Drame de l’essai Biotrial : l'ANSM a faussé un rapport d'expertise sur l'affaire

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

17 octobre 2016

Dans un mail daté du 29 mai 2015, Farida Ouadi signale à Jean-Louis Demolis, évaluateur clinique, des effets neurologiques causés par la molécule sur le système nerveux central de la souris, du rat, du chien et du singe testés. Mais Mr Demolis a estimé que ces toxicités signalées chez l’animal ne constituaient pas une alerte significative. Aux gendarmes de l’Oclaep, il s’est justifié en arguant du fait que ces atteintes neurologiques étaient observées à des « concentrations très supérieures aux concentrations prévues chez l’homme et ne nécessitaient pas de modifier le protocole ». Mais selon l’évaluation de Farida Ouadi, rien ne permettait de comparer le profil entre les différentes espèces. Dit autrement, rien ne pouvait garantir qu’avec des doses plus faibles, aucun effet secondaire n’allait être causé chez l’homme.

Rien ne pouvait garantir qu’avec des doses plus faibles, aucun effet secondaire n’allait être causé chez l’homme.

Désacord entre l’évaluation non clinique et l’évaluation clinique

Cécile Delval, que François Hebert, directeur adjoint de l’ANSM, charge de mener une enquête interne, revient dans son rapport sur cette omission de l’évaluateur clinique, Jean-Louis Demolis, quand à la toxicité de la molécule constatée sur le système nerveux central animalier par Farida Ouadi. Elle écrit : « l’évaluateur non clinique [Ouadi] a transmis son rapport aux évaluateurs coordinateur du projet […] en alertant l’évaluateur clinique [Demolis] sur un effet neuro/SNC lié à la pharma THC-like observé chez le chien et des effets sur le système nerveux central chez la souris, le rat et le singe […] Le mot alerte est mentionné pour les quatre espèces d’animaux […] Le rapport d’évaluation clinique n’intègre pas les signaux de l’évaluateur non-clinique ».

Accusée d’avoir rédigé un rapport à charge

L’enquête de Cécile Delval avait vocation à alimenter le rapport de l’Igas commandé par Marisol Touraine. Il a été remis le 18 janvier à la direction de l’ANSM, non sans lui causer de grandes difficultés auprès de ses supérieurs hiérarchiques, selon l’enquête de l’Oclaep. Elle est alors accusée d’avoir pondu un rapport à charge, qui est ensuite repris et édulcoré par un chargé de mission, Thomas Richard. Ce dernier remplace le mot "alerte" par "points d’attention", et omet de signaler que Jean-Louis Demolis a ignoré les avertissements de Farida Ouadi. L’Igas, prenant connaissance de ce rapport allégé par Thomas Richard, conclut que l’ANSM n’avait aucune raison de ne pas accorder l’autorisation d’essai à Biotrial.

L’agence (ANSM) « dément catégoriquement avoir caché quelque information, document ou rapport, relatifs à l'instruction du dossier ».

L’ANSM a tout de suite réagi à cette enquête de Mediapart, par le biais d’un communiqué. L’agence (ANSM) « dément catégoriquement avoir caché quelque information, document ou rapport, relatifs à l'instruction du dossier, tant à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) qu'aux autorités judiciaires ». Elle affirme par ailleurs « qu’aucun élément dans les données que le CSST a étudié ne constituait un signal de nature à contre-indiquer le passage chez l’homme ». Contacté par Medscape édition française, l’ANSM n’a pas donné suite, au moment où nous publions.

NDLR- A quelques semaines de la sortie en salle de « La fille de Brest », film relatant l’affaire du Médiator (23 novembre) et qui souligne le rôle plus qu’ambigu de l’Afssaps, coincée entre les intérêts d’un industriel et ceux des patients, cette affaire Biotrial a comme un air de déjà-vu.

REFERENCES:

  1. Jouan A, Mascret D. Essai clinique : le document qui accable Biotrial et l'ANSM. Figaro, 13/04/2016.

  2. De Pracontal M. Comment l’agence du médicament a trompé Marisol Touraine. Mediapart, 10 octobre 2016.

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....