiper et on va pouvoir  avoir là aussi une amélioration.

Prof. Gérard Helft — Oui, il y a  beaucoup d’aspects. Nous sommes très en amont sur la reconnaissance par le plus  grand nombre possible, sur l’appel, sur savoir réagir. On sait que le plus  souvent, l’arrêt cardiaque se fait devant un témoin, souvent de la famille. Le  témoin est souvent inactif, ou plutôt, débordé. En fait, il ne sait pas comment  réagir. Il y a donc plein de maillons. Là vous parlez, effectivement, de  l’intervention des spécialistes qui peut aussi être améliorée. Il y a aussi la  réanimation, mais c’est un autre débat qui dépasse la compétence d’un  cardiologue.

Dr Dominique Savary — Alors, pas tout  à fait. Je vais me permettre d’aller sur ce sujet. Nous, les SAMU, quand on  arrive, on fait effectivement des gestes de réanimation qui sont très bien  structurés par l’ILCOR — ce sont des recommandations internationales sur  lesquelles on s’appuie. Mais, quand on a la chance que le patient fasse une  reprise d’activité circulatoire spontanée — et cela représente 30 % de nos  patients en SAMU — parfois on se pose la question : « est-ce que je dois  l’emmener en salle de coronarographie ? », ou bien « est-ce que je fais l’étape  plutôt réanimatoire, je me laisse un petit peu de temps, je fais éventuellement  un scanner ? ». Puisque vous êtes angioplasticien : qu’est-ce qu’on doit  faire à votre avis ? Est-ce qu’il faut privilégier systématiquement le passage  par la salle d’angioplastie comme l’a dit Christian Spaulding?

Prof. Gérard Helft — Oui, c’est  clairement la tendance. On ne reprochera jamais à un SAMU de présenter un  patient en arrêt cardiaque. Il faut quand même savoir que, si la mort est  d’étiologie cardiaque, quelque 80 % des étiologies cardiaques sont  d’origine coronaire.

Dr Dominique Savary — Bien sûr.

Prof. Gérard Helft — […] Ensuite,  savoir ce qu’il faut faire, c’est une autre question. Mais je pense que la  coronarographie s’est quand même simplifiée. C’est sûr que lorsqu’il s’agit d’un  patient qui vient de faire un arrêt cardiaque, ce n’est pas une procédure  simple. Il faut du monde, il faut un vrai environnement, il faut être prudent −  on ne sait pas en quel état sont les reins, donc il ne s’agit pas de faire des  injections iodées inutiles, etc. Mais je pense que pour nous, en tout cas à  Paris, on considère que la coronarographie presque systématique est  recommandée. Et les recommandations vont actuellement dans ce sens.

Dr Dominique Savary — Je suis  d’accord avec vous mais, dès qu’on se retrouve en province, c’est plus  compliqué, parce que vous n’avez qu’une salle, parfois un environnement où  plusieurs départements vont vers ce lieu…

Prof. Gérard Helft — C’est sûr.

Dr Dominique Savary — … et c’est  parfois difficile, au milieu du flux de l’infarctus (parce que  l’angioplasticien est quand même là) d’arriver à mettre son patient qui vient  de faire son arrêt. Est-ce qu’il y aurait des éléments électrocardiographiques,  par exemple, qui nous pousseraient à dire « là il faut peut-être le mettre » [en  salle de coronarographie]?

Prof. Gérard Helft — Oui, c’est  aussi une vraie question. C’est sûr que l’électrocardiogramme n’est pas très  spécifique après un arrêt cardiaque. Acontrario,  si l’électrocardiogramme est strictement normal, la probabilité de trouver une  occlusion coronaire persistante — ça ne veut pas dire que l’arrêt n’est pas dû  à une occlusion coronaire − … c’est un tout petit peu moins urgent. Ça reste  très difficile de stratifier. Si c’est un homme jeune de 25 ans par rapport à  un homme de 60 ans qui a des facteurs de risque, là aussi, on est dans les  probabilités habituelles, mais c’est un vrai problème… Je n’ai pas la réponse.

Dr Dominique Savary — Ce patient  qu’on vous amène en coro, il a quand même un surrisque hémorragique. Est-ce qu’on  doit lui faire les procédures classiques, qu’on fait dans l’infarctus du  myocarde ou, plutôt être un peu prudent sur les médicaments qu’on va utiliser —  je pense aux antiplaquettaires.

Prof. Gérard Helft — C’est logique  d’être prudent. Je pense que d’abord la coronarographie fait le diagnostic.  Ensuite, est-ce qu’il faut traiter ou pas traiter, c’est une seconde question.  Dans un certain nombre de cas, on a une artère coronaire qui est parfaitement  perméable. Il y a une sténose plus ou moins critique qu’on a vue — je ne suis  pas sûr qu’on ait la démonstration qu’il faille la dilater à ce moment-là, si  l’artère est perméable. Si l’artère est occluse, il faut tout faire pour la  désobstruer. C’est sûr que, dans ce cadre-là, il faut faire attention au  surrisque hémorragique. C’est sûr que l’utilisation de l’aspiration, qui n’est  plus très en vogue actuellement dans le cas standard, peut-être a-t-elle une  place un peu à part dans ce cadre-là puisqu’on on peut essayer de restaurer un  flux sans trop faire de médicaments hémorragipares.

Dr Dominique Savary — Si on va un peu  plus loin : on a parlé de patients jeunes. On a aussi cette catégorie de  patients qui sont massés tout de suite, qui font un arrêt devant témoin, qui  peuvent arriver sur une ECMO thérapeutique assez rapidement. Qui doit faire  cette ECMO thérapeutique? Faut-il les mettre en salle? Quel est votre avis ?

Prof. Gérard Helft — Là aussi ça  dépend. Je n’ai pas de réponse univoque. Cela dépend beaucoup des  circonstances, enfin plutôt des conditions locales. C’est sûr que nous  cardiologues interventionnels, sommes impressionnés par l’amélioration et la  vitesse de mise en place de ces systèmes. Il y aura, je pense, dans les années  à venir, une facilité, une mise en place de plus en plus fréquente. Alors  « où », c’est une autre question. Je crois que vraiment, ça dépend de la  structure hospitalière et des gens qui vont la mettre — je crois qu’il faut leur  demander ce qui est le plus « facile » pour eux. En tout cas, a priori dans la plupart des structures,  notamment parisiennes, ce n’est pas le cardiologue interventionnel qui la met,  mais on peut aussi imaginer qu’il la mette dans certaines structures. Nous  sommes un peu plus en retrait. On fait ce qu’on nous dit.

Le don d’organes

Dr Dominique Savary — Il y a une  filière que vous connaissez probablement moins, c’est la celle des patients DAC,  c’est-à-dire des donneurs décédés en arrêt cardiaque pour lesquels on va faire  du prélèvement d’organes. Ils sont en train de vraiment se généraliser en  France et pour nous urgentistes, ils sont importants parce que — avec les  7-8 % de survie — arriver à pouvoir proposer de la survie à d’autres  patients grâce aux reins qu’on a amenés, cela donne une dynamique dans nos  équipes qui sont parfois très frustrées de cette prise en charge de l’arrêt  cardiaque. Quand les patients sont jeunes et qu’ils n’ont pas de comorbidités —  les moins de 55 ans — cela peut être intéressant de rentrer dans ce type de  filière pour proposer la greffe et c’est aujourd’hui une autre ouverture de  l’arrêt cardiaque pour les autres patients.

Prof. Gérard Helft — Absolument. Et cela  va aider à solutionner un autre problème, celui du manque de greffons. C’est un  vrai problème de santé publique en France. La Fédération Française de Cardiologie  n’est pas tellement sur ce créneau, mais je conçois tout à fait que ce soit un  gros enjeu.

Dr Dominique Savary — Gérard, je suis  ravi d’avoir discuté avec vous de ce sujet, sujet que l’on partage, cardiologues  et urgentistes. Il faudra qu’on continue, dans les années à venir, à partager  nos expériences, à continuer à travailler au cours de nos congrès, que ce soit  les JE SFC ou au Congrès de Médecine d’Urgence, à la SFMU. Merci de nous avoir  écoutés. À très bientôt sur Medscape.

 

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