Dépakine: une étude «alarmante» cachée aux familles selon le Canard, le Ministère dément

Vincent Bargoin

Auteurs et déclarations

10 août 2016

Paris, France – Actualisation – Dans un article publié en date du 10 août 2016, le Canard enchaîné revient sur l’affaire de la Dépakine en citant un rapport montrant que plus de 10 000 femmes enceintes ont pris l'anti-épileptique entre 2007 et 2014 alors que les dangers de malformations pour les enfants à naître étaient déjà connus. Le journal satirique dénonce une étude "alarmante" (menée conjointement par l'agence du médicament ANSM et la Caisse nationale d'assurance maladie) qui sous-tend que les victimes de malformations devraient donc se compter par milliers, laquelle aurait été communiquée au ministère de la Santé « dès la mi-juillet », mais « soigneusement cachée aux familles». Sans s’exprimer sur la véracité des chiffres, le Ministère des Affaires sociales et de la Santé se défend ce jour, dans un communiqué , d’un manque de transparence. Il « dément plusieurs informations publiées dans l’édition du Canard Enchaîné » et précise que « contrairement à ce qui est affirmé, l’étude réalisée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAMTS) n’est pas cachée aux familles » et qu’une présentation du premier volet [de l’étude en question] par le Directeur général de la santé à l’association d’Aide aux Parents d’Enfants souffrant du Syndrome de l’Anti-Convulsivant (APESAC) est bien prévue le 24 août ».

Rappelons que les risques associés à l’utilisation de Dépakine® pendant la grossesse sont établis ainsi que le rappelait lePr Sophie Dupont, neurologue épileptologue à l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière dans une interview pour Medscape : « Depuis les années 80, on savait que la Dépakine® augmentait le risque de spina bifida. Des données de 2013 ont montré que le risque de malformations des enfants exposés in utero était majoré de 11% à la naissance (anomalies du tube neural et fente palatine) comparé à un risque de 2 à 3 % dans la population générale. On sait aussi que le taux de malformations est fortement dose-dépendant. Les troubles neurodéveloppementaux notamment les retards de QI (10 points en moins) et le risque accru d’autisme ont été mis en évidence plus récemment. Les nouvelles données confirment que les enfants exposés in utero présentent un risque accru de troubles neurodéveloppementaux certainement dépendants de la dose là-encore. En parallèle, le risque de trouble du spectre autistique serait triplé et celui de l’autisme de la petite enfance quintuplé».

Pour ce qui des chiffres, l’Inspection générale des affaires sociales (voir article ci-dessous) faisait état en février dernier de 450 naissances d’enfants exposés in utero au valproate et porteurs de malformations congénitales. L’Igas pointait alors un clair « manque de réactivité » des autorités sanitaires françaises. SL

450 cas de malformations sous Dépakine: l’Igas dénonce l’inertie des autorités sanitaires

Paris, France / 24 février 2016 – L’Inspection Générale des Affaires Sociales (Igas) vient de rendre un rapport commandé le 22 juin 2015 par le Ministère de la Santé, sur les conséquences de la prise de valproate de sodium (Dépakine®, Dépakote®, Dépamide®, Micropakine® et génériques) par des femmes enceintes. Même s’il souligne que l’antiépileptique est parfois sans alternative, le rapport est très sévère sur le manque de réactivité des autorités sanitaires face à des risques qui, au début des années 80, étaient déjà fortement suspectés, et qui au début des années 2000, étaient avérés.

« On peut considérer qu’en 2004, l’accumulation des signaux justifiait des mesures d’information à l’attention des prescripteurs et des patients » souligne le rapport, en ajoutant que dans la notice destinée aux patients, « l’explicitation des risques liés à une grossesse sous traitement au valproate de sodium n’intervient qu’en 2010 ». Auparavant, un simple renvoi du type « Consulter votre médecin en cas de grossesse, était notifié ».

450 enfants victimes de malformations

Le rapport de l’Igas est essentiellement consacré à l’avancée des connaissances scientifiques sur le valproate, et au retard dans la prise en compte de ces connaissances. Il comporte également une évaluation de l’impact de la prise de valproate par des femmes enceintes, en termes de malformations infantiles. En France, pour la période 2006-2014, les experts de l’Igas avancent un chiffre compris entre 425 et 450 cas de naissances d’enfants vivants ou mort-nés, exposés in utero au valproate et porteurs de malformations congénitales.

Ce chiffre est une extrapolation des données du registre des malformations en Rhône-Alpes (REMERA), qui a extrait tous les cas d’enfants nés vivants ou non entre 2006 et 2014, et exposés au valproate. Au total, 33 enfants exposés ont été identifiés. Pour 29 d’entre eux, la mère était traitée pour épilepsie, et pour les 4 autres, pour raisons psychiatriques. Enfin, on compte 22 naissances vivantes, et 11 interruptions médicales de grossesse.

Manque de réactivité des autorités de santé françaises

Dans son rapport, l’Igas distingue trois périodes.

De 1967 à 2000, année où les premiers résultats des enquêtes sont discutés dans un cadre européen. En France, les premiers RCP et notices datent de 1986, et ne subissent aucun changement jusqu’en 1995. En 1997, la notion de polymalformations et de dysmorphie faciale est ajoutée. Toutefois, si les risques tératogènes sont évoqués, les RCP soulignent par ailleurs que ni leur « réalité », ni leur « fréquence » ne sont établies. Ce doute explicite sur la réalité du risque ne sera retiré qu’en 2000.

La notice destinée aux patients, elle, dans sa version 1997, recommande simplement de « consulter rapidement votre médecin en cas de grossesses ou de désir de grossesse » - sans davantage d’information sur la nature du risque.

Entre contraception et conception, rien qu’un lapsus
En page 35, le rapport de l’Igas rapporte cette très belle histoire. Jusqu’en 1995, le RCP signalait que « en cas de grossesse, il n’est pas légitime de déconseiller une conception ». On peut s’interroger sur cette formulation, puisque si grossesse il y a, conception il y a eu. En 1995, la formule devient : « en cas de grossesse, il n’est pas légitime de déconseiller une contraception ». La formule ne se comprend guère mieux. Mais surtout, le rapport de l’Igas révèle que la formulation initiale a été rétablie en 1997, « révélant que l’inversion du message n’était pas intentionnelle ». Ce qu’au demeurant, l’ANSM a confirmé, évoquant pour sa part « une erreur rédactionnelle ».

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