Dépassé par l’offre de soin « ubérisée », l’Ordre des médecins réagit

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

12 février 2016

Paris, France – L’ubérisation de la santé n’est plus une vue de l’esprit mais bel et bien une réalité. Depuis plusieurs mois, des sociétés privées développent des offres de téléconseil médical, sans que ces dernières ne soient prises en charge par la sécurité sociale. Et pour cause : elles échappent à la réglementation actuelle. La polémique a enflé lors de la mise en ligne d’un site, deuxiemeavis.fr, en décembre dernier (voir notre article). Sur sa page d’accueil, les créateurs du site affichent leurs ambitions : « Deuxiemeavis.fr permet aux patients d’obtenir un deuxième avis médical, en moins de 7 jours, auprès de médecins qui ont un très haut niveau d’expertise sur leur maladie. Le service est également ouvert aux médecins qui peuvent soumettre des demandes ». Contre ce deuxième avis, le site demande un versement de 295 euros, non pris en charge par la sécurité sociale. Deux complémentaires ont cependant signé un accord avec le site pour la prise en charge financière de ce service médical.

L’ubérisation c’est quoi ?

Quelques explications trouvées çà et là sur le web…

Ubérisation : changement rapide des rapports de force grâce au numérique

Modifier un marché ou un domaine en prenant Uber comme exemple.

Ringardiser, faire disparaître, un concurrent dépassé par l’innovation technologique.

Autre exemple, le site mesdocteurs.com. Créée en 2015, cette start-up vient de lever 1,2 million d’euros pour se développer. Spécialisé dans le téléconseil médical, le site mesdocteurs.com se fixe pour objectif « de mettre en contact des personnes en attente de conseils médicaux et des médecins qualifiés ». Pour se financer, le site prélève un forfait, allant de 1,99 euros jusqu’à 4,99 euros par question posée à un médecin.

Contrat avec les ARS : une législation rigide qui profite aux sociétés privées

Problème : les médecins conventionnés ne peuvent pas proposer de pareils services rémunérés, car la législation ne le permet pas. Pourtant, selon une enquête de l’Ordre des médecins, 70% des médecins éprouvent le besoin d’intégrer le numérique dans le parcours de soins.

Le décret du 19 octobre 2010 qui définit la télémédecine mérite d’évoluer, selon le CNOM [1].

S’il considère que la téléconsultation (tout comme la télé-expertise, la télésurveillance médicale, la téléassistance médicale) est bel et bien un acte de télémédecine, il ne peut être pris en charge que dans des situations particulières.

Cette rigidité de la législation a profité aux sociétés privées, mais aussi à des assureurs, qui proposent des offres de téléconseil.

Ainsi l’activité de télémédecine doit, dans le cas de la médecine libérale, faire l’objet d’un contrat « signé par le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) et le professionnel de santé libéral ». Résultat : « pour le secteur ambulatoire, un nombre infime d’actes de télémédecine sont pris en charge par l’assurance maladie obligatoire, ou par les ARS dans les expérimentations régionales », constate le CNOM dans son rapport sur la télémédecine et les autres prestations médicales électroniques . De nombreux actes, qui pourraient être considérés comme de la télémédecine et pris en charge par la sécurité sociale, sont tout simplement écartés : consultation cardiologique à distance sur des données cliniques et un ECG, consultation dermatologique d’orientation sur une lésion cutanée, posologie médicale dans les prescriptions majeures (anticoagulants, insuline, diurétiques…). Cette rigidité de la législation a profité aux sociétés privées, mais aussi à des assureurs, qui proposent des offres de téléconseil.

Révision du décret et du Code de déontologie médicale

Pour remédier à cette situation, le CNOM formule une série de propositions.

  • Première priorité : supprimer la contractualisation avec l’ARS, lorsque l’acte de télémédecine est pratiqué dans le cadre du parcours de soins par les médecins de premier et de second recours.

  • Deuxième proposition : la prise en charge par l’assurance maladie des actes de télémédecine. Cette prise en charge pourrait être forfaitaire dans certains cas, comme par exemple lors du suivi d’une pathologie au long cours.

Néanmoins, pour le CNOM, les actes de télémédecine d’ordre expérimental devraient encore nécessiter un contrat dûment signé avec l’ARS.

Parallèlement à cette évolution du décret, le CNOM recommande une modification de l’article 53 de déontologie médicale en matière de téléconsultation par téléphone. Cet article stipule en effet que « le simple avis ou conseil dispensé à un patient par téléphone ou par correspondance ne peut donner lieu à aucun honoraire ».

L’Ordre veut mettre l’ordre dans les contrats « uber »
Si le CNOM se montre souple sur l’intégration de la télémédecine dans l’exercice quotidien des professionnels libéraux, en revanche il met en garde les pouvoirs publics sur les offres "médicales" des sites marchands. Ainsi, le CNOM annonce qu’en matière de contractualisation entre une société marchande et un médecin, il a tout pouvoir pour contrôler la nature de ce contrat. Ainsi, il établira prochainement les clauses indispensables qui doivent figurer dans les contrats signés entre les médecins et ces sites de service médicaux. L’Ordre rappelle également que « le code de la santé, en son article R.4127-19, pose comme devoir pour le médecin de ne pas exercer la médecine comme un commerce en ce sens qu’il ne vend pas une prestation ». Et de s’interroger : « ces sociétés ne vendent-elles pas une prestation médicale, quand bien même la rémunération du médecin serait dissociée de la rétribution la société, puisque pour le patient il existe bien un coût global pour le service rendu ? »

REFERENCE :

  1. Décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine

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