
Catherine Hill
Villejuif, France -- Dans un article de synthèse publié sur le site de l'Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS), Catherine Hill (épidémiologiste et biostatisticienne, Gustave Roussy) revient sur l'essai mené à Rennes par Biotrial pour le laboratoire Bial et les conclusions qui en ont été tirées par les autorités [1]. Ce papier intitulé «Essai thérapeutique chez Biotrial à Rennes: les leçons d’une affaire étouffée» met en évidence plusieurs questions restées sans réponse.
Des rapports peu critiques
L'article commence par un résumé du protocole de l'essai clinique, rassemblant lui-même pour mémoire quatre études dans un schéma que nous avions qualifié dès sa publication d'étonnant par son ampleur et son organisation en forme de poupées russes (voir notre article Essai Bial/Biotrial : irrégularités dans le protocole?).
C Hill rappelle ensuite les conclusions des enquêtes diligentées par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM).
«Globalement, ces enquêtes administratives ont trouvé assez peu à redire à la conduite des essais ». « Les experts nommés par l’ANSM ont conclu dans leur rapport (rapport du Comité Scientifique Spécialisé Temporaire (CSST) que c’était bien le produit qui était en cause».
« Les critiques de l’enquête de l’IGAS, missionnée sur l’ensemble du dossier (conditions d’autorisation de l’essai clinique, respect des dispositions de recrutement des volontaires sains, modalités de réalisation de l’essai et de signalement d’événements indésirables graves) portent exclusivement sur la gestion de crise ». Enfin, « ni l’ANSM ni la Commission de protection des personnes (CPP) de Brest ne sont mis en cause, le protocole et sa validation par les deux organismes étant jugés conformes à la réglementation ».
Indépendance ou conflits d'intérêts?
« Les enquêtes ont été faites par des personnes qui dépendent de l’agence et du ministère des affaires sociales et de la santé or l’agence, et donc le ministère, sont impliqués dans l’affaire. Les inspecteurs de l’IGAS déclarent s’être appuyés sur l’expertise de l’ANSM », souligne C Hill.
Dans ces conditions, quid de l'indépendance des enquêteurs ?
Questions sans réponses
Plusieurs points continuent à poser questions, selon C Hill.
- Pas de délai entre les sujets : « Pourquoi continue-t-on à administrer simultanément à six personnes un produit nouveau à une dose jamais testée sur l’Homme ? ... L’Agence Européenne du Médicament en 2007 a recommandé d’inclure les sujets un par un. Malgré cela, l’IGAS et l’ANSM considèrent cette mesure comme optionnelle, son application dépendant de l’évaluation du niveau de risque « pressenti »" notion non définie. La règle devrait être la prudence, et son non-respect une exception à argumenter » note C Hill.
- Non information des volontaires après l'accident: « Comment une équipe médicale qui a administré un produit à une personne à une dose jamais testée sur l’Homme, ...peut-elle s’abriter derrière le secret médical pour ne pas s’enquérir de la santé du patient transféré ? Et comment invoquer le fait que le lien de cause à effet n’était pas établi pour ne pas informer les patients ? »
- Imprécision du protocole : « Comment l’ANSM et la CPP ont-ils accepté un protocole ...ne précisant les doses que pour le premier essai, laissant ainsi carte blanche aux expérimentateurs pour les trois essais suivants ? Sur quelles bases et par qui ont été déterminées les doses du troisième essai? » s’interroge encore C Hill.
- Devenir des patients: « Pourquoi l’IGAS ne s’est-elle pas procurée le dossier du patient hospitalisé aux urgences de l’hôpital de Rennes le 10 janvier ? Elle semble faire reposer son analyse sur un narratif fourni par Biotrial...or les descriptions des communications entre Biotrial et le CHU de Rennes le dimanche soir sont discordantes ». Enfin, « pourquoi les deux enquêtes ne se sont-elles pas intéressées au devenir des autres volontaires exposés à six fois 50 mg, ni à celle des sujets exposés aux paliers de dose inférieurs ? »
Tirer les leçons de l'affaire
Pour C Hill, les leçons de cette tragique histoire devraient être:
- l’échelonnement systématique de l’inclusion des sujets dans les essais de phase 1 et l'abandon de la notion de « risque identifié » dans les essais de phase 1. Pour elle, « tout événement grave survenant au cours d’un essai de phase 1 doit être, jusqu’à preuve du contraire, considéré comme attribuable au produit testé. »
Dans un article de Médiapart revenant sur l'affaire, C Hill va même plus loin [2]. Pour elle, « après le Mediator, rien n’a changé à l’agence. Ils n’ont pas cherché à comprendre ce qui n’allait pas. L’affaire de Biotrial à Rennes est un exemple tragique de ce qui ne fonctionne pas ».
REFERENCES :
1. Hill C. Essai thérapeutique chez Biotrial à Rennes: les leçons d’une affaire étouffée. SPS n°318, octobre 2016.
2. de Pracontal M. "L’épidémiologiste Catherine Hill: «L’Agence du médicament s’aveugle elle-même…». Médiapart 27 octobre 2016
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Citer cet article: Pascale Solère. Biotrial/Bial: les leçons de l'essai mortel de Rennes, une affaire "étouffée" - Medscape - 24 nov 2016.
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