Paris, France – Le don d’organe relève, dans les pays occidentaux, d’un acte d’altruisme, volontaire et gratuit. Faut-il pourtant – au vu de la discordance entre le nombre de greffons et le nombre d’insuffisants rénaux sous dialyse – déroger à cette règle éthique de base et rémunérer les « donateurs » ?
Une étude récente, menée auprès de la population américaine, suggèrent qu’une incitation financière au don de rein permettrait d’augmenter le nombre de donneurs (voir « Faut-il rémunérer le don de rein ? Les Américains s’interrogent ») [1].

Valérie Gateau
L’homme est-il une marchandise comme les autres ? La neutralité financière qui prévaut en France est-elle suffisante à l’aune de « l’engagement » du donneur ? L’introduction d’argent dans la démarche suffit-elle à changer la valeur morale du geste ? Nous avons demandé à la philosophe Valérie Gateau (CERSES, Centre Canguilhem/ Hôpital Beaujon / Université Paris Diderot), auteur de l’ouvrage « Pour une philosophie du don d’organes », son éclairage sur ce passionnant mais dérangeant débat [2,3].
Medscape édition française : Sur quels principes repose la gratuité du don d’organes qui prévaut en France ?
Valérie Gateau : Le principe de gratuité – qui interdit tout paiement du donneur (vivant ou mort), quelle qu’en soit la forme – découle directement des Droits de l’Homme, qui posent l’identité du corps et de la personne. Selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est, en effet, la naissance, et non pas une grâce ou une faveur (du roi ou de l’État) qui confère la qualité de sujet de droit. Et c’est bien en ce sens qu’il faut entendre que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». C’est la naissance comme incarnation qui fait de tout être charnel un sujet de droit. Cette définition de l’homme instaure comme principe de base de notre droit « l’indivisibilité du corps et de l’esprit, constitutive de la personne humaine et de la personnalité juridique tout à la fois, entre lesquels existe une relation d’identité » [Conseil d’État, 1988]. De cette identité du corps et de la personne, il découle que le respect de la personne passe d’abord par le respect de son corps, qui est indisponible et dont l’intégrité est inviolable. C’est ce qui fonde l’interdit des atteintes au corps.
En ce sens, la chirurgie est une exception au droit. C’est parce qu’il y a un intérêt thérapeutique que l’on peut porter atteinte au corps de la personne. « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne » (article 16-3 du code civil). Et le prélèvement en vue d’une greffe est une exception à une exception : l’intérêt thérapeutique d’une autre personne justifie l’atteinte au corps de la personne. En raison de ce bénéfice majeur, la loi autorise certains prélèvements sur le corps des uns pour les autres « à titre exceptionnel, dans l’intérêt thérapeutique d’autrui » (article 16-3 du code civil). Dans ce contexte, la gratuité du don est conçue comme la garantie du respect de la personne humaine incarnée, dont le corps doit rester « hors commerce », par opposition aux choses qui sont « dans le commerce ». L’idée est en fait que dans une situation où répondre aux besoins des malades suppose de prélever des organes sur d’autres, la gratuité permet d’autoriser le prélèvement et en même temps d’éviter que le corps morcelé ne soit assimilable à un objet.
Citer cet article: Stéphanie Lavaud. Don d’organe rémunéré : enjeux éthiques et légaux vus par Valérie Gateau - Medscape - 27 mai 2016.
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