Boston, Etats-Unis – Sale temps pour les lobbys : après les révélations sur le poids que l’industrie sucrière a fait peser sur la recherche scientifique pour incriminer le cholestérol, et dédouaner le sucre, deux chercheurs de l’Université de Boston viennent de dresser la liste de 96 associations, sociétés savantes et autres organisations impliquées dans la santé publique – et non des moindres – qui ont reçu des financements en provenance des deux géants de l’agro-alimentaire que sont Coca cola et Pepsi Cola [1].
Des révélations choquantes, quand on sait que ces millions de dollars ont permis d’ étouffer des projets de loi visant à revoir à la baisse la consommation de sodas, lesquels participent pour une bonne part à l’épidémie d’obésité et de maladies cardiovasculaires qui sévit aux Etats-Unis. Des travaux qui montrent aussi que les leçons du passé – à savoir le sponsoring utilisé comme outil marketing par les cigarettiers et les alcooliers pour impacter la santé publique avec des millions de morts à la clé – n’ont pas été retenues.
Epidémie d’obésité versus lobbying
Comment imaginer que l’American Diabetes Association, l’American Heart Association (AHA), l’American College of Cardiology ou encore l’American Society for Nutrition (ASN) aient pu accepter d’être sponsorisées par deux géants de l’industrie des sodas quand l’épidémie d’obésité sévit aux US – en 2012, 35% des adultes américains étaient obèses et 69% étaient en surpoids ou obèses – et que les américains détiennent le record de consommation de sodas par tête d’habitants ? Et pourtant, les données collectées par Daniel Aaron et Michael Siegel et publiées dans l’American Journal of Preventive Medicine en témoignent : ces associations médicales, sociétés savantes et près d’une centaine d’autres ont largement bénéficié des subsides de Coca Cola et Pepsi entre 2011 et 2015.
Et ce n’est pas tout, « alors qu’on s’attendrait à ce que les organisations médicales ou traitant de la santé prennent des décisions pour réduire la consommation des boissons sucrées [étant donné leur rôle délétère sur la santé], il a été rapporté qu’un certain nombre d’entre elles se sont au contraire défaussées de cette responsabilité en se retranchant du débat public dès qu’ il s’agissait de réduire la consommation des sodas, en s’opposant à la législation sur ces boissons, voire même en collaborant avec ces entreprises pour fournir du matériel éducatif conjoint » rapportent les chercheurs dans l’article. Comment expliquer une telle attitude sinon en considérant que ces financements reçus de l’industrie agro-alimentaire ont biaisé les comportements et influencé leur position – comme a pu le faire l’industrie du tabac en son temps.
96 organisations américaines concernées
Pour vérifier leur hypothèse, les deux chercheurs de Boston ont fait appel au moteur de recherche Google, et recherché de façon systématique tous les documents qui mentionnaient Coca cola et Pepsi ainsi qu’une série de termes en rapport avec la santé et le mode de financement, sur la période s’étalant entre 2011 et 2015. Leur objectif était clair : rendre visible le poids du lobbying en dressant un catalogue le plus exhaustif possible de la nature et de l’étendue du « sponsoring ». Par ailleurs, ils ont examiné la façon dont les 2 firmes ont influé sur la législation visant à prévenir l’obésité. Pour ce faire, les deux chercheurs ont utilisé un traqueur de lobbying intitulé www.OpenSecrets.org et bénéficié de l’ « opération transparence » mise en place par Coca Cola (après l’affaire du Global Energy Balance Network, voir encadré) donnant accès à leur documents de sponsoring.
Et les résultats sont à la hauteur de leurs efforts : 96 organisations américaines du domaine de la santé ont accepté des financements en provenance de Coca Cola (83%), de Pepsi (1%) ou des deux (13%). Pepsi a donc sponsorisé 14% de ces divers organismes et Coca Cola 99%. Rien ne permet pour autant d’affirmer que Pepsi soit plus vertueux que Coca, la difficulté d’accès à leurs informations ayant trait au sponsoring (contrairement à Coca cola) pouvant très bien expliquer l’ « artefact » et entrainer, de fait, une évidente sous-estimation de l’ampleur du problème.
Global Energy Balance Network ou quand Coca Cola impacte la recherche Si l’affaire n’a pas fait beaucoup parler d’elle en France, elle a fait scandale aux Etats-Unis l’été dernier quand le New York Times a révélé que Coca-Cola avait sponsorisé un groupe de recherche de l’University of Colorado School of Medicine, du nom de Global Energy Balance Network, dont le but était de minimiser le rôle de l’alimentation au profit du sport comme solution à l’obésité [2]. Cette « fausse perception » entretenue par le marketing des industries agroalimentaires « qui utilisent des tactiques similaires à celles de l'industrie du tabac » a été dénoncée par des chercheurs qui, dès avril 2015, affirmaient dans un éditorial du British Journal of Sports Medicine : « la promotion des boissons sucrées et la banalisation d'une mauvaise alimentation à travers le sport doivent cesser », ajoutant « cette manipulation par le marketing sabote les interventions gouvernementales, qui visent notamment à introduire une taxe sur les boissons sucrées ou interdire la publicité concernant des aliments mauvais pour la santé ». Cette affaire d’astroturfing – organisation écran masquant une opération de sponsoring - a, par ailleurs, été rappelée par la nutritionniste new yorkaise Marion Nestle dans un récent éditorial évoquant l’influence des lobbys sur la recherche [3]. |
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Citer cet article: Stéphanie Lavaud. Comment Coca et Pepsi influencent la santé aux Etats-Unis - Medscape - 3 nov 2016.
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