Paris, France— Des données de plus en plus convaincantes montrent que certaines dépressions sont associées à une inflammation chronique de bas grade. Faut-il désormais intégrer cette donnée en pratique clinique, en particulier dans les formes de dépression résistantes aux traitements ?

Lucile Capuron
Lors de l’édition 2017 du congrès de l’Encéphale 2017, Lucile Capuron (Inra, neurosciences, Bordeaux) a fait le point sur le sujet et répondu aux questions de l’édition française de Medscape [1].
Medscape édition française : Peut-on dire aujourd’hui sans équivoque qu’il existe une forme de dépression liée à l’inflammation?
Lucile Capuron : Aujourd’hui, je crois qu’il n’y a plus de doute. Plusieurs études ont montré que l’inflammation systémique de bas grade non-symptomatique (mesurée par la CRP et l’IL-6, notamment) était associée aux symptômes neurovégétatifs (troubles du sommeil, fatigue et troubles de l’appétit…) thymiques et cognitifs de la dépression [2,3,4,5]. En parallèle, d’autres travaux ont montré que la réponse thérapeutique dans la dépression était associée à une baisse de l’inflammation, notamment des cytokines pro-inflammatoires IL-6, TNFα, IL1RA… [6,7]
Un tiers des patients répondent mal aux antidépresseurs Pour l'OMS, la dépression est la première cause d’incapacité dans le monde. |
Une dépression est dite résistante lorsque l'épisode dépressif persiste malgré deux traitements antidépresseurs bien conduits.
Quels sont les mécanismes qui semblent participer à ces effets dépressogènes de l’inflammation?
L’ensemble des travaux de la littérature confortent la notion que l’inflammation a d’importantes répercutions sur le fonctionnement du système nerveux central et notamment par la mise en en jeu de mécanismes enzymatiques [8].
Les cytokines pro-inflammatoires ont la capacité de modifier certaines enzymes qui vont participer au métabolisme des neurotransmetteurs.
L’une de ces enzymes est l’indolamine 2,3 dioxygenase (IDO) qui est systématiquement induite en condition inflammatoire. Cette enzyme lorsqu’elle est activée va être responsable de la dégradation du tryptophane, un acide aminé précurseur de la sérotonine d’où une diminution de la production de sérotonine au niveau central. En outre, elle va participer à la production de dérivés neurotoxiques (acide quinolonique). Il est donc largement envisageable que cette voie participe à l’apparition de symptômes dépressifs.
Une autre voie ciblée par les cytokines est la voie de la guanosine tryptophate cyclohydrolase 1 (GTP-CH1). En conditions physiologiques, cette voie active la synthèse de tétrahydrobioptérine (BH4) qui participe à la production de tryptophane et de dopamine. En revanche, en conditions inflammatoires, GTP-CH1 va être utilisée non pas pour la production de BH4 mais pour la synthèse de néoptérine, un marqueur de l’activation de l’immunité cellulaire. Là encore, en conditions inflammatoires, on peut penser que ces perturbations peuvent conduire à l’apparition de symptômes neuropsychiatriques.
Les données de la littérature confortent ces hypothèses. Elles montrent qu’en fonction de la voie qui est activée, on observe une expression symptomatique différente. L’activation de la voie IDO serait d’avantage responsable, en conditions inflammatoires, de l’apparition de symptômes de tristesse, d’humeur dépressive, anxiété et idéation dépressive. Alors que l’activation de la voie GTP-CH1, de par sa composante dopaminergique, participe essentiellement au manque de motivation, à l’apathie, au ralentissement et à la lassitude.
L’inflammation dans la dépression est-elle un facteur de risque de mauvaise réponse thérapeutique ?
On sait que les antécédents de stress précoce, les pathologies médicales (diabète, troubles cardiovasculaire, cancers), les troubles de la personnalité/ troubles anxieux, le surpoids/obésité et l’apnée du sommeil sont des facteurs de risque de mauvaise réponse thérapeutique. Or, l’ensemble de ces facteurs de risque ont en commun qu’ils sont associés à une activation des processus inflammatoires. Il est donc fort possible que l’inflammation participe à la mauvaise réponse thérapeutique.
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Citer cet article: Aude Lecrubier. Dépression résistante : faut-il dépister et traiter l’inflammation ? - Medscape - 3 févr 2017.
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