Enregistré le 23 septembre 2016, à Paris
Dans cette 2e partie, Michel Krempf et Boris Hansel discutent de la prévention des complications macro-et micro-angiopathiques par l’alimentation chez le diabétique de type 2.
Voir la 1re partie : mesures nutritionnelles pour équilibrer la glycémie chez le diabétique de type 2
TRANSCRIPTION
Boris Hansel : Bonjour et bienvenue sur Medscape pour une émission consacrée aux mesures nutritionnelles dans le diabète, et plus particulièrement le diabète de type 2. Dans une première partie de l’émission, nous avions abordé l’impact de la nutrition sur l’équilibre glycémique. Maintenant, nous allons parler de l’impact des mesures nutritionnelles sur le risque des complications micro- et macroangiopathiques. Pour discuter de ce sujet, je suis toujours en compagnie de Michel Krempf, professeur de nutrition et diabétologie au CHU de Nantes.
Réduire les complications macrovasculaires : que dit la littérature récente?
Boris Hansel : Le problème du diabète, ce sont ses complications microangiopathiques (atteintes rétiniennes, rénales et neurologiques) et macroangiopathiques (en premier lieu, l’infarctus du myocarde). On a des preuves de l’intérêt des mesures nutritionnelles pour réduire l’hémoglobine glyquée et améliorer le profil glycémique. Est-ce qu’on a des preuves de l’intérêt de la nutrition pour réduire les complications macrovasculaires? On a été déçus il y a quelques années des résultats de Look AHEAD (Action for Health in Diabetes), une étude très importante dans laquelle on a fait perdre du poids à des patients diabétiques de type 2 avec une alimentation hypolipidique et beaucoup d’activité physique. Et bien, il n’y a rien eu, pas d’effet sur le risque cardiovasculaire. Qu’en pensez-vous?
Michel Krempf : Ma réaction est assez simple. Tout d’abord, le programme Look AHEAD, pour ceux qui ne le connaissent pas, c’est la vraie vie versus un programme de prise en charge extrêmement structuré. On accompagnait des patients de manière importante, tant sur le plan de l’activité physique que de la diététique, avec des régimes parfois extrêmement contraignants. Globalement, ça marche sur le poids, au départ. Il faut quand même avoir ça en tête: 7-8kg perdus. Après, les choses échappent parce que les patients sont moins suivis. Donc une efficacité pondérale, mais pas d’efficacité cardiovasculaire. On a arrêté l’étude.
Quelque part, je pense qu’il faut revoir les choses avec un œil scientifique. Dans cette étude, quand on regarde le profil de risque des patients au départ, il y a beaucoup de femmes, de type 2, pas très déséquilibrées… Le risque vasculaire est extrêmement modéré. Le nombre de patients inclus [est faible] par rapport à ce qu’on voit aujourd’hui dans des interventions beaucoup plus drastiques de type statines ou autre -- regardez les dernières études IMPROVE-IT (association ézétimibe plus une statine) avec 10 000, 16 000, 18 000 patients. Là on est à peine à 5000. Donc l’efficacité, compte tenu de ce qu’on allait observer en termes de réduction de variation des paramètres biologiques, allait être compliquée, et ça s’est confirmé.
Boris Hansel : Dans Look AHEAD, la spécificité du régime proposé était qu’il s’agissait d’un régime hypolipidique, donc pauvre en graisses, potentiellement enrichi en hydrates de carbone relativement à l’apport en graisses. Est-ce que vous pensez que le résultat négatif peut être lié à la spécificité de ce régime? Parce que si on regarde une autre étude qui n’était pas spécifiquement faite chez les diabétiques, l’étude PREDIMED, et bien là c’était positif. On avait inclus des patients à très haut risque cardiovasculaire et on leur avait proposé un régime méditerranéen. Il ne s’agissait pas d’un régime hypolipidique, mais plutôt riche en graisses, avec un objectif qui n’était pas celui de la perte de poids. Chez ces patients, on a observé une réduction de 30% des événements cardiovasculaires. Alors d’un côté, on a Look AHEAD, régime hypolipidique chez les diabétiques : négatif. De l’autre côté, PREDIMED chez des patients à haut risque cardiovasculaire, à peu près 30% diabétiques… : étude positive.
Michel Krempf : …3000 [patients diabétiques]…
Boris Hansel : Doit mettre en balance les résultats de ces deux études?
Michel Krempf : Je pense que d’un côté on a testé une perte de poids -- ce qui n’est pas du tout le cas d’une étude PREDIMED….
Boris Hansel : …même si les gens n’ont pas grossi, malgré un régime qui était relativement riche en lipides.
Michel Krempf : Mais ils n’ont pas maigri. Donc d’un côté on a testé la réduction pondérale : on a eu une réduction pondérale, mais pas d’effet. Quand on regarde les effets de la réduction pondérale à proprement parler avec des études avec la chirurgie bariatrique, on voit qu’il faut attendre très longtemps sur des profils de risque inférieurs pour observer un résultat. Et ceci est confirmé aujourd’hui dans les registres, c’est-à-dire qu’il faut 10 à 15 ans pour pouvoir effectivement voir cette différence. Donc la perte de poids agit sur le temps.
Boris Hansel : Donc, d’après vous, on ne peut pas répondre?
Michel Krempf : On ne peut pas répondre. Sur l’étude Look AHEAD, je ne suis pas surpris du résultat négatif. Il faudrait prolonger cette étude encore une dizaine d’années pour dire, « non ça ne marche pas » et ceci avec des mesures extrêmement importantes pour maintenir le poids longtemps à son niveau de réduction maximum, ce qui n’était pas le cas dans Look AHEAD, et ce qui est plus le cas de la chirurgie bariatrique. Donc c’est extrêmement compliqué de pouvoir répondre à cette question « poids » avec Look AHEAD. La chirurgie bariatrique nous permet d’y répondre, et ça marche, mais il faut attendre.
Maintenant, la deuxième question que vous me posez concerne la manipulation de la diététique, et est-ce qu’on n’a pas intérêt à proposer un régime méditerranéen à tout le monde, et notamment aux diabétiques? La réponse à mon sens est « oui ». Pourquoi? Aujourd’hui, quand on regarde PREDIMED, c’est assez simple. Ce sont des espagnols, avec leur alimentation habituelle qui n’est effectivement pas nécessairement pauvre en matières grasses -- on a tous vu ça dans nos différents voyages. On rajoute un litre d’huile [d’olive] à certains, et à d’autres de l’huile [d’olive] plus des amandes, qu’on leur livre pour être sûr qu’ils vont y avoir accès. Ceci sans leur imposer de consommer un litre d’huile (dans la famille, souvenez-vous de ça). Et là effectivement ça marche. On a une réduction des événements qui est indiscutable (30%, surtout les AVC), et ça marche encore mieux chez les patients qui étaient préalablement diabétiques. Donc effectivement, il y a un intérêt aujourd’hui, grâce à cette étude, de dire que, effectivement, consommer de l’huile d’olive chez vous, c’est plutôt mieux, surtout si vous êtes diabétique. Nous l’avons donc traduit dans la pratique.
Boris Hansel : Donc dans la pratique, on peut recommander une diète méditerranéenne, légèrement hypocalorique en espérant que la « qualité méditerranéenne » et la perte de poids aient une efficacité pour réduire le risque de macroangiopathie, donc de complications cardiovasculaires. Et d’autant plus si on est diabétique.
Prévenir les complications microangiopathiques: le régime méditérranéen
Boris Hansel : Revenons à la microangiopathie. Là, on n’a pas d’étude qui a spécifiquement posé la question de l’intérêt de la nutrition pour réduire la microangiopathie. Avez-vous des éléments de réponse à donner sur cette question? Et une sous-question : les régimes hyper-protéinés? Vous mentionniez dans la première partie de l’émission l’intérêt de faire des diètes protéinées mais relativement courtes puisque ce n’est pas simple à gérer. Faut-il, pour éviter les problèmes rénaux -- parce qu’on sait que l’excès de protéines peut aggraver les anomalies de la fonction rénale -- déconseiller ces régimes un peu trop riches en protéines?
Michel Krempf : Il y a deux questions. Le première est : est-ce qu’on a des éléments qui permettent de dire aujourd’hui que tel régime peut permettre de prévenir la microangiopathie des patients diabétiques? La réponse est oui. L’étude PREDIMED post-hoc (à 6 ans), publiée très récemment.
Boris Hansel : Une étude post-hoc. C’est important de le dire car ce n’était pas dans les critères. Et on est assez rassuré.
Michel Krempf : On est rassuré puisqu’on voit diminuer quasiment de 40% la survenue de la rétinopathie, mais aucun signe, aucun effet positif sur la néphropathie.
Boris Hansel : Et on insiste encore sur la non-perte, ou une petite/légère perte de poids, mais pas une perte de poids importante.
Michel Krempf : Et puis pas de variation majeure de l’hémoglobine glyquée. Donc globalement, il y a un effet extrêmement intéressant qu’il va falloir comprendre et creuser. Comment ça marche? Est-ce que ce sont les acides gras ou un autre phénomène?
Boris Hansel : Et pas d’amélioration au niveau rénal…
Miche Krempf : Rien sur le plan rénal. C’est intriguant. Cela va nous faire beaucoup réfléchir et travailler, mais pour l’instant, c’est un élément de plus pour encourager nos patients diabétiques à s’orienter vers la diète méditerranéenne. Même tout à chacun, puisque dans cette même étude, chez les patients qui étaient prédisposés au diabète au départ (non-diabétiques), on a une prévention extrêmement intéressante de pratiquement 30% à 50%.
Boris Hansel : … pour la conversion au diabète?
Michel Krempf : Voilà. C’est-à-dire que les patients non-diabétiques deviennent diabétiques, et bien on prévient cette évolution dans un nombre de cas extrêmement important.
Boris Hansel : Ce qui est intéressant c’est de voir que, contrairement à d’autres études sur la prévention du diabète dans lesquelles on a fait perdre du poids aux gens (7% dans une des études de référence, on réduisait le risque de diabète de 60%), ici [dans PREDIMED], sans perte de poids importante, on arrive à réduire le risque de diabète chez des patients pré-diabétiques. Donc on quitte un peu le message centré sur le poids, et on va sur un message « qualité alimentaire » et une alimentation qui n’est pas désagréable.
Michel Krempf : Absolument. Je pense qu’il y a un message important de cette étude PREDIMED que je voyais au départ comme étant une étude avec peu de chance de succès. Elle a eu ce coup de canon, puisque finalement on n’attendait pas ce résultat extrêmement positif sur le cardiovasculaire, et continue à nous livrer des surprises. Et je pense que ce n’est pas fini.
Régimes hyper-protéinés : dans ces cas exceptionnels
Boris Hansel : Un mot sur les protéines?
Michel Krempf : Pour moi, ces régimes hyper-protéinés sont une exception dans un but bien précis chez les diabétiques ou non-diabétiques dans des conditions très particulières – quand on a besoin de faire perdre du poids extrêmement rapidement pour des chirurgies vitales ou des choses comme ça. Donc c’est clair. En règle générale, on ne dépasse pas 8 semaines, ce qui est vraiment le maximum. Tous les néphrologues vous le diront, quand on consomme trop de protéines, on atteint sa fonction rénale.
Boris Hansel : Donc chez le diabétique, c’est un régime qu’il faut vraiment éviter à long terme?
Michel Krempf : C’est un régime qu’il ne faut pas envisager en dehors de circonstances exceptionnelles et je dirai à un médecin généraliste qu’il faut clairement référer à un spécialiste.
Boris Hansel : Merci beaucoup Michel Krempf. On a compris en tout cas que la diète méditerranéenne, avec un objectif de perte de poids certes mais surtout un objectif de qualité alimentaire, semble la plus adaptée à nos patients diabétiques. Il y aura encore certainement d’autres réponses apportées par PREDIMED ou peut-être par d’autres études qui seront menées dans les prochaines années. Voilà des conclusions pratiques que nous voulions donner pour la nutrition des patients diabétiques. Je vous remercie.
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Citer cet article: Nutrition et diabète: quelles sont les mesures efficaces? (Partie 2) - Medscape - 4 nov 2016.
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