Enregistré le 9 octobre 2016, à Copenhague, Danemark
En direct du congrès de la Société Européenne d’Oncologie Médicale (ESMO 2016), les professeurs Florence Joly, Éric Pujade-Lauraine et Isabelle Ray-Coquard font le point sur les résultats marquants dans le cancer ovarien, avec notamment l’étude ENGOT, le testing et l’immunothérapie.
TRANSCRIPTION
Éric Pujade-Lauraine : Bienvenue en direct de l’ESMO 2016. Je suis professeur Éric Pujade-Lauraine de l’Hôtel-Dieu, à Paris. Nous avons aujourd’hui deux anciennes présidentes du groupe GINECO, le professeur Isabelle Ray-Coquard du Centre Léon-Bérard de Lyon et le professeur Florence Joly, du Centre Baclesse à Caen.
Le domaine de la cancérologie ovarienne change beaucoup. La biologie est arrivée et en gros, la moitié des malades ont un déficit en réparation de l’ADN et l’autre moitié ont des troubles du cycle cellulaire. On va commencer par ce qui se passe aujourd’hui lorsqu’il y a un trouble de la réparation de l’ADN. Isabelle, je crois que tu as assisté à une session présidentielle exceptionnelle, est-ce que tu peux nous en dire un mot?
Essai ENGOT-OV16/NOVA : l’anti-PARP niratinib améliore la survie
Isabelle Ray-Coquard : Oui, cette année était tout à fait fructueuse pour l’ESMO, puisqu’en session présidentielle, l’ENGOT-[OV16/NOVA] a été [présenté]. C’est un essai randomisé incluant plus de 500 patientes en rechute et présentant un cancer de l’ovaire séreux de haut grade. C’est le groupe de patientes dans lequel on pense que la recombinaison homologue est le plus souvent déficiente. Ces patientes, en réponse à la chimiothérapie à base de platine, étaient randomisées entre un bras placébo et un bras comportant un inhibiteur de PARP qui est le niraparib. C’est le troisième inhibiteur de PARP qui arrive dans le monde de la cancérologie ovarienne. L’étude rapporte des résultats tout à fait spectaculaires avec un bénéfice en survie sans rechute positif pour l’ensemble de la population. Quand on regarde les sous-groupes de patientes, celles qui présentaient une mutation du gène BRCA identifié au niveau germinal ont un odds ratio qui est à 0,27, donc extrêmement positif, de l’ordre de celui qu’on avait vu avec l’olaparib dans l’étude STUDY 19[2], qui aussi posait la question de l’entretien avec un inhibiteur de PARP. Mais de façon intéressante, au-delà de cette mutation germinale de BRCA, dans le groupe qui ne présentait pas une mutation germinale de BRCA mais un déficit de la recombinaison homologue incluant les mutations BRCA somatiques mais aussi les autres gènes de la réparation, et bien dans ce groupe-là, il y a aussi un bénéfice, avec un odds ratio qui est de l’ordre de 0,38.
Ceci est tout à fait significatif et confirme le bénéfice de l’utilisation des inhibiteurs de PARP dans la prise en charge des cancers de l’ovaire en rechute sensible aujourd’hui avec le niraparib ou avec l’olaparib, sachant qu’on a déjà vu l’année dernière l’autre inhibiteur de PARP, le rucaparib, qui lui a montré son intérêt chez les patientes directement en front line sans entretien, pas en situation d’entretien après à celle de platine. Ces résultats sont encourageants, spectaculaires, publiés dans le New England Journal of Medicine[1] le jour-même, et nous renvoient à la problématique de l’identification de ces patientes. Comment, demain, devrons-nous faire pour identifier ces patientes?
Éric Pujade-Lauraine : Est-ce que tu vas traiter toutes ces patientes… avec un anti-PARP dès qu’elles rechutent et qu’elles ont une sensibilité aux platines?
Florence Joly : Exactement, c’est une vraie question.
Éric Pujade-Lauraine : Ou est-ce que tu vas les sélectionner?
Isabelle Ray-Coquard : Justement, à priori, au vu des bénéfices présentés dans l’étude − l’odds ratio, le bénéfice en nombre de mois est différent même s’il est statistiquement significatif dans tous les groupes − on voit quand même un bénéfice qui est clairement plus intéressant dans le groupe de patientes qui sont mutées BRCA germline ou qui présentent un déficit de la recombinaison homologue. Donc l’identification de ce déficit en recombinaison homologue est majeure et aujourd’hui on a plusieurs moyens de l’identifier. Éric, toi qui a aussi regardé les données de l’ESMO, comment vois-tu ces tests? Comment vois-tu leur utilisation en pratique et plus particulièrement en France? Comment présenter ça et l’organiser au niveau d’une nation?
Comment identifier les patientes à traiter? Testing de la tumeur
Éric Pujade-Lauraine : Il y a en effet une vraie révolution actuellement dans la vision du testing de BRCA, révolution poussée par les anti-PARP, on ne peut pas le nier. Parce que jusqu’ici, on sélectionnait les patientes essentiellement lorsqu’elles étaient jeunes ou lorsqu’elles avaient une histoire familiale et on les envoyait à nos collègues onco-généticiens. La malade y allait ou n’y allait pas. Finalement, je ne suis pas sûr qu’on était si accroché que ça à envoyer nos malades voir un onco-généticien ou enfin du moins tester leur BRCA. Aujourd’hui, naturellement, on est beaucoup plus stimulés puisqu’on sait que c’est le facteur essentiel de prescription pour un anti-PARP, l’olaparib étant le seul actuellement commercialisé. Mais, en fait, toujours aujourd’hui, il n’y a pas plus d’un tiers des patientes qui sont testées. Donc on se trouve devant une situation un peu dramatique, avec aujourd’hui les deux-tiers des patientes qui pourraient bénéficier de ces nouveaux traitements – qui sont, comme tu l’as dit, spectaculaires dans leur effet – qui ne sont pas testées. De plus, on sait que le seul moyen de prévenir un cancer de l’ovaire c’est de faire de la prévention chez les malades à haut risque, c’est-à-dire des familles qui sont BRCA+. Comme on n’en connait pas les deux-tiers, la prévention est donc elle-même hautement déficiente. Comment faire? C’est la grande question.
Cela rejoint ce que tu viens de dire : il y a ce traitement anti-PARP qui est efficace non seulement lorsqu’il y a une mutation germinale, mais aussi quand il y a une mutation dans la tumeur, même si elle n’existe pas au point de vue germinal (et il va falloir peut-être explorer d’autres gènes qui sont impliqués dans la recombinaison homologue que BRCA). Donc aujourd’hui on est en train de se tourner vers le testing au niveau de la tumeur. Dans l’étude en première ligne que tu conduis brillement et qui s’appelle PAOLA, il y a un testing systématique de BRCA dans la tumeur et on s’aperçoit que nos plateformes françaises font excellemment bien, puisqu’il y a pratiquement aucune dissociation entre le résultat germinal et le résultat de la tumeur. Il y a donc une certaine validation de ce test. Il est sûr que si on change le circuit, c’est-à-dire que si le médecin oncologue – mais il faut qu’il informe la patiente − prescrivait le test ou plutôt demandait au pathologiste d’envoyer la tumeur pour faire le test au niveau de la tumeur, 100% des malades seraient cette fois-ci testées si tous les oncologues s’y mettaient. Au point de vue santé publique, ça changerait complètement la façon de prendre en main ce test, et on enverrait aux onco-généticiens seulement celles qui ont une mutation au niveau de la tumeur, sachant que les deux-tiers ou les trois-quarts ont aussi une mutation germinale. Tout ceci a été largement exploré.
Le point faible est qu’il faudrait que le médecin oncologue prenne le temps pour informer la patiente. Manifestement, il est très optimiste de penser cela. Donc, vraisemblablement, il va falloir trouver d’autres solutions et notamment il a été montré au cours de cet ESMO [3] à quel point les informations par voie téléphonique sont fiables pour les patientes, c’est-à-dire qu’elles sont très contentes. Et non, il n’y a pas de retentissement psychologique plus délétère lorsque vous informez la patiente par téléphone ou lorsqu’elle voit un onco-généticien, et cela va peut-être être une des façons de pouvoir arriver à surmonter ce problème.
Est-ce que selon toi, il va falloir, dans un avenir proche, faire un test de recombinaison homologue en plus du test de BRCA qui va au niveau de la tumeur, qui va s’étendre petit à petit? [Est-ce que cela] va devenir quasiment systématique?
Isabelle Ray-Coquard : Au vu des résultats présentés aujourd’hui, oui. On voit bien que dans la population non-BRCA HRD+, donc avec déficience dans des gènes de la recombinaison homologue hors-BRCA, les inhibiteurs de PARP peuvent apporter un bénéfice au patient. Et par ailleurs, les onco-généticiens ont déjà identifié des gènes comme RAD51, comme PALB-B2, qui ont eux aussi probablement une histoire germinale qui nécessite d’être explorée ; donc oui, il va falloir qu’on y aille.
Éric Pujade-Lauraine : Cela va être un vrai changement.
Nouvelles molécules pour les patientes BRCA- avec trouble du cycle cellulaire
Éric Pujade-Lauraine : On va passer à un autre sujet qui est celui des patientes qui n’ont pas de déficit en réparation de l’ADN, mais qui ont des troubles du cycle cellulaire. Est-ce que pour ces malades − [qui étaient] jusqu’ici en dehors des traitements standard, nous n’avions rien à leur proposer − il y a quelque chose qui pointe à l’horizon qui permettrait d’espérer qu’on puisse attaquer leurs cellules tumorales?
Florence Joly : Effectivement, il y a eu un grand engouement sur les patientes avec les anomalies de la voie BRCA, mais il y a eu aussi cette année à l’ESMO quelque chose de très intéressant et peut-être une nouvelle voie pour nos patientes − justement pour celles qui n’ont pas de mutations − au niveau du cycle cellulaire : des nouvelles molécules, qui sont les checkpoint inhibitors au niveau CK1 et 2, avec des résultats, notamment chez des malades réfractaires aux platines dans environ 40% des cas, ce qui ce n’est jamais vu jusqu’à présent ; dans les meilleurs de cas, on avait 10%, c’était le maximum de ce que l’on pouvait faire. [4] Le profil de tolérance : essentiellement une toxicité hématologique mais qui a l’air d’être bien gérable, à suivre de très, très près. C’est une nouvelle voie qui va permettre de traiter ces patientes pour [lesquelles] finalement on n’a pas grand-chose à proposer.
L’immunothérapie dans le cancer de l’ovaire
Éric Pujade-Lauraine : On parle beaucoup d’immunothérapie. Est-ce que l’immunothérapie est déjà dans le cancer de l’ovaire ou il va falloir encore attendre un peu?
Florence Joly : Les premiers résultats ont été présentés. Il y a un certain taux de réponse, mais effectivement on attend les études qui démarrent, et notamment en France nous avons deux grandes essais : ATALANTE chez des patientes platine-sensibles et JAVELIN [OVARIAN 100] chez les patientes résistantes, qui va permettre de mieux comprendre et de positionner cette immunothérapie avec la chimiothérapie. Effectivement, on attend beaucoup de ces associations parce que toute seule, l’immunothérapie dans l’ovaire, ne semble pas suffisante. Il va falloir la combiner. Alors on part sur la chimio et puis, peut-être à terme, pourquoi pas, les inhibiteurs de PARP.
Éric Pujade-Lauraine : Voilà le point sur l’ESMO 2016 qui a été extrêmement productif dans le cadre des cancers de l’ovaire. Merci de votre attention et de votre audience.
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Citer cet article: Cancer de l'ovaire: des avancées majeures dans le traitement et le testing - Medscape - 14 oct 2016.
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