Saint-Denis, France -- S’il est toujours difficile d’anticiper l’évolution d’un essai clinique, le compte rendu de la première réunion du comité scientifique spécialisé temporaire sous-entend que les investigateurs – Bial, Biotrial – avaient assez d'éléments pour redouter une situation pharmacocinétique incertaine et la symptomatologie évocatrice chez deux volontaires lors de l’essai en prises répétées aurait dû/pu alerter. Rappelons que cet essai testait un inhibiteur de la FAAH, dont la finalité est d’empêcher la dégradation des endocannabinoïdes (voir encadré).
Une augmentation de dose brutale
« La cinétique de la molécule, un inhibiteur de FAAH, devient non linéaire entre 40 et 100 mg. Elle est en plus affectée d'une importante variabilité inter-individuelle. Et la cinétique des deux métabolites, non explorée, est elle-même potentiellement non linéaire au-delà de 40 mg en prises répétées » expliquent les experts. Il n'est donc pas étonnant « qu'à 50 mg/j en prises répétées, les taux plasmatiques résiduels n'étaient pas tous stabilisés à J5 ».
En clair, les investigateurs – Bial, Biotrial – avaient assez d'éléments pour redouter une situation pharmacocinétique incertaine au-delà de 40 mg/j en MAD s'ils avaient pris en compte la grande variabilité des demi-vies plasmatiques. Cela ne les a pourtant pas empêché d'aller au pas de charge et de passer directement de 20 mg/j à 50 mg/j. « L'augmentation de dose parait problématique car trop brutale en fin d'essai alors qu'on aurait attendu l'inverse » soulignent les experts. « Ce point très important devra faire l'objet de recommandations » ajoutent-ils.
Des taux plasmatiques élevé, des taux possiblement augmentés aussi de métabolites dont l'activité n'a pas été examinée ... plus un manque de sélectivité pour la cible. Toutes les conditions favorables à un effet « off target » et/ou à une toxicité à effet "seuil" liée à une accumulation sont réunies. C'est pourquoi c'est actuellement l'hypothèse largement privilégiée par les experts.
Alertes non détectées en clinique ?
« En règle générale, l’intensité des effets secondaires est corrélée à la dose administrée. . ...il n’y a eu aucun signe avant-coureur chez les premiers volontaires. C’est comme si une digue avait lâché d’un coup quelque part » selon Dominique Martin, directeur de l'ANSM [1].
Pourtant, si l'accident n'était pas totalement écrit, des éléments auraient pu alerter les investigateurs comme le montre ce rapport du Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST).
Lors de l'essai en prises répétées, à 10 mg/j, deux volontaires ont présenté une symptomatologie clinique évocatrice. Ils ont présenté tous deux à deux reprises une vision floue avec diplopie (à J2 et J6, et à J3 et J7 pour le second). Cette manifestation n'a pas été considérée comme pertinente d'autant que ces évènements n'ont pas été observés dans la cohorte suivante à 20 mg/j.
Question: quelles sont les données pharmacocinétiques de ces patients? Ont-elles été analysées à la loupe pour dépister un effet induit par une variabilité pharmacocinétique? Pour l’heure, on n'en sait guère plus. Mais nul doute que la communauté scientifique se penchera sur cette question.
Les données arrivent en effet sur la place publique
L’ANSM va transmettre ces jours-ci l’ensemble des documents à l'EMA et à la FDA. Elle devrait aussi les communiquer aux scientifiques intéressés bien que Bial oppose toujours un « secret industriel ». Secret très discutable, sa molécule étant définitivement hors-jeu.
BIA-1024-74: un inhibiteur impliqué dans la dégradation des endocannabinoïdes La molécule en cause dans l'essai, le BIA-1024-74 développé par Bial, est un inhibiteur de la FAAH (Fatty Acid Amid Hydrolase). La FAAH est une enzyme impliquée dans la dégradation des endocannabinoïdes, famille de neurotransmetteurs participant au niveau cérébral mais aussi en périphérique à de multiples régulations dont la réponse à la douleur. BIA-1024-74 agirait plus précisément sur le niveau d'anandamide, un des principaux endocannabinoïdes. |
REFERENCES :
1. ANSM, 3 mars 2016. Essai clinique de Rennes : Compte-rendu de la première réunion du CSST « inhibiteurs de la FAAH » du 15 février 2016.
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Citer cet article: Pascale Solère. Accident de l’essai clinique Biotrial/Bial: un effet off-target prévisible ? - Medscape - 9 mars 2016.
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