POINT DE VUE

Le stéthoscope a-t-il encore un avenir ?

Dr Jean-Pierre Usdin

28 janvier 2016

Paris, France – A quelques jours d’intervalle deux pointures médicales ont publié dans deux revues médicales dont l’Impact Factor* est au zénith, une supplique se référant à notre outil emblématique, menacé d’obsolescence : le stéthoscope.

C’est Laennec le responsable de la distanciation que nous subissons dans notre pratique quotidienne auprès des patients.

Laennec , pudique selon l’image d’Epinal, interposant un simple papier roulé en cylindre entre la poitrine généreuse de ses patientes et son oreille a réalisé « un petit pas pour l’Homme et un bond pour l’humanité »

Selon E.R. Edelman et B.N Weber dans la tribune Perspective du NEJM , c’est Laennec le responsable de la distanciation que nous subissons dans notre pratique quotidienne auprès des patients [1].

Deux siècles d’auscultation « médiate »

Pour la première fois un intermédiaire est placé entre le patient et son médecin : l’auscultation est devenue « médiate » (1819).

Aujourd’hui les robots, écrans occupent le temps et l’espace nous éloignant régulièrement un peu plus du toucher, du contact verbal, visuel avec nos malades [2]. Logiciel après logiciel des couches robotiques s’interposent entre nous, cliniciens et nos patients.

Il s’est écoulé plus de deux cents ans pour que cette invention soit remise en cause. On lit çà et là et pas simplement chez les annonceurs, la place de plus en plus importante qui doit être faite aux échocardiographes portables miniaturisés, remplaçants plus doués que l’oreille la plus exercée.

J’assume le qualificatif de passéiste mais la robotisation nous a aussi écartés du recueil des données. La sophistication des machines m’a ainsi éloigné de la pratique des échocardiographies laissant ce soin aux plus jeunes mieux formés. Mon contact de « praticien en charge » est ici aussi rompu. Est-ce que je passe suffisamment de temps à regarder une radiographie pulmonaire? Je me suis souvent surpris à lire simplement le compte rendu de mon collègue radiologue. Cédant à la facilité en prescrivant un scanner. Idem les doppler d’ailleurs ! Faisant fi d’un souffle fémoral…

Puis 3615 fut évincé par www

S’il a fallu 200 ans pour détrôner l’auscultation, le dixième de ce temps a été suffisant pour remplacer le câble du téléphone par la fibre optique et le Wi Fi plus voraces. La multiplication des mails et autres textos nous oblige à répondre à nos patients en « direct live », l’espace-temps se rétrécit, il faut riposter à la vitesse de 100 mégabits/s à telle modification du rythme cardiaque, telle hausse de tension artérielle, telle dérive du BNP…en ng/millilitre !

Ces mails et textos surviennent d’une façon brutale, ils nous détournent inconsciemment du patient assis en face de nous ou bien de l’étude du dossier dont on fait le compte rendu. Que l’on ait mis ou non le silencieux : on sait qu’ils sont là s’accumulant, impatients.

La réflexion n’est pas synonyme de doute

Ces messages électroniques exigent une (des) réponse(s) quasi immédiate(s) au risque de majorer l’angoisse de cet hypertendu. Bien sûr, le patient sait que ce traitement ne peut pas avoir agi en 48 heures. Pourtant, c’est un lieu commun de dire que la rapidité surpasse la réponse réfléchie. L’empressement est devenu un gage d’efficacité.

Des voix se font entendre contre cet éloignement médecin /malade qui nous est imposé.

On a vu (ici et ) dans ces colonnes de Medscape, édition française,la vidéo du médecin rappeur ZDogg let doctors be doctors , il est de plus en plus fréquent dans les journaux réputés de lire des blogs ou des articles dénonçant la pression du tout électronique.

 Mais de quel impact disposons-nous, contre les ingénieurs, concepteurs de tout poil porteurs impassibles du progrès ?

Rien n’est plus contagieux que l’exemple (La Rochefoucauld)

C’est au tour du Pr Valentin Fuster avec sa « Fuster’s Touch », dans le JACC (on line le 15 janvier 2016) de s’ériger en porte-parole de l’auscultation « continue à jouer un rôle dynamique majeur dans nos pratiques quotidiennes » [3].

En six exemples bien campés, récoltés lors de sa visite avec les étudiants en 48 heures il démontre le rôle indispensable de l’auscultation et son corollaire : la réflexion. Démontant au passage non seulement les limites de la technologie mais aussi la dérive perverse engendrée, si elle est mise dans des mains inexpérimentées.

C’est une grande satisfaction de constater que les personnalités médicales mondialement reconnues portent sur leurs épaules la défense de la clinique.

Puissent-ils remettre ainsi le stéthoscope autour du cou du médecin.

Le stéthoscope, ce lien ténu [1] qui relie le médecin à son patient, Le véritable garant de l’Examen Clinique.

REFERENCES:

1. Edelman ER and Weber BN. Tenuous Tether. N Engl J Med 2015; 373:2199-2201, DOI: 10.1056/NEJMp1509625

2. Ratanawongsa R, Barton JL, Lyles CR and coll. Association Between Clinician Computer Use and Communication With Patients in Safety-Net Clinics. JAMA Intern Med. 2016;176(1):125-128. doi:10.1001/jamainternmed.2015.6186. doi:10.1001/jamainternmed.2015.6186.

3. Fuster V. Stethoscope’s Prognosis: Very Much Alive and Very Necessary. J Am Coll Cardiol. 2016;():. doi:10.1016/j.jacc.2016.01.005

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