POINT DE VUE

Comment dépister les nodules thyroïdiens?

Pr Laurence Leenhardt, Dr Boris Hansel

Auteurs et déclarations

16 décembre 2016

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Enregistré le 22 septembre 2016, à Paris

Peut-on parler d’« épidémie » de nodules thyroïdiens? Quels sont les groupes de patients à risque? En quoi consiste le dépistage? Le Pr Laurence Leenhardt, chef de l’Unité Thyroïde et Maladies Endocriniennes à l’Institut d’Endocrinologie de la Pitié-Salpêtrière, répond aux questions de Boris Hansel, endocrinologue à l’Hôpital Bichat.

Voir partie 2 : Comment traiter les nodules thyroïdiens?

TRANSCRIPTION

Boris Hansel : Bonjour et bienvenue sur Medscape pour une émission consacrée aux nodules de la thyroïde.

Les nodules thyroïdiens sont des hypertrophies nodulaires, c.-à-d. des petites tumeurs situées à l’intérieur de la thyroïde. Si dans la plupart des cas ces nodules sont parfaitement bénins, dans 5-10% des cas, ils contiennent des cellules cancéreuses. La fréquence est importante, elle augmente avec l’âge, et les nodules sont beaucoup plus fréquents chez la femme que chez l’homme. Pour fixer les idées, à 60 ans, une femme sur deux présente un ou plusieurs nodules de la thyroïde. Alors comment faut-il dépister, explorer et traiter ces nodules? Nous allons en parler avec le professeur Laurence Leenhardt, chef de l’Unité Thyroïde et Maladies Endocriniennes à l’Institut d’Endocrinologie à la Pitié-Salpêtrière.

QUEls sont leS groupes à risque?

Boris Hansel : Les nodules, on a finalement l’impression que tout le monde en a. Est-ce qu’effectivement tout le monde a un nodule dans la thyroïde?

Laurence Leenhardt : Non, pas tout le monde, mais c’est une pathologie fréquente et bénigne dans la majorité des cas. La fréquence de ces nodules, c’est vrai, est très liée à la façon dont vous allez les dépister. L’imagerie est un grand pourvoyeur de nodules thyroïdiens et la fréquence augmente avec l’âge. Donc avec ces deux mécanismes, on a une véritable épidémie de nodules thyroïdiens.

Boris Hansel : Une épidémie? On peut parler d’épidémie?

Laurence Leenhardt : Épidémie de nodules thyroïdiens, et du coup aussi de microcancers thyroïdiens, de par l’augmentation des techniques et l’utilisation large des techniques de dépistage, d’échographie, d’imagerie, de ponction…

Boris Hansel : Quand on enseigne la médecine aux étudiants, on leur apprend à palper la thyroïde. Vu la fréquence de ces nodules − vous dites qu’on en détecte de plus en plus et on va voir que ce n’est pas forcément bien d’en détecter autant – faut-il examiner, palper la thyroïde dans l’examen clinique des gens en médecine générale?

Laurence Leenhardt : C’est utile. Maintenant, c’est encore mieux de faire sa palpation après un interrogatoire orienté : est-ce qu’il y a des facteurs de risque de nodule thyroïdiens ou de cancer thyroïdien dans la famille? 

Boris Hansel : Quels sont ces facteurs de risque?

Laurence Leenhardt : Les facteurs de risque de cancer thyroïdien, ce sont avant tout un antécédent d’irradiation cervicale dans l’enfance. C’est quand même assez rare, mais il faut encore poser la question.

Boris Hansel : Par exemple, un lymphome dans l’enfance.

Laurence Leenhardt : Voilà. C’est vraiment le seul facteur qui ait vraiment démontré un lien entre l’irradiation et la création du cancer thyroïdien. Après, il y a des facteurs comme l’obésité ou des facteurs hormonaux avec des risques relatifs qui sont plus faibles, évidemment.

Et surtout, la famille : les antécédents familiaux vont être intéressants à recueillir pour orienter.

Après cet interrogatoire, on a l’inspection du cou : la patiente est devant vous – ce sont généralement plus des femmes que des hommes − et vous allez lui demander d’avaler et voir déjà si on a un goitre visible à l’inspection ou un nodule visible dès la déglutition.

DÉPISTAGE : SYSTÉMATIQUE OU PAS?

Boris Hansel : On sait que l’examen clinique de la thyroïde n’est pas forcément très facile, surtout pour les personnes qui ne sont pas spécialistes. Finalement, on ne trouve un nodule que dans 5% des cas. Est-ce que si on fait une échographie, on retrouvera plus fréquemment un nodule? Doit-on faire une échographie chez toutes les personnes à risque? Parce que si on se contente de les palper, on va passer à côté de beaucoup de nodules…

Laurence Leenhardt : Alors vous abordez la question du dépistage systématique. Autant pour le cancer du sein, cela a eu un intérêt évident puisqu’il y a eu une étude récente qui montre que pour mille femmes de 50 ans qui ont subi un dépistage systématique du cancer du sein à partir de 40 ans tous les ans, il y en aura 3 qui vont être sauvées, 3 qui vont être sur-diagnostiquées, et 600 qui vont avoir des fausses alertes. Donc c’est quand même intéressant de voir que 3 personnes sont sauvées sur 1000. Ceci est dans le domaine du cancer du sein. A-t-on un tel impact si on fait un dépistage systématique en matière de cancer thyroïdien? Il n’y a pas d’impact sur la mortalité (on parle médicalement en années de survie). On ne recommande donc pas le screening systématique de tous les cancers thyroïdiens. Lorsqu’on arrive à une situation que certains pays ont testée, comme la Corée, où ils ont mis en place un dépistage systématique échographique en 1993, ils ont eu une épidémie de micro cancers thyroïdiens. Ils ont dû arrêter 10 ans après et ont vu la fréquence des thyroïdectomies et des cancers thyroïdiens baisser.

Boris Hansel : On n’a donc pas sauvé des vies avec ces examens.

Laurence Leenhardt : Voilà. Le but étant : que veut-on dépister et que veut-on faire? Quand on parle de screening, on essaye qu’il y ait un rapport coût-efficacité en faveur du patient, c’est-à-dire qu’on le sauve ou qu’on lui apporte des années de survie de qualité et non pas une hyper-médicalisation qui va l’angoisser et ne pas lui donner de bénéfices réels. Donc en matière de dépistage systématique échographique des nodules thyroïdiens, ma réponse est non. En revanche, sur des groupes à risque − de cancers thyroïdiens familiaux par exemple, de radiations cervicales, de polyposes coliques familiales connues, de facteurs de risque de cancer thyroïdien −  après un interrogatoire et une palpation, c’est tout-à-fait judicieux de faire une échographie thyroïdienne.

DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE

Boris Hansel : Prenons le cas classique : on a découvert un ou des nodules thyroïdiens avec une échographie thyroïdienne, soit parce qu’on a orienté ce dépistage par l’existence de facteurs de risque de cancer, soit parce qu’on est tombé dessus par hasard (par exemple à l’occasion d’un écho Doppler artériel des troncs supra-aortiques, ce n’est pas rare). Quelle est la démarche?

Laurence Leenhardt : Tout d’abord il faut faire un simple dosage de TSH − isolément, ce n’est pas la peine de faire les hormones libres − pour vérifier que le fonctionnement thyroïdien est normal. En cas d’hyperthyroïdie, le problème est différent, le premier examen demandé est une scintigraphie thyroïdienne à l’iode 123. Mais disons que si la TSH est normale, on va à l’échographie thyroïdienne pour établir le risque de malignité de ce nodule grâce à des critères échographiques qui ont maintenant bien progressé et qui sont bien structurés, avec un risque croissant en fonction des signes observés.

Boris Hansel : Il y a quelques années, on disait qu’il fallait ponctionner tous les nodules de 10 mm − c’est ce qu’il me semble avoir appris pendant mes études en médecine, et puis je sais qu’on a beaucoup évolué. Aujourd’hui, on ne ponctionne pas tous les nodules.

Laurence Leenhardt : Surtout pas! Surtout pas si on veut éviter ce sur-diagnostic inutile et exposer les gens à des cytoponctions inutiles. Il faut en effet sélectionner les patients à ponctionner, l’objectif étant vraiment de dépister des cancers avec un plus faible pourcentage de personnes amenées à la thyroïdectomie, avec au sein de cette proportion de patients opérés, une proportion élevée de cancers dépistés avant par la cytologie. Si on regarde une enquête récente des données d’assurance maladie de 2010, sur 35 000 thyroïdectomies, il y avait seulement 17% de cancers pour nodules thyroïdiens et seulement 30% des patients avaient bénéficié d’une cytoponction avant la chirurgie. Donc on a encore à s’améliorer sur le circuit de soins avant de poser l’indication d’une chirurgie thyroïdienne.  

Boris Hansel : Ce qui veut donc dire que, 1) on n’opère pas si on n’a pas fait une cytoponction, et 2) on ne fait pas de cytoponction à tout le monde.

Laurence Leenhardt : Voilà. Je pense qu’il faudrait peut-être détailler les indications de cytoponction.

Boris Hansel : On voit sur cette image (ndlr: voir TI-RADS) que les indications aujourd’hui sont très bien définies. Vous pourrez la regarder en détail parce qu’il y a beaucoup de critères, c’est un petit peu compliqué au premier abord. On voit qu’il y a les facteurs de risque de cancer dans la famille qui poussent à ponctionner plus facilement un nodule. Il y a également la taille au-delà de 20 mm, et puis après ce sont des scores qui ont été établis il y a quelques années, le score TI-RADS.

Laurence Leenhardt : TI-RADS est un score de malignité qui est dérivé du score BI-RADS, « b » comme « breast » qui vient donc du cancer du sein. C’est l’analogie avec le risque de malignité d’un nodule du sein. Donc cela a été décliné pour la thyroïde par de nombreuses équipes coréennes, européennes, américaines… Enfin, les américains ont fait leur classification personnelle, mais disons que tout cela est assez proche, et nous sommes actuellement au niveau européen en train de fusionner ces classifications pour proposer quelque chose de très simple qui s’exprime donc en TI-RADS européen.

  • Les TI-RADS 2 sont des kystes bénins, des nodules très spongiformes échographiques, donc il n’y a pas de risque de cancer, il n’y a pas à ponctionner.

  • Les TI-RADS 3 sont des nodules qui sont solides, hyperéchogènes ou isoéchogènes bien limités, et là aussi on ne ponctionne que si plus de 2 cm ou s’il y a une évolution échographique.

  • Et puis on rentre après dans les TI-RADS 4 et 5. TI-RADS 4, il y a une subtilité (4a, 4b) en fonction de la présence de deux ou plusieurs signes de suspicion. Alors quels sont ces signes de suspicion? C’est un nodule qui est échographiquement plus épais que large, qui est mal limité, avec des contours qui sont parfois festonnés ou spiculés ou carrés, qui est solide, hypoéchogène − avec une hypoéchogénicité marquée − et qui peut éventuellement présenter un gradient de dureté à l’élastographie (bien que cette technique soit un peu discutée), et des microcalcifications.

Boris Hansel : C’est l’échographiste qui est censé nous donner le résultat − rassurez-nous, on n’est pas obligé de regarder les clichés pour décider du stade TI-RADS. Donc une bonne échographie thyroïdienne doit nous donner le score pour chaque nodule.

Laurence Leenhardt : Voilà. Retenez : microcalcification, forme du nodule – plus épais que large – contour et hypoéchogénicité marquée. Ce sont les principaux signes qui vont vous permettre d’évaluer le risque de cancer de votre patient et lui proposer une cytoponction adaptée.

INTÉRÊT DE LA CYTOPONCTION

Boris Hansel : Terminons brièvement sur ce que nous apporte la cytoponction. Donc on a fait l’échographie − elle nous a classé le nodule avec le risque théorique de validité – et on a la cytoponction. Les deux examens vont nous permettre de décider ensuite du traitement à adopter, c’est cela?

Laurence Leenhardt : Absolument. Donc la cytoponction va être réalisée, c’est un geste simple, indolore qui ne nécessite pas de préparation particulière, pas d’anesthésie locale. Dans 5 à 10% des cas, il faut prévenir le patient que le geste peut échouer, donc pas assez de matériel pour pouvoir analyser. Dans ce cas-là, il faut le refaire 3 à 6 mois après. Et puis quand les résultats sont contributifs, nous avons globalement 3 classes :

  • la classe majoritairement de cas bénins; 85% des patients, heureusement, ont des pathologies bénignes et il n’est pas nécessaire de renouveler cette ponction sauf si l’échographie montre des modifications dans le suivi ultérieur.

  • la classe « franchement malin », qui incite un contrôle histologique de la lésion en proposant au patient une chirurgie thyroïdienne.

  • les classes intermédiaires, où il y a un degré de malignité croissant avec trois classes.

Boris Hansel : Merci beaucoup pour cette première partie. On va se retrouver dans une deuxième partie de cette émission pour aborder le traitement de ces nodules thyroïdiens. Et vous verrez qu’il y a des techniques innovantes qui commencent à apparaitre et qui seront bientôt à notre disposition. Merci.

 

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