POINT DE VUE

Grandes nouveautés dans le traitement des sarcomes

Pr Jean-Yves Blay, Pr Olivier Mir

Auteurs et déclarations

7 novembre 2016

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Enregistré le 10 octobre 2016, à Copenhague, Danemark

L’ESMO 2016 aura été un congrès très riche dans le domaine des sarcomes, avec notamment l’utilisation de la chimiothérapie néo-adjuvante qui pourrait conduire un changement majeur des pratiques, et les bénéfices de la trabectédine.

TRANSCRIPTION

Jean-Yves Blay : Bonjour et bienvenue sur Medscape, en direct de l’ESMO 2016. Je m’appelle Jean-Yves Blay, je suis oncologue médical au Centre Léon Bérard à Lyon. Avec Olivier Mir, oncologue médical travaillant à Gustave-Roussy, nous allons commenter et discuter de nos coups de cœur sur le thème des sarcomes. Alors [il y avait] plusieurs sujets d’intérêt et notamment, potentiellement, des changements de pratique. Lequel a retenu ton attention en premier lieu?

CHIMIOTHÉRAPIE NÉOADJUVANTE: VERS UN CHANGEMENT DE PRATIQUE MAJEUR

Olivier Mir : Je pense que le premier changement de pratique, c’est l’utilisation de la chimiothérapie néoadjuvante qui avait été un peu délaissée dans les sarcomes des tissus mous, suite à une étude qui était négative pour des tumeurs qui étaient potentiellement résécables. C’est une étude [1] initiée par le groupe sarcome italien qui comparait une chimiothérapie, on va dire conventionnelle − anthracycline + ifosfamide, 3 cycles avant d’opérer − à des chimiothérapies plus choisies et sélectionnées en fonction du sous-type histologique, puisque les sarcomes des tissus mous ce sont plus de 50 maladies différentes.

Cette étude avait pour hypothèse statistique un bénéfice de la chimiothérapie choisie en fonction du sous-type histologique. Et elle démontre non seulement l’intérêt de la chimiothérapie à base d’anthracycline et d’ifosfamide comparativement à celle choisie en fonction du sous-type avec un bénéfice en survie globale, mais elle va également changer notre pratique au quotidien puisque elle va devenir un standard à utiliser pour toute la population de patients qui était dans cette étude, c’est-à-dire des gens qui avaient un sarcome de tissu mou de haut grade, des membres ou de la paroi. On excluait les sarcomes rétro-péritonéaux et les sarcomes viscéraux. Donc c’est le changement de pratique majeur, puisqu’aujourd’hui il sera difficilement, sauf comorbidité importante, évitable de proposer ce type de traitement dans les sarcomes des tissus mous.

Alors c’est vrai qu’historiquement, pour la chimiothérapie néoadjuvante, en cancérologie, pas seulement dans le traitement des sarcomes, la première démonstration est dans les ostéosarcomes, avec une indication théorique qui est de se dire « on va laisser un petit peu de temps aux chirurgiens pour faire préparer la prothèse qui en général est faite sur mesure, et on va en profiter pour administrer ce traitement qui va avoir une action sur la maladie micro métastatique ». Dans les sarcomes de tissus mous, il n’y a pas la contrainte du timing de la chirurgie, en tout cas c’est moins marqué, on n’a pas de matériel à préparer. Mais la question se pose de savoir d’où vient finalement ce bénéfice? Est-ce que cela vient de l’action sur la maladie micro métastatique circulante, ou est-ce que c’est la possibilité de rendre la tumeur opérable de façon plus adéquate, donc R0, qu’elle ne l’aurait été avant le traitement?

Jean-Yves Blay : Est-ce que pour le coup, ça va changer l’organisation même des centres de référence, en décalant et en programmant la chirurgie? C’est un impact majeur. Pour autant, le choix de la chimiothérapie est un choix un peu atypique, ce n’est pas celui qu’on faisait d’habitude. Est-ce que tu penses que l’adriamycine + ifosfamide va rester, ou on va utiliser l’épirubicine + ifosfamide?

Olivier Mir : Alors, l’épirubicine est une habitude très méditerranéenne. L’étude est à l’initiative du groupe sarcome italien. On a l’habitude de l’utiliser en cancérologie en France. Je ne pense pas qu’il y ait vraiment une différence colossale entre l’épirubicine et la doxorubicine. L’une est plus lipophile que l’autre. Les doses sont globalement différentes, mais à la fin les principes actifs sont les mêmes. Donc je pense qu’on va rester sur doxorubicine et ifosfamide. En revanche, c’est vrai qu’en termes d’organisation, on va avoir plus de patients en hospitalisation conventionnelle pour ces chimiothérapies, c’est certain. Et d’autre part, cela va rendre nécessaire la présentation des dossiers avant de faire le choix d’aller vers la chirurgie ou pas. Ce qui rend encore un fois nécessaire le fait d’adresser les patients dans des centres de référence de prise en charge des sarcomes. Pour la relecture, puisque finalement on a montré un bénéfice dans les tumeurs de haut grade − mais le fait d’avoir le grade 2 ou le grade 3 va permettre de faire basculer dans un groupe ou dans l’autre − avec encore une fois les limites de la biopsie, puisque parfois on a une tumeur qui apparait de grade 2 sur une biopsie dans les limites du prélèvement effectué et dont on saura à posteriori qu’elle est de grade 3. Et là je pense qu’on ne s’orientera pas vers une chimio postopératoire, parce que pour le coup, on a quand même des données assez convaincantes pour montrer que la chimiothérapie en postopératoire n’amène pas de bénéfices, sur la survie globale, en tout cas.

Jean-Yves Blay : Alors, le bras expérimental qui se retrouve inférieur au bras dit standard, c’est une grande leçon de modestie sur notre développement de thérapeutique adaptée. Tous les bras ne sont pas équivalents, ceci étant, puisque l’étude se continue avec la trabectédine pour les liposarcomes myxoïdes.

LA TRABECTÉDINE FAIT MIEUX QUE DE MEILLEURS SOINS DE SUPPORTS

Jean-Yves Blay :  Et justement cette année à l’ESMO 2016, il y avait une étude importante sur la trabectédine[2], en phase avancée cette fois-ci.

Olivier Mir : On a déjà plusieurs études dans la littérature sur l’utilisation de la trabectédine, plusieurs gros essais randomisés. Mais cette étude a ceci de particulier, qu’elle a été demandée par les autorités de santé en France, notamment pour appuyer le remboursement de la trabectédine dans l’indication sarcome, puisque le remboursement dans l’indication ovaire n’est pas remise en cause. Cette étude comparait trabectédine à plus / meilleurs soins de support, avec la possibilité pour les patients initialement randomisés vers les soins de support seuls d’accéder à la trabectédine dans un second temps. L’objectif principal était la survie sans progression et l’étude démontre ce qu’on ressentait déjà un petit peu au travers des autres études mais qui n’avait pas une démonstration limpide d’un point de vue méthodologique : la trabectédine fait mieux que les meilleurs soins de support en termes de survie sans progression. Naturellement, on n’a pas encore les données de survie globale puisque c’est une étude qui est relativement récente, mais on a maintenant la démonstration effective que la trabectédine fait mieux que les meilleurs soins de support, même si on avait déjà des démonstrations relativement convaincantes dans les études précédentes, vis-à-vis des comparateurs comme la dacarbazine ou d’autres traitements. Donc ça va permettre, si on suit la logique de la demande qui avait été faite par les autorités de régulation, d’avoir un remboursement en France qui permettra de faire accéder un maximum de patients atteints de sarcome des tissus mous à la trabectédine, encore une fois dans un contexte de deuxième ligne ou au-delà. 

Jean-Yves Blay : Alors, l’étude portait sur tous les sarcomes, la différence est majeure sur les sarcomes L, rassemblés d’ailleurs de manière un peu arbitraire par la première lettre de leur nom. Il y a eu peu de sarcomes à translocation concernant l’étude japonaise qui avait montré une différence également importante. Alors doit-on considérer que la trabectédine est finalement réservée dans cette situation aux lipo-, léio- et sarcome à translocation?

Olivier Mir : Déjà le concept de L-sarcoma est effectivement très gênant, cela ne résonne pas de façon très scientifique de classer les sarcomes en fonction de la première lettre du nom qui a été utilisé pour des classifications qui sont plus morphologiques qu’autre chose. Partir sur un rationnel biologique pour se dire que cela va être plus efficace dans un sous-type donné, donc se dire qu’on va partir sur les sarcomes à translocation, parait déjà une indication raisonnable. Maintenant je pense que les effectifs sont tellement faibles sur les autres groupes que c’est difficile de restreindre la prescription aux patients qui sont atteints de sarcome à translocation, et de liposarcome, et de léiomyosarcome. On a tous des histoires de chasse qui nous démontrent que dans des sous-types rares, on peut avoir des réponses relativement spectaculaires. Le libellé de l’autorisation de mise sur le marché, en France en tout cas, était sans restriction sur le sous-type histologique. Donc je pense que, oui, on a la force de démonstration sur certains types donnés, mais dans un contexte où on a relativement peu d’options thérapeutiques à proposer en deuxième, troisième, quatrième lignes (même si l’arsenal s’est un peu étoffé ces derniers mois), en fonction du libellé qui sera donné à une future autorisation de remboursement, on aurait plutôt tendance à traiter tous les sarcomes des tissus mous.

NÉGATIVITÉ DE L’EVOFOSFAMIDE EN PHASE 3

Jean-Yves Blay : Une autre information d’importance cette année en oral, qui est une information plutôt négative cette fois-ci, c’est la négativité de l’étude TH302 evofosfamide, qui était un peu une surprise[3]. On avait des résultats en phase 2 qui étaient vraiment très encourageants. La phase 3, pourtant étendue en nombre de patients pour essayer d’avoir plus de puissance pour mettre en évidence une différence en survie, s’avère plutôt négative. Quelle est ton impression et comment peut-on analyser ce résultat?

Olivier Mir : Alors cela nous ramène à la nécessité d’être modeste quand on a des données de phase 2, notamment de phase 2 qui n’était pas randomisée. C’est une phase 2 en ouvert avec tous les biais que cela peut induire. Je pense que de plus en plus − c’est ce qu’on a essayé de faire récemment, par exemple avec le régorafénib − il faut essayer d’aller vers des phases 2 randomisées, idéalement contre placebo, pour ne pas se lancer dans des phases 3 sur des hypothèses qui ne seraient pas les bonnes, d’une part. D’autre part, on a une étude qui est négative avec l’evofosfamide qui est censé être un alkylant qui va cibler les zones hypoxiques. Il y a un bon rationnel biologique puisque les sarcomes des tissus mous restent quand même des tumeurs relativement volumineuses. On a souvent des grosses zones de nécrose au milieu. Le côté biologique rassurant (et en tout cas pertinent), donc les données rassurantes de la phase 2 ont amené à cette phase 3. La phase 3 est négative dans son ensemble, et encore une fois [avec] des biais de sélection potentiels sur la population qui a été traitée. On est sur un essai qui n’est pas randomisé contre placebo. C’est doxorubicine versus doxorubicine + evofosfamide. Donc on a tendance, quand on sait que nos patients reçoivent le traitement expérimental, à être peut-être un peu plus jusqu’au-boutiste. Malgré tout, le bras comparateur est loin d’avoir des résultats qui sont décevants dans cette étude. Et on n’a pas de bénéfices sur la survie sans progression ou sur la survie globale, sauf en analyse de sous-groupe, dont des sous-types qui pourraient être plus particulièrement sensibles aux alkylants et aux oxazaphosphorines, donc les synovialosarcomes, dont on savait qu’ils étaient très sensibles à l’ifosfamide à forte dose, et dont on a le sentiment qu’ils pourraient tirer un bénéfice de ce genre d’approche. Encore une fois, on est sur de l’analyse de sous-groupe, ce n’était pas stratifié, ce n’est pas quelque chose à partir duquel on peut argumenter sur l’utilisation systématique de l’evofosfamide. Si on veut continuer le développement de ce médicament, ce serait dans cette indication probablement dans les synovialosarcomes. Mais la question se posera sur le bras comparateur – et le bras comparateur en toute logique devrait être l’ifosfamide à forte dose. Les deux sont des prodrogues, les deux vont avoir des métabolites actifs qui sont relativement proches. Il n’est pas certain que l’evofosfamide ferait mieux que l’ifosfamide à forte dose, en tout cas, cela devra être, à mon sens, une des questions posées. On ne peut pas faire evofosfamide versus placebo. Cela paraitrait trop léger.

Jean-Yves Blay : Oui, bien sûr.  Alors pour le coup, l’ensemble de ces données montre qu’on est en train de solidifier un petit peu le terrain en termes de traitement chimiothérapique et systémique.

RÉUSSITE DES RÉSEAUX DE CENTRES DE RÉFÉRENCE FRANÇAIS

Jean-Yves Blay : Il y a une autre étude, qui est franco-française mais pas inintéressante, qui a été largement financée, à l’initiative de l’Institut National du Cancer. Elle semble montrer que les réunions de concentration pluridisciplinaires spécialisées jouent vraiment un rôle, et ont un rôle important[4].  

Olivier Mir : Alors, non seulement on a des effectifs très importants − puisqu’on parle de plus de 20 000 cas recensés dans les RCP des réseaux français, que ce soit les réseaux RCP NETSARC, et que ce soit les avis donnés par le réseau expert de pathologie – mais on a des données qui montrent que, effectivement, le fait de passer par une décision, y compris en amont du premier geste thérapeutique, c’est-à-dire pas seulement au décours d’une chirurgie qui aura été plus ou moins programmée mais se poser la question le plus tôt possible, a un impact bénéfique sur le devenir des patients. Je pense que cela ramène à un constat qui est très pragmatique : on fait bien ce qu’on fait souvent. Donc le fort message, c’est la nécessité d’une structuration. Je pense que, sans vouloir crier cocorico, la France est relativement exemplaire et cela été repris par tous les intervenants pour dire qu’en termes de structuration de réseau, que ce soit les réseaux cliniques, pathologiques, la France a donné le tempo. Maintenant, la question que cette présentation suscite est comment essayer d’organiser les choses à un niveau européen, donc supranational, pour que le modèle puisse être appliqué dans d’autres pays? Et au sein de la France, comment faire pour aller encore une fois encore plus loin? On a vu qu’entre 2010 et 2015, la proportion de patients naïfs de tout traitement présentés dans ces RCP va en augmentant. On passe d’un peu plus de 30 à 41%, mais comment aller maintenant au-delà? Je pense que cela doit faire partie d’un travail de formation initiale pour tous les futurs professionnels qui vont être amenés à traiter les patients atteints de sarcome. Cela va aussi faire appel à un travail de formation continue pour des professionnels plus établis, mais qui vont vouloir raffiner leur pratique.

Jean-Yves Blay : En tout cas, la structuration à l’échelle nationale a vraiment eu de la valeur, c’est le message qu’on peut retenir de ce programme.

Nous voilà arrivés à la fin de notre interview. Je voudrais remercier Olivier pour avoir partagé avec nous les éléments clé de cet ESMO 2016, très riche pour les sarcomes, et nous n’avons pas couvert l’ensemble des éléments intéressants qui étaient également présentés lors des discussions poster et des posters. Merci de nous avoir écoutés et à très bientôt.

 

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