Que peuvent faire les médecins généralistes pour réduire les risques de dépression et de suicide des chômeurs ?
Pr M. Debout : Ils doivent tout d’abord connaitre la situation professionnelle de leurs patients : harcèlement moral, burnout, perte d’emploi… C’est au médecin d’aborder le sujet car le patient n’évoquera pas toujours spontanément sa situation de chômage pour des raisons évidentes de honte et de culpabilité. Le médecin doit le faire parler de ce qu’il est en train de vivre pour qu’il ne se sente pas coupable ou honteux. Un chômeur manifeste souvent des symptômes d’anxiété : troubles du sommeil, perte d’appétit, irritabilité dans les relations quotidiennes... Mais le médecin ne doit pas en rester aux symptômes que lui présente le patient, il doit aussi le questionner sur le registre dépressif. Est-ce qu’il a une mauvaise image de lui-même ? Est-ce qu’il se sent coupable ou honteux de sa situation ? Est-ce qu’il ressent une perte d’élan ? Il peut aussi lui demander s’il a des pensées suicidaires. Enfin, on sait que le risque de comportements addictifs augmente chez les chômeurs. Le médecin doit donc être prudent dans sa prescription médicamenteuse pour empêcher la personne de sombrer dans les addictions aux anxiolytiques ou aux somnifères.
Quels conseils faut-il donner aux patients au chômage ?
Pr M. Debout : Des conseils à appliquer à sa vie quotidienne : rester actif, avoir des activités sociales, culturelles et sportives pour garder un lien social. Le chômeur doit garder un rythme de vie pour ne pas se laisser aller sur une pente de passivité : se lever le matin, s’habiller, organiser sa journée… Quand on perd son travail, on n’a plus rendez-vous avec ses collègues ou ses clients, on a donc tendance à ne pas se lever ou à rester en pyjama. Or, c’est comme ça qu’on rétrécit son propre environnement et qu’on se retire de la réalité sociale.
Quelles mesures d’accompagnement préconisez-vous pour réduire les risques de dégradation de la santé des chômeurs ?
Pr M. Debout : Il faudrait instaurer dans un premier temps une consultation post-licenciement obligatoire pour les chômeurs, avec le médecin du travail de l’entreprise que l’on a quitté ou le médecin de son choix. Il s’agirait de faire un bilan de santé général, mais aussi de réaliser un entretien pour anticiper les répercussions psychologiques éventuelles. Je souhaite dans un deuxième temps que l’on mette en place un véritable service public « santé et travail » qui s’adresserait à tous les actifs, qu’ils aient un travail ou non, car de plus en plus de personnes vont connaître à l’avenir des périodes sans emploi. A la manière de la PMI ou de la médecine scolaire, il s’agirait d’une médecine préventive pour aider chaque individu à rester en bonne santé tout au long de leur vie active, sans perte d’élan. Il faut envoyer un message aux chômeurs, leur dire que la société ne les abandonne pas, leur rappeler qu’ils sont utiles. Enfin, cela coutera moins cher à la société de permettre aux 5 millions de chômeurs3 français de rester en bonne santé.
3 : 5,4 millions de Français sont privés d’emploi si l’on prend en compte les personnes alternant fréquemment chômage et emploi précaire ou activité réduite, selon l’étude du CESE.
REFERENCES :
Debout M. Le traumatisme du chômage, Alerte sur la santé de 5 millions de personnes , Les Editions de l’Atelier, 2015, 96 p, ISBN 978-2-7082-4283-8, 12,00 €
Economic downturns, universal health coverage, and cancer mortality in high-income and middle-income countries, 1990–2010: a longitudinal analysis. Lancet mai 2016. http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(16)00577-8
Citer cet article: Peut-on être chômeur et en bonne santé ? Nos questions au Pr Michel Debout - Medscape - 13 juin 2016.
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