Enregistré le 12 janvier 2017, à Paris
Le pronostic d’un arrêt cardiaque extra hospitalier reste défavorable. Campagnes auprès du grand public, défibrillateurs, prise en charge aux urgences : Dominique Savary, urgentiste, et Gérard Helft, cardiologue interventionnel, explorent les stratégies actuelles pour améliorer la survie.
TRANSCRIPTION
Dr Dominique Savary — Bonjour, je suis le docteur Dominique Savary. Je suis heureux de vous retrouver sur Medscape en direct Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC). Je suis avec le professeur Gérard Helft, cardiologue angioplasticien [à la Pitié-Salpêtrière] et nous nous retrouvons aujourd’hui pour parler de l’arrêt cardiaque en préhospitalier.
Prof. Gérard Helft — L’arrêt cardiaque en pré hospitalier devrait tous nous préoccuper et c’est le cas en particulier de la Fédération Française de Cardiologie, parce que les chiffres sont toujours inquiétants. Cela concerne quelques 45 000-50 000 arrêts cardiaques extrahospitaliers en France. C’est considérable, et bien sûr, le pronostic reste défavorable.
Dr Dominique Savary — Oui, il reste défavorable. On se retrouve, en fonction des lieux et en fonction du type d’habitat − si c’est urbain ou rural − avec des survies qui vont le plus classiquement entre 4 % et 5 %, jusqu’à 9 %-10 %.
Prof. Gérard Helft — Exactement. Et c’est à peu près pareil dans les pays autour de nous. J’ai vu récemment un papier Anglais : sur une population d’environ 50 millions d’Anglais — ce n’est pas tous les Anglais, mais presque — ils ont 7 %. On reste dans des chiffres particulièrement bas, en dépit de certaines avancées.
Les campagnes grand public
Dr Dominique Savary — Tous à fait. Alors, la Société Française de Cardiologie aide les urgentistes, puisque vous nous aidez à promouvoir le « Appelez le 15, massez, défibrillez ». Vous avez fait de grandes campagnes.
Prof. Gérard Helft — C’est surtout la Fédération Française de Cardiologie, mais la Société Française de Cardiologie serait tout à fait d’accord sur ce message, évidemment. Oui, bien sûr on a déjà essayé — en fait, les premières campagnes remontent à bien longtemps — de sensibiliser le grand public. Mais c’est largement insuffisant et on essaie de réfléchir actuellement, non pas tous seuls, mais comment faire des campagnes pour que davantage de concitoyens prennent la mesure. Donc une des clés serait peut-être de rendre plus fréquentes les formations au grand public… qui sont déjà prévues, qui existent déjà. Nous pensons qu’il faut faire des formations très courtes. Il y a beaucoup de débats sur le contenu de la formation pour les secours. Nous pensons qu’il faut faire des formations courtes et qu’il faut les renouveler. C’est comme pour tout, si on apprend quelque chose une seule fois, c’est insuffisant. En tout cas, il y a clairement beaucoup de choses à faire.
Dr Dominique Savary —Est-ce ce que vous présentez aux JE SFC ? Quels sont les points, en dehors des formations, sur lesquels on pourrait appuyer pour le grand public ?
Prof. Gérard Helft — Pour le grand public, nous regrettons qu’il n’y ait pas assez de campagnes média qui seraient alimentées non seulement par les cardiologues, mais par tout le monde. Je veux dire qu’il n’est pas normal que des jeunes qui regardent deux, trois, quatre heures par jour la télévision en France n’aient pas une information plus régulière — alors, je ne sais pas sous quel format. Sur des choses simples : comment reconnaître quelqu’un qui mérite un massage cardiaque. Parce que clairement ça ne va pas.
Les défibrillateurs
Prof. Gérard Helft — Ensuite, il y a un grand point : c’est celui des défibrillateurs et de leur utilisation. Il y a quelques lois, quelques décrets récents, qui essaient de faire bouger les choses. Mais il y en reste encore beaucoup à faire. Il y a, par exemple, un point simple que vous connaissez, sans doute : il y a un certain nombre de défibrillateurs en France − on estime qu’il y en a quelques 120 000. Il en faudrait beaucoup plus. Les estimations sont qu’il en faudrait 4 à 5 fois plus. Et puis il faut une maintenance de ces défibrillateurs, une accessibilité, une localisation. Actuellement, ni les pouvoirs publics, ni nous, ni personne n’est en mesure de donner un état des lieux précis. Il existe quelques applications, sur smartphone, pour essayer de savoir où est le défibrillateur le plus proche. Mais il y a beaucoup de chantiers, beaucoup de choses à faire et ça ne bouge probablement pas assez… pour des tas de raisons.
Dr Dominique Savary — Tout à fait. Effectivement, concernant l’implantation, nous les SAMU, aimerions être interrogés quand un village veut poser son défibrillateur et dire « peut-être faudrait-il plutôt le mettre dans la salle de sport », ou, dans les grandes villes, « peut-être que ce secteur, c’est là où se passent les arrêts cardiaques ».
On peut quand même avancer. Je pense entre autre à Pierre-Yves Gueugniaud qui va intervient à ce congrès et qui parle de RéAC, qui est le premier registre français − en dehors de registres régionaux qui ont déjà existé. Ce registre permet de savoir à quelle hauteur est utilisé ce défibrillateur accessible au grand public, comment il est utilisé, etc. Je pense qu’on va pouvoir faire des progrès grâce à cette évaluation globale.
Prof. Gérard Helft — Oui, vous avez raison de le souligner. Le registre RéAC est tout à fait remarquable, il a permis et permet toujours d’avoir des données chiffrées. Il y a une donnée frappante : malheureusement la survie reste extrêmement faible, autour de 5 % globalement dans ce registre − sans dire de bêtises. Si on utilise le défibrillateur automatique ou, plus exactement, si le défibrillateur automatique externe est là, la survie passe à 13 %, ce qui est déjà beaucoup mieux. Et si le défibrillateur est utilisé parce qu’il y a une fibrillation ventriculaire, donc à bon escient, on passe à 35 %. Il y a donc une marge d’amélioration qui est réellement considérable; cela mérite qu’on travaille là-dessus.
Dr Dominique Savary — Bien sûr. On a parlé du grand public et de ses actions qui sont primordiales dans les maillons de la chaîne de secours, c’est fondamental. Y a-t-il des actions menées auprès des secouristes, et bien sûr, auprès des SAMU ? Nous travaillons beaucoup sur d’autres accès, mais par exemple, par rapport aux secouristes, pensez-vous qu’il y ait des bras de levier ?
Prof. Gérard Helft — Honnêtement, je ne sais pas très bien. À la Fédération, ce qui nous préoccupe vraiment, c’est le grand public. Il y a des tas d’organismes qui délivrent des formations. C’est dans l’air du temps parce que, malheureusement, à cause des attentats, les gens ont pris conscience qu’il faut se former. Peut-être qu’il faut profiter de cet engouement, certes un peu triste, pour apprendre à sauver des vies, pour axer sur la reconnaissance de l’arrêt cardiaque. Pour un médecin cela devrait être simple, pour un citoyen ce n’est pas simple. Il faut aussi certainement commencer assez tôt. Les enfants, les adolescents sont assez réceptifs, ont moins d’inhibitions, donc nous militons aussi pour la formation dès le collège.
La réanimation et coronarographie
Dr Dominique Savary — Je vais reprendre un sujet qui est à la mode chez les secouristes. Aujourd’hui, on a énormément travaillé sur le massage cardiaque — la profondeur, le rythme du massage — et les professionnels le font très bien, régulièrement − je pense aux secouristes, que ce soit les pompiers, ou même des ambulanciers privés. Mais aujourd’hui il faut probablement également travailler sur la ventilation et des systèmes qui améliorent la circulation grâce à des systèmes de ventilation qui sont moins délétères. On ventilait probablement trop; il y a des systèmes avec des pressions positives qui permettent d’améliorer cette ventilation. Je crois que de plus en plus de pompiers sont en train de s’équiper et on va pouvoir avoir là aussi une amélioration.
Prof. Gérard Helft — Oui, il y a beaucoup d’aspects. Nous sommes très en amont sur la reconnaissance par le plus grand nombre possible, sur l’appel, sur savoir réagir. On sait que le plus souvent, l’arrêt cardiaque se fait devant un témoin, souvent de la famille. Le témoin est souvent inactif, ou plutôt, débordé. En fait, il ne sait pas comment réagir. Il y a donc plein de maillons. Là vous parlez, effectivement, de l’intervention des spécialistes qui peut aussi être améliorée. Il y a aussi la réanimation, mais c’est un autre débat qui dépasse la compétence d’un cardiologue.
Dr Dominique Savary — Alors, pas tout à fait. Je vais me permettre d’aller sur ce sujet. Nous, les SAMU, quand on arrive, on fait effectivement des gestes de réanimation qui sont très bien structurés par l’ILCOR — ce sont des recommandations internationales sur lesquelles on s’appuie. Mais, quand on a la chance que le patient fasse une reprise d’activité circulatoire spontanée — et cela représente 30 % de nos patients en SAMU — parfois on se pose la question : « est-ce que je dois l’emmener en salle de coronarographie ? », ou bien « est-ce que je fais l’étape plutôt réanimatoire, je me laisse un petit peu de temps, je fais éventuellement un scanner ? ». Puisque vous êtes angioplasticien : qu’est-ce qu’on doit faire à votre avis ? Est-ce qu’il faut privilégier systématiquement le passage par la salle d’angioplastie comme l’a dit Christian Spaulding?
Prof. Gérard Helft — Oui, c’est clairement la tendance. On ne reprochera jamais à un SAMU de présenter un patient en arrêt cardiaque. Il faut quand même savoir que, si la mort est d’étiologie cardiaque, quelque 80 % des étiologies cardiaques sont d’origine coronaire.
Dr Dominique Savary — Bien sûr.
Prof. Gérard Helft — […] Ensuite, savoir ce qu’il faut faire, c’est une autre question. Mais je pense que la coronarographie s’est quand même simplifiée. C’est sûr que lorsqu’il s’agit d’un patient qui vient de faire un arrêt cardiaque, ce n’est pas une procédure simple. Il faut du monde, il faut un vrai environnement, il faut être prudent − on ne sait pas en quel état sont les reins, donc il ne s’agit pas de faire des injections iodées inutiles, etc. Mais je pense que pour nous, en tout cas à Paris, on considère que la coronarographie presque systématique est recommandée. Et les recommandations vont actuellement dans ce sens.
Dr Dominique Savary — Je suis d’accord avec vous mais, dès qu’on se retrouve en province, c’est plus compliqué, parce que vous n’avez qu’une salle, parfois un environnement où plusieurs départements vont vers ce lieu…
Prof. Gérard Helft — C’est sûr.
Dr Dominique Savary — … et c’est parfois difficile, au milieu du flux de l’infarctus (parce que l’angioplasticien est quand même là) d’arriver à mettre son patient qui vient de faire son arrêt. Est-ce qu’il y aurait des éléments électrocardiographiques, par exemple, qui nous pousseraient à dire « là il faut peut-être le mettre » [en salle de coronarographie]?
Prof. Gérard Helft — Oui, c’est aussi une vraie question. C’est sûr que l’électrocardiogramme n’est pas très spécifique après un arrêt cardiaque. Acontrario, si l’électrocardiogramme est strictement normal, la probabilité de trouver une occlusion coronaire persistante — ça ne veut pas dire que l’arrêt n’est pas dû à une occlusion coronaire − … c’est un tout petit peu moins urgent. Ça reste très difficile de stratifier. Si c’est un homme jeune de 25 ans par rapport à un homme de 60 ans qui a des facteurs de risque, là aussi, on est dans les probabilités habituelles, mais c’est un vrai problème… Je n’ai pas la réponse.
Dr Dominique Savary — Ce patient qu’on vous amène en coro, il a quand même un surrisque hémorragique. Est-ce qu’on doit lui faire les procédures classiques, qu’on fait dans l’infarctus du myocarde ou, plutôt être un peu prudent sur les médicaments qu’on va utiliser — je pense aux antiplaquettaires.
Prof. Gérard Helft — C’est logique d’être prudent. Je pense que d’abord la coronarographie fait le diagnostic. Ensuite, est-ce qu’il faut traiter ou pas traiter, c’est une seconde question. Dans un certain nombre de cas, on a une artère coronaire qui est parfaitement perméable. Il y a une sténose plus ou moins critique qu’on a vue — je ne suis pas sûr qu’on ait la démonstration qu’il faille la dilater à ce moment-là, si l’artère est perméable. Si l’artère est occluse, il faut tout faire pour la désobstruer. C’est sûr que, dans ce cadre-là, il faut faire attention au surrisque hémorragique. C’est sûr que l’utilisation de l’aspiration, qui n’est plus très en vogue actuellement dans le cas standard, peut-être a-t-elle une place un peu à part dans ce cadre-là puisqu’on on peut essayer de restaurer un flux sans trop faire de médicaments hémorragipares.
Dr Dominique Savary — Si on va un peu plus loin : on a parlé de patients jeunes. On a aussi cette catégorie de patients qui sont massés tout de suite, qui font un arrêt devant témoin, qui peuvent arriver sur une ECMO thérapeutique assez rapidement. Qui doit faire cette ECMO thérapeutique? Faut-il les mettre en salle? Quel est votre avis ?
Prof. Gérard Helft — Là aussi ça dépend. Je n’ai pas de réponse univoque. Cela dépend beaucoup des circonstances, enfin plutôt des conditions locales. C’est sûr que nous cardiologues interventionnels, sommes impressionnés par l’amélioration et la vitesse de mise en place de ces systèmes. Il y aura, je pense, dans les années à venir, une facilité, une mise en place de plus en plus fréquente. Alors « où », c’est une autre question. Je crois que vraiment, ça dépend de la structure hospitalière et des gens qui vont la mettre — je crois qu’il faut leur demander ce qui est le plus « facile » pour eux. En tout cas, a priori dans la plupart des structures, notamment parisiennes, ce n’est pas le cardiologue interventionnel qui la met, mais on peut aussi imaginer qu’il la mette dans certaines structures. Nous sommes un peu plus en retrait. On fait ce qu’on nous dit.
Le don d’organes
Dr Dominique Savary — Il y a une filière que vous connaissez probablement moins, c’est la celle des patients DAC, c’est-à-dire des donneurs décédés en arrêt cardiaque pour lesquels on va faire du prélèvement d’organes. Ils sont en train de vraiment se généraliser en France et pour nous urgentistes, ils sont importants parce que — avec les 7-8 % de survie — arriver à pouvoir proposer de la survie à d’autres patients grâce aux reins qu’on a amenés, cela donne une dynamique dans nos équipes qui sont parfois très frustrées de cette prise en charge de l’arrêt cardiaque. Quand les patients sont jeunes et qu’ils n’ont pas de comorbidités — les moins de 55 ans — cela peut être intéressant de rentrer dans ce type de filière pour proposer la greffe et c’est aujourd’hui une autre ouverture de l’arrêt cardiaque pour les autres patients.
Prof. Gérard Helft — Absolument. Et cela va aider à solutionner un autre problème, celui du manque de greffons. C’est un vrai problème de santé publique en France. La Fédération Française de Cardiologie n’est pas tellement sur ce créneau, mais je conçois tout à fait que ce soit un gros enjeu.
Dr Dominique Savary — Gérard, je suis ravi d’avoir discuté avec vous de ce sujet, sujet que l’on partage, cardiologues et urgentistes. Il faudra qu’on continue, dans les années à venir, à partager nos expériences, à continuer à travailler au cours de nos congrès, que ce soit les JE SFC ou au Congrès de Médecine d’Urgence, à la SFMU. Merci de nous avoir écoutés. À très bientôt sur Medscape.
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Citer cet article: Arrêt cardiaque en pré hospitalier: comment améliorer la survie? - Medscape - 13 févr 2017.
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