Essai Biotrial : l'IGAS dédouane l'ANSM, les causes restent à trouver

Pascale Solère

Auteurs et déclarations

5 février 2016

REACTUALISATION – La réponse de l’EMA à nos questions : trop tôt pour se prononcer

Londres, Royaume-Uni/ 8 février 2016 – Medscape, édition française, a interrogé l’Agence européenne du médicament (EMA) sur le protocole de l’essai Biotrial qui testait une première administration chez l’homme d’une molécule aux effets complexe et potentiellement dangereuse. Ainsi que sur l’éventualité d’une nécessaire révision des textes encadrant les essais de phase I. Voici ses réponses.


EMA : Dans l'union européenne (UE), l'approbation et la conduite d'essais cliniques relève de la responsabilité des autorités compétentes des États membres. Quand un tel événement se produit, le rôle de l'EMA est de soutenir et collaborer avec le réseau de l'UE pour aider au partage des informations. L'Agence fournit également son soutien au réseau de l'UE pour poursuivre les discussions sur la nécessité d’adopter des mesures correctives si nécessaire. Toutefois, l'enquête sur cet événement est de la compétence de l’Etat membre, à savoir la France. Les autorités françaises ont ouvert une enquête qui inclut la vérification que l'essai clinique a été effectué conformément aux normes requises. Comme cette enquête est toujours en cours, l'EMA ne peut pas donner un avis sur la note préliminaire de l’IGAS.

Les autorités de l'UE vont examiner attentivement les conclusions de cette enquête quand elle sera achevée. Tant que les autorités de l'UE ne détiennent pas toutes les informations des investigateurs, il n’est pas possible de dire si des révisions des lignes directrices de l'UE sont nécessaires.

Paris, France/5 février 2016 - Jeudi 4 février, le Ministre de la Santé, Marisol Touraine, comme elle s'y était engagée, a fait un point d'étape sur l'enquête de l' l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) sur le drame de Biotrial [1].

Le principal problème mit en avant est la gestion de l'accident majeur, à savoir la survenue d'un effet indésirable grave, chez un sujet dès le dimanche 10 janvier en fin d'après-midi. C'est, à ce jour, essentiellement la gestion de la "crise" qui est pointée.

Trois manquements importants sont reprochés à l'investigateur, le laboratoire Biotrial :

- ne pas s'être enquis de l'état du sujet hospitalisé lundi matin avant de ré-administrer la molécule ;

- ne pas avoir éclairé, ni recueilli le consentement à poursuivre l’essai des volontaires lundi ;

- ne pas avoir signalé cet effet grave survenu dimanche avant jeudi soir aux autorités de santé.

Ce sont des « manquements majeurs eu égards à la déontologie et la réglementation » dixit l'IGAS [2]. En effet, l'état du premier sujet hospitalisé « est dès dimanche préoccupant selon les médecins du CHU interrogés » explique Marisol Touraine. En outre, mercredi un second sujet a présenté le même type de trouble malgré la suspension lundi après-midi de l'essai. Ce n'est d'ailleurs qu'après ce second évènement clinique que l'aveugle est levé mercredi, nous apprend le rapport.

La gestion de crise remise en question

Le fléchage de la gestion de crise est clairement pointée par l’IGAS.

La ministre souligne elle-même « l’absence de procédures internes dans la gestion d’une telle situation. »

Certes, en la matière, la réglementation reste floue. Les règlements, lois, recommandations, sont multiples et complexes d'autant que certains textes renvoient à d'autres. Un manquement net est sûrement juridiquement délicat à défendre.

S’agissant de l’éventuelle suspension d'autorisation pour Biotrial, secondaire à ces manquements "majeurs", l'IGAS l'a envisagée mais l'a écartée considérant que la poursuite des activités de Biotrial n'était pas « susceptible de mettre en danger ».. les personnes en raison du "professionnalisme" dans lequel « les essais sont conduits" chez Biotrial ».

D'autres sujets sains sont probablement en cours de phase I en France et/ou à l'étranger sous la responsabilité de Biotrial vu son développement à l'international (voir notre article).

De fait, si aujourd’hui aucune erreur, à quelque niveau qu’il soit, ne peut être mise en évidence, rien ne permet d'affirmer que les manquements observés à Rennes ne se reproduiront pas.

Les questions de l’IGAS auxquelles il faudra répondre :
La note d'étape de l'IGAS soulève d'autres questions, notamment:

- les conditions d'escalade de dose vers les 50 mg/j, dans cette phase multidose ;

- les conditions de levée de l'aveugle, qui n'intervient que tardivement, mercredi ;

- les conditions de ré-administration de dose aux volontaires le lundi ;

- les conditions de leur suivi : « n'aurait-il pas fallu les hospitaliser (au moins) dès mercredi lors de la survenue du second effet indésirable grave » se demande l'IGAS.

Les données de précliniques apporteront-elles une explication ?

En revanche ni l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ni le Comité de Protection des Personnes (CPP) de Brest ne sont à ce jour mis en cause. Selon l'IGAS, le protocole et sa validation par l'ANSM et le CPP sont conformes à la réglementation. Seule problématique soulevée à ce stade; certaines données précliniques n'avaient pas été d'emblée communiquées à l'ANSM. L'ANSM n'en a eu connaissance qu'après en avoir fait la demande (ces jours-ci on imagine) et ceci en un temps record, preuve, s'il en était besoin, que Bial les avait d'ores et déjà.

Or, si ces données n'étaient pas requises pour la soumission du protocole, est-ce que les avoir aurait permis d’éviter l'accident? A ce jour, rien ne l'indique.

L'IGAS appelle du coup à une révision de la réglementation des essais de phase I. En particulier à une communication plus exhaustive des données de préclinique.

Marisol Touraine appelle, de son côté, les laboratoires à signaler désormais sans délai tout incident potentiellement grave survenant chez un volontaire sain, même si, à ce jour, la législation ne l'impose pas formellement. Elle demande aussi d'interrompre toute phase I dans laquelle ce type d'évènement interviendrait, « tant que l'évènement n'a pas été élucidé ».

Commentaires de Catherine Hill, épidémiologiste et biostatisticienne
Medscape, édition française, a interrogé Catherine Hill (Service de Biostatistique et Épidémiologie, INSERM U1018, Université Paris-Sud, Villejuif) sur cette première note d’étape de l’IGAS.

« Certes, ce n’était pas prudent de ne pas se renseigner sur l’état du sujet hospitalisé la veille avant d’administrer une dose de plus à 5 autres personnes.

Mais le protocole lui-même pose de sérieux problèmes: pas d’échelonnement des inclusions à chaque palier de dose, les stratégies pour justifier les délais entre les paliers de dose uniques ou multiples ne sont pas mentionnées. Les inspecteurs IGAS ne semblent pas avoir étudié l’accident de Londres en 2006, ni lu les recommandations de l’EMEA en 2007 qui en ont découlé : à chaque palier de dose, inclure les sujets un par un. Le protocole ne respecte pas cette règle de prudence élémentaire.
On aurait sûrement quand même eu un accident, mais pas plusieurs. Et dire que ce protocole respecte les règles semble une contre-vérité première. Qu'en pense l’EMEA ? »

REFERENCES :

  1. Rapport d’étape de l’IGAS sur l’accident survenu dans le cadre d’un essai clinique, discours de Marisol Touraine, 4/2/16.

  2. Rapport de l’IGAS. Note d’étape- Enquête sur des incidents graves survenus dans le cadre de la réalisation d’un essai clinique. Février 2016.

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