La prévention de la phlébite dès les urgences, une utilité plus théorique que réelle
« Parce que le traitement anticoagulant est souvent prescrit à doses inadéquates en service d’urgence pour les patients hospitalisés pour une affection médicale aiguë, les ordonnances ne devraient pas toutes contenir de prescription l’héparine préventive au sortir des urgences. La question de la prescription de ce type de traitement pour prévenir les phlébites sous plâtre devrait elle aussi se poser car il n’y a pas de consensus international dans ce domaine et que la France fait partie des exceptions », analyse le Pr Pierre Marie Roy (Angers).
Patients hospitalisés pour une pathologie aiguë
« En dépit de la multiplication des tests diagnostiques et d’avancées thérapeutiques majeurs, l’incidence des embolies pulmonaires mortelles chez les patients hospitalisés ne s’abaisse pas. En outre, ce diagnostic n’est évoqué que dans 30 % des cas avant le décès.
Pourtant, plusieurs études ont prouvé que le risque de tels évènements diminue de façon nette (baisse du risque relatif de 44 à 63 %) avec l’utilisation des héparines de bas poids moléculaire (HBPM). En ce fondant sur ces données, l’American College of Chest Physicians [1] recommande une telle prescription depuis 2008 pour toutes les hospitalisation de patients qui souffrent d’une insuffisance cardiaque congestive, d’une détresse respiratoire, ou qui présentent des facteurs de risques tels qu’un cancer, un antécédent de thrombose veineuse profonde, un sepsis, une pathologie neurologique aigue ou une MICI ».
En France, une étude a été menée au sein des services d’urgences (étude PREVENU) et publiée en mai 2016 [2]. Elle a inclus plus de 20 000 patients et l’analyse des évènements cliniques a été réalisée sur 14 760 patients.
Pour le Pr Roy, « après sensibilisation au protocole de l’étude, nous avons constaté que le traitement était utilisé plus souvent mais – et c’est ce qui, pour nous, soulève des réserves sur son utilisation – plus souvent de façon inadaptée (sous ou surdosage, non-respect des contre-indications). C’est peut-être ce qui explique qu’à 3 mois, l’incidence des décès, thromboses veineuses profondes symptomatiques ou hémorragies majeures a été égale entre les deux groupes. A la lumière de ce travail, nous envisageons désormais de mieux définir les patients à risque thromboembolique. Des stratégies simples (âge > 75 ans) ou s’appuyant sur des aides informatisées à la décision pourraient être proposées ».
Prévention de la phlébite sous plâtre
« La prévention systématique de la phlébite sous plâtre est une particularité française. Les recommandations ont été modifiées en 2004 à la suite de la publication d’une étude menée au sein de 450 SAU et sur 3 658 patients traumatisés du membre inférieur et non hospitalisés [3]. Une prévention était prescrite chez 60 % des patients, 2 761 examens échodoppler ont été réalisés au retrait du plâtre : ils ont détectés 117 thromboses veineuses profondes (6,4 %) dont 25 symptomatiques (1 %), 5 thromboses proximales (0,2 %) et aucune embolie pulmonaire.
Au vu de ce travail, la SFAR a recommandé une prophylaxie qui peut être prolongée pendant toute la durée de l’immobilisation, celle-ci étant suggérée jusqu’à l’appui plantaire pour différents types d’interventions : ligamentoplastie, fracture de la rotule, du tibia, de la cheville, rupture tendon d’Achille, mise en place d’une botte plâtrée.
Mais aux Etats-Unis, l’approche est toute autre puisque l’ACCP [4] souligne que la plupart des phlébites sous plâtre sont asymptomatiques et que les risques de saignements sont majorés. Dans ces conditions, aucun traitement pharmacologique prophylactique n’est proposé.
Que faire en France ? En l’absence de recommandations avec un haut niveau de preuve et de discordance entre les pratiques, un consensus d’experts travaille à définir des scores de risques de thrombose veineuse profonde qui devraient à l’avenir être utilisés pour une décision de traitement prophylactique ou non ».
REFERENCES :
http://journal.publications.chestnet.org/SS/Antithrombotic_Guideline.aspx
Roy P, Rachas A, Meyer G et coll. Multifaceted Intervention to Prevent Venous Thromboembolism in Patients Hospitalized for Acute Medical Illness: A Multicenter Cluster-Randomized Trial. PLoS One. 2016 May 26;11(5):e0154832. doi: 10.1371/journal.pone.0154832. eCollection 2016
Riou B, Rothmann C, Lecoules N et coll. Incidence and risk factors for venous thromboembolism in patients with nonsurgical isolated lower limb injuries. Am J Emerg Med. 2007 Jun;25(5):502-8
http://journal.publications.chestnet.org/SS/Antithrombotic_Guideline.aspx
Citer cet article: Dr Isabelle Catala. 5 situations en médecine d’urgence où le mieux est l’ennemi du bien - Medscape - 30 juin 2016.
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