POINT DE VUE

Nutrition et diabète: quelles sont les mesures efficaces? (Partie 1)

Pr Michel Krempf, Dr Boris Hansel

Auteurs et déclarations

20 octobre 2016

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Enregistré le 23 septembre 2016, à Paris

Au-delà de la perte de poids, quelles sont les mesures nutritionnelles spécifiques à conseiller aux patients diabétiques? Faut-il recommander les fibres, les régimes hyperprotéinés? Quid de l’index glycémique des aliments? Boris Hansel interroge Michel Krempf, professeur de nutrition à Nantes.

TRANSCRIPTION

Boris Hansel: Bonjour et bienvenue sur Medscape pour une nouvelle émission consacrée au traitement nutritionnel du diabète. Le diabète touche 5% de la population en France. Bien évidemment, les mesures nutritionnelles sont des axes majeurs du traitement du diabète, qu’on soit traité par médicament ou qu’on soit sous régime seul. On sait qu’une perte de poids de quelques kilos suffit pour améliorer de manière significative le profil glycémique et l’équilibre glycémique, comme en atteste l’hémoglobine glyquée, le marqueur principal pour juger de l’équilibre glycémique.  

Mais au-delà de la perte de poids, y a-t-il des mesures nutritionnelles spécifiques que l’on doit donner/recommander à nos patients diabétiques qui sont efficaces pour lutter contre le diabète? Est-ce que les mesures hygiéno-diététiques qui baissent la glycémie sont aussi efficaces pour réduire le risque des complications (micro et macro-angiopathiques) du diabète? 

Pour répondre à ces questions, je suis aujourd’hui en compagnie de Michel Krempf, professeur de nutrition et diabétologie au CHU de Nantes, qui connaît donc ce sujet parfaitement. Est-ce qu’aujourd’hui les mesures hygiéno-diététiques pour traiter le diabète sont consensuelles? Sait-on ce qu’il faut faire pour améliorer l’équilibre glycémique des diabétiques par l’alimentation? Nous parlerons essentiellement du diabète de type 2, le diabète de type 1 étant un sujet un peu à part.

L’IMPORTANCE DE LA PERTE DE POIDS EN DEBUT DE DIABETE

Michel Krempf: Le premier point, et vous l’avez déjà souligné, c’est qu’effectivement le diabète de type 2 est une maladie pratiquement exclusivement liée à la surcharge pondérale. Donc en premier, il faut rechercher une perte de poids, et comme cela a pu être montré dans de très nombreuses études, une perte de poids relativement modérée (5% à 10% de perte de poids par rapport au poids initial) est particulièrement efficace. On contrôle mieux le diabète, surtout à la phase initiale de la maladie, on baisse l’hémoglobine glyquée. Il a été montré de multiples fois que le bon contrôle glycémique permet de prévenir les complications du diabète et surtout les complications micro-angiopathiques.

Boris Hansel : Vous mentionniez « le début » du diabète, parce qu’effectivement, après quelques années de diabète, comme 10-15 ans, il y a une carence en insuline relative qui s’ajoute à l’insulinorésistance et les mesures nutritionnelles sont alors un peu moins efficaces. Mais il y a toujours une part d’insulinorésistance sur laquelle on peut agir grâce à cette perte de poids.

Michel Krempf : Tout le temps, quelle que soit la durée ou l’ancienneté du diabète, il y a toujours un impact de la prise en charge diététique et de l’alimentation.

QUEL EST L’EFFET REEL DE LA CONSOMMATION DE FIBRES?

Boris Hansel : Alors quittons deux minutes la perte de poids. Est-ce qu’il y a des catégories d’aliments qu’il faut encourager? On parle beaucoup des fibres. On recommande de les consommer. A-t-on aujourd’hui la preuve que recommander en pratique à nos patients de manger beaucoup de fibres diminue l’hémoglobine glyquée?

Michel Krempf : En termes d’efficacité de réduction de l’hémoglobine glyquée / du contrôle glycémique, les fibres ont une efficacité, mais relativement modeste. Je crois qu’il faut voir les choses en face. Pour avoir un effet vraiment observable, il faut en consommer beaucoup, ce qui en pratique, surtout dans notre alimentation occidentale, est quasiment « mission impossible ». Ce qu’il faut retenir : oui il y a un effet, oui on peut les inclure dans notre alimentation, mais l’efficacité seule ne suffira pas à obtenir un résultat spectaculaire.

Boris Hansel : L’intérêt n’est donc pas tant pour l’équilibre glycémique, même s’il agit un petit peu, mais pour un effet globalement favorable pour la santé. En général les aliments qui sont riches en fibres sont aussi souvent riches en micronutriments.

Michel Krempf: Exactement. Ce n’est pas isolé. Globalement on ne mange pas qu’un aliment ou qu’un nutriment, c’est l’ensemble de notre alimentation qu’il faut prendre en compte. Les fibres ont bien sûr leur place (20g par jour, c’est ce qu’on recommande partout). C’est vrai pour le diabétique, et d’ailleurs ce que nous conseillons au patient diabétique est en fait ce que nous devrions recommander à l’ensemble de la population.

Boris Hansel: Dans les études, on voit qu’on a parfois testé des apports de 30g, 40g voire 50 g de fibres et que cela a un effet, mais atteindre 20g est difficile. En France, on avait évalué que la moyenne en apport de fibres est de 18g.

Michel Krempf: Absolument.

Boris Hansel: Donc on a un peu de mal à emmener les gens aux apports nutritionnels conseillés.

Michel Krempf : …ou aller sur des alimentations très spécifiques, particulières, très végétariennes ou végétaliennes.

Boris Hansel : Mais c’est un choix.

Michel Krempf : Oui, et là c’est une autre histoire, et c’est culturellement pour nous quelque chose d’extrêmement difficile.

UN REGIME BASE SUR L’INDEX GLYCEMIQUE?

Boris Hansel: Certains chercheurs défendent bec et ongle la notion d’index glycémique. Certains proposent des régimes basés sur un index glycémique. Il y a plusieurs publications sur le sujet qui ne disent pas toujours la même chose. Est-ce qu’aujourd’hui vous pensez qu’en pratique, il faut conseiller des aliments en fonction de l’index glycémique? Est-ce que vous le faites dans votre consultation à l’hôpital?

Michel Krempf : On a beaucoup travaillé là-dessus, cela a été effectivement une très grande mode il y a une vingtaine d’années, sous l’influence d’un chercheur canadien très connu, M. Jenkins. Nous avons beaucoup travaillé là-dessus. Rappelons brièvement de quoi il s’agit : c’est l’excursion glycémique après l’ingestion d’un aliment par rapport à une charge équivalente en glucose … donc le rapport entre les glycémies observées par rapport au glucose ou un aliment de référence comme le pain blanc par exemple. Si vous êtes plus bas, vous avez un index glycémique faible.

Boris Hansel : Donc en clair, un aliment faible en index glycémique est un aliment qui va faire monter relativement peu et de manière moins prolongée la glycémie.

Michel Krempf : On a pas mal d’aliments qui peuvent effectivement correspondre à ces critères: les légumineuses, par exemple, montent relativement peu. Ou encore le pain très riche en fibres (le pain complet), les amandes… Beaucoup d’aliments peuvent être relativement intéressants. Mais cela se complique à deux niveaux : Le premier est qu’avec un même aliment, comme le riz par exemple, vous aurez un index glycémique très élevé si vous le faites beaucoup cuire. Le même riz peu cuit, tout comme les pâtes, aura un index glycémique beaucoup plus bas. Donc quel conseil donner aux patients? Il faut aller plus loin que l’aliment lui-même, il faut s’intéresser au mode de cuisson, et ça devient extrêmement complexe, la diététique n’étant déjà pas toujours très simple pour les malades. Et le deuxième élément est que, finalement on ne mange pas que ça. Il faut donc considérer la charge globale glucidique du repas et ce qui l’accompagne. On s’aperçoit que, [si à côté d’un aliment considéré comme ayant un index glycémique élevé, on met] un aliment un peu plus gras, ça va complètement changer la donne.

Boris Hansel: Par exemple, si vous mangez du riz avec des haricots verts ou avec de la matière grasse, l’index glycémique ne sera pas le même que si vous le mangez blanc ou avec du sushi.

Michel Krempf : Exactement. [Ce n’est] absolument pas le même.

Boris Hansel: Et il y a un exemple qui est assez intéressant quand on pose la question d’ailleurs à des médecins, c’est l’index glycémique des frites. Souvent on va me dire qu’il est bas parce qu’il y a certes de la pomme de terre mais avec de la graisse autour. En réalité, quand on regarde les tableaux, les frites [ont un indice glycémique] très élevé parce que c’est chauffé à haute température, déshydraté et donc l’amidon est très disponible, très dégradé. Ça montre la complexité [du sujet]…

Michel Krempf : C’est effectivement extrêmement compliqué. C’est un sujet passionnant sur le plan nutritionnel, passionnant aussi pour les industriels qui préparent des aliments pour essayer de trouver des modes de préparation qui permettent de baisser ces index glycémiques -- parce qu’il est clair qu’on a montré qu’on consommait beaucoup de glucides. On a une tendance quand même à dégrader plus facilement l’équilibre glycémique, ça je crois qu’on ne le discute pas, mais l’application pour les patients devient extrêmement compliquée si effectivement on veut appliquer toutes ces règles scientifiques au quotidien.

Boris Hansel : Donc des notions intéressantes, mais pratiquement difficiles à mettre en place.

Michel Krempf: Très dures à mettre en place.

QUID DES REGIMES HYPER-PROTEINES?

Boris Hansel : Parlons des régimes un peu extrêmes, les régimes hyper-protéinés. Vous avez comme moi l’expérience de patients qui disent « J’ai trouvé la solution pour mon diabète, c’est en ne mangeant que des protéines. » On ne citera pas le nom de tel ou tel régime, mais effectivement, on peut voir – comme ça m’est arrivé -- leur hémoglobine glyquée passer de 8% à 6%, alors qu’on n’arrivait pas à la faire baisser. Ça a l’air de marcher. La littérature montre que les régimes hyper-protéinés sont efficaces. Est-ce que, en pratique, vous les prescrivez à certains patients?

Michel Krempf : Alors j’ai été et je suis encore un pratiquant, si je puis dire, de ce genre de régime, mais pas du tout dans le sens où on peut le lire partout, c’est-à-dire « maigrissez en huit semaines », etc. D’un point de vue purement diabétologique, quand on est effectivement le dos au mur, on voit que finalement un régime très basses calories / riches en protéines (soit des poudres ou autres, mais on utilise toujours plus facilement ce qu’on appelle le PSMF, c’est-à-dire des aliments naturels, beaucoup de protéines avec un peu de légumes pour faire court), est particulièrement efficace sur le contrôle glycémique et ceci très rapidement. Donc cela peut être utile dans des situations complexes et ça se rapproche de ce qu’on peut observer aujourd’hui avec la chirurgie bariatrique.

Boris Hansel : Avec un effet rapide?

Michel Krempf: Très rapide. Pour certains patients, pas pour tous, on retrouve les mêmes notions qu’avec la chirurgie bariatrique, c’est-à-dire que chez les diabétiques anciens avec une insulinosécrétion plutôt altérée, on a de moins bons résultats. Mais d’autres, plus récents, ont un excellent résultat. Mais, il y a un « MAIS ». On va certes « casser » cette insulinorésistance forte, cette glucotoxicité …

Boris Hansel : … on casse ce cercle vicieux qui est « une hyperglycémie qui aggrave la résistance à l’insuline qui aggrave l’hyperglycémie etc. »

Michel Krempf: Exactement, on casse le cercle vicieux et après on récupére un meilleur contrôle glycémique, une meilleure efficacité des médicaments... Si on revient à un régime relativement plus standard et surtout respecté, on peut obtenir un maintien de cet équilibre glycémique sur de nombreux mois. Avec le risque qu’on connait mais beaucoup plus rapide qu’avec la chirurgie bariatrique notamment, c’est celui de la rechute, qui manifestement est très important, surtout au bout d’une année / une année et demie. Donc quand on est le dos au mur et qu’on ne veut pas traiter le poids mais bien l’insulinorésistance / le cercle vicieux / le diabète, on peut s’adresser à ces régimes… Quand on n’arrive plus à contrôler, là ça peut être utile. C’est, à mes yeux, la seule indication de ces régimes très restrictifs.

Boris Hansel : Merci beaucoup. Nous avons parlé donc de l’intérêt de la nutrition pour équilibrer la glycémie. Je vous propose de nous retrouver dans une deuxième partie de cette émission pour parler de l’impact de la nutrition pour la prévention des complications micro- et macroangiopathiques.

Voir la 2e partie : prévention des complications macro-et micro-angiopathiques par l’alimentation chez le diabétique de type 2

 

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