Paris, France – C’est l’histoire d’un médecin qui se révolte contre l’Ordre des médecins et qui a entraîné à sa suite une centaine de docteurs [1] pour créer le mouvement médical d’insoumission ordinale partielle (Miop) en février dernier [2]. Comme son nom l’indique, ce regroupement n’est pas jusqu’auboutiste, et ne milite pas pour la suppression du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM). Mais il prend acte d’une certaine déviance, selon lui, de l’Ordre par rapport à sa mission principale, à savoir la protection des médecins et de la déontologie médicale. L’histoire du Dr Bernard Coadou – le médecin à l’origine de la fronde – est à ce titre tout à fait emblématique.
L'Ordre des médecins, une structure réactionnaire
Retraité depuis 2011, après une carrière effectuée en « médecine générale, planification familiale, et fonction hospitalière", Bernard Coadou continue d’exercer la médecine à titre bénévole, notamment pour une association humanitaire franco-sénégalaise d’aide au développement. « Durant ma carrière, j’ai très peu bénéficié de l’aide de l’Ordre des médecins ; je l’ai plutôt rencontré comme un obstacle à sauter ou à contourner dans mon exercice », note-t-il, dans un communiqué. En 2012, il décide d’arrêter de cotiser à l’Ordre. Quelle ne fut pas sa surprise de recevoir alors lettre recommandée sur lettre recommandée, puis une convocation pour un procès fixé le 27 janvier et intenté par le conseil départemental de l’ordre de Gironde.
Plutôt que de se plier aux oukases du conseil départemental de l’ordre des médecins (CDOM), Bernard Couadou a organisé la résistance, soutenu en cela par un comité de citoyens. Son refus de payer sa cotisation, argumente-t-il, est motivé par de nombreuses raisons. Il accuse le CDOM de Gironde d’avoir participé en 1945 à la déportation et à la mort d’un de ses confrères de confession juive, exerçant en Gironde, le Dr Sabatino Schinazi. Il accuse également l’Ordre d’avoir entravé les médecins qui, dans les années 1970, se sont engagés aux côtés des militants du planning familial, de s’être opposé à la médecine regroupée, au conventionnement des médecins, à l’obligation de participation à la permanence des soins… Bref, il accuse l’Ordre d’être une structure réactionnaire. C’est, d’ailleurs, l’introduction du manifeste du Miop, écrit lors de la création de ce mouvement : « L’Ordre des médecins, structure réactionnaire à sa naissance en 1940 et depuis toujours très conservatrice, ne peut pas représenter l’unité du « Corps Médical de France ».
L'Ordre poursuit et sanctionne (injustement ?) des médecins
Les griefs retenus contre l’Ordre ne concernent pas uniquement son passé trouble. Plus récemment, le Dr Bernard Coadou lui reproche d’avoir criminalisé des médecins du travail, calomnié le Dr Irène Frachon, à l’origine de la dénonciation du scandale du Médiator®, d’avoir radié le Dr Nicolas Bonnemaison, condamné à deux ans de prison avec sursis pour avoir délibérément donné la mort à une patiente en fin de vie.
Il n’est pas non plus étonnant de constater que le Miop a reçu le soutien, entre autres du Dr Dominique Huez d'Indre et Loire. Médecin du travail, maintenant retraité, il avait été poursuivi par l’entreprise Orys devant son conseil départemental pour avoir émis un certificat attestant du lien entre les conditions de travail d’un salarié et sa santé. Il a été condamné à un avertissement en janvier 2014, duquel il a fait appel. En effet, depuis la promulgation de la loi HPST en 2011, les conseils départementaux ont des pouvoirs élargis pour poursuivre, sur plainte de tiers, les médecins. Résultat : les condamnations se multiplient.
Etre « un révélateur des pratiques ordinales nocives et multiples »
Quoi qu’il en soit, Bernard Couadou a déjà enregistré une première victoire. Le conseil départemental de l’ordre des médecins a renoncé, fin janvier, à le poursuivre pour règlement des cotisations que ce dernier se refusait à payer. De quoi donner des ailes au Miop, qui se fixe des objectifs ambitieux : les médecins signataires du manifeste s’engagent désormais à ne verser qu’une partie de leur cotisation à l’ordre. Le restant servant, entre autres, à soutenir financièrement le Dr Bonnemaison, condamné à verser 30000 euros suite à son procès, et interdit d’exercer sa profession. Le Miop se fixe également pour objectif de rester vigilant quant aux pratiques de l’ordre afin d’être « un révélateur des pratiques ordinales nocives et multiples, d’exiger un débat public pour faire le bilan de cette institution, de demander le préalable de liberté associative, de proposer des alternatives aux pouvoirs actuels de l'Ordre (avec entre autres la suppression des juridictions ordinales et la transmission des dossiers pouvant relever d’une infraction pénale au procureur) ».
Outre les 102 médecins qui ont signé la pétition, le Miop revendique le soutien des associations et syndicats : Contrordre35, La Santé Un Droit Pour Tous, Santé et Médecine du Travail, le Manifeste des Médecins Indignés, le Syndicat de la Médecine Générale.
Le CNOM n'a pour sa part pas réagi à la création de ce mouvement "insurrectionnel".
REFERENCES :
Citer cet article: Jean-Bernard Gervais. Des médecins lancent un mouvement d’insoumission à l’Ordre des médecins - Medscape - 14 mars 2016.
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