POINT DE VUE

Ben Stiller, Angelina Jolie : quels messages pour le dépistage du cancer ?

Dr Manuel Rodrigues

Auteurs et déclarations

24 janvier 2017

Le blog du Dr Manuel Rodrigues – Oncologue

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En octobre dernier, Ben Stiller annonçait qu’il avait été atteint d’un cancer de la prostate à 46 ans, et subi une prostatectomie radicale deux ans plus tard.
En 2013, Angelina Jolie annonçait sa mastectomie et annexectomie.
Dans le premier cas, il s’agissait d’un cancer frappant une personne exceptionnellement jeune : le pic de diagnostics de cancer de la prostate se situe 20 ans plus tard.
Dans le second cas, il s’agissait d’une prédisposition (BRCA1/2) malgré tout heureusement rare.
Or, dans les deux cas, le discours public tendait à faire de ces cas très particuliers des généralités.

L’histoire personnelle que raconte Ben Stiller a de quoi frapper les esprits.
A 46 ans, alors qu’il n’a aucun antécédent familial, aucun symptôme, son médecin demande un dosage du PSA, « hors recommandations ». Un PSA élevé est découvert, puis surveillé durant 18 mois. Après trois augmentations, une biopsie est réalisée, qui montre un grade intermédiaire (Gleason 7). Une prostatectomie radicale est réalisée à 48 ans.

C’est une très bonne chose que Ben Stiller raconte son parcours, souligne le Dr Rodrigues. Le toucher rectal, les biopsies, la prostatectomie radicale, et ses conséquences, notamment sur le plan sexuel : « ce témoignage est extrêmement important et intéressant pour démystifier, lever des tabous ».

Le problème est que Ben Stiller s’aventure ensuite sur le terrain de la santé publique, en prônant le dépistage systématique, avant 50 ans, en soulignant combien il est chanceux d’avoir eu un médecin qui, lui prescrivant un PSA hors recommandations, lui a sauvé la vie.

En premier lieu, rien ne prouve que si le dépistage avait été réalisé à 50 ans, conformément aux recommandations américaines, le pronostic eut été différent.

En second lieu, la généralisation en population générale, du cas très particulier de Ben Stiller, est simplement un discours faux en santé publique, qui vient « briser des programmes d’éducation thérapeutique, et un travail parfois de plusieurs années de relation thérapeutique médecin-patient ».

Hasard du calendrier, alors même que Ben Stiller annonçait sa maladie, le New England Journal of Medicine publiait une étude britannique ( ProtecT Trial ) montrant que chez des hommes de 50-69 ans, chez lesquels un cancer de la prostate localisé avait été dépisté par PSA, une surveillance active, une prostatectomie radicale et une radiothérapie donnaient les mêmes résultats en termes de survie à 10 ans : 99% [1].

Il est possible qu’existent des sous-groupes de patients pouvant tirer bénéfice de la stratégie chirurgicale, note le Dr Rodrigues. Mais globalement, l’étude est en contradiction complète avec le discours de Ben Stiller. Et d’autant plus qu’une seconde partie de l’étude ProtecT, publiée dans le même numéro du NEJM, montre que les effets secondaires, eux, n’ont rien de comparables entre les trois bras [2].

Second cas récent qui a largement défrayé la chronique : Angelina Jolie, qui en 2013 avait annoncé sa double mastectomie et son annexectomie prophylactique pour cause de mutation BRCA1/2.

Le choix médical est ici à la fois plus délicat et plus difficile à critiquer que dans le cas de Ben Stiller. Il est en revanche très éclairant quant à l’impact que peut avoir, sur le public, les prises de parole des stars sur leur cancer.  

Dans le British Medical Journal, deux auteurs ont repris les données américaines sur les tests génétiques BRCA1/2 et les mastectomies effectuées avant et après l’annonce de l’actrice [3]. Le « Jolie effect » est clair : dans les  jours qui suivent l’annonce, et durant des mois, le nombre de dépistage génétique va augmenter franchement par rapport à la période précédente. En revanche, le taux de mastectomie réalisée pour cause de mutation BRCA1/2, va diminuer.
Après l’article signé par Angelina Jolie dans le New York Times, l’excès de dépistage génétique a donc concerné des femmes à moindre risque que la population réalisant habituellement le test.

Qu’il s’agisse de Ben Stiller ou d’Angelina Jolie, « il est important de témoigner pour la population », conclut le Dr Rodrigues. Mais peut-être faudrait-il « préparer le message avec des médecins, pour ne pas lancer de polémique inutile, et rendre plus confus un sujet qui n’est déjà pas simple ».

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