Un suivi clinico-biologique lui-même un peu surprenant
Autre sujet d'étonnement, le recrutement de femmes même si les critères d'inclusion visent à écarter le risque de grossesse durant l'essai.
A nouveau, pourquoi dès maintenant? Quelle est l'urgence, l'intérêt au vu des risques potentiels encourus ?
Le suivi clinico-biologique est lui-même un peu surprenant. On note en particulier un suivi très étroit de l'ECG et la coagulation(TCA plus INR). Alors que la molécule exerce une activité sur le système endocannabinoïde, pas vraiment connu pour ses effets sur l'hémostase. Toutefois on sait que ses activités sont multiples et complexes.
« Les récepteurs cannabinoïdes induisent une signalisation cellulaire assez complexe. Si l’inhibition de l’adénylate cyclase et des canaux ioniques prédomine dans les cellules du système nerveux central, c’est l’activation des cascades kinases (MAPK) qui est sollicitée par les cannabinoïdes dans les cellules immunitaires et tumorales » conclut un article d'analyse publié par l'INSERM [6]. Et les ligands sont nombreux [7].
Hémostase et ECG
Biotrial met en avant sur son site son expertise en monitoring cardiaque. Et dans les études SAD et MAD et PD les sujets ont non seulement des ECG classiques à répétition mais aussi des Holter rythmique notés en "télémétrie" dans les tableaux résumant les procédures. Est-ce dans l'idée de valider le modèle de suivi de Biotrial et faire ainsi d'une pierre deux coups. Ou ce suivi étroit de l'hémostase et de l'ECG est-il surtout motivé par des toxicités observées en préclinique ?
Quelle responsabilité pour l'ANSM ? Un essai mené en France, sous l'autorité du ministère de la Santé Ni Bial, laboratoire pharmaceutique portugais, ni Biotrial, entreprise française menant des essais de phase I pour ses clients, n'ont d'objet de Santé Publique. L'ANSM, en revanche, en est le garant. Ce qui lui donne le droit et le devoir de protection des personnes, "saines" ou "malades", vis à vis des produits de santé sur le territoire français. Notamment celui d'autoriser ou pas un protocole de phase I mené en France. S'agit-il d'un accident totalement imprévisible notamment d'une erreur dans la fabrication, l'administration de la molécule testée et/ou dans la mise en œuvre du protocole? Et/ou s'agit-il d'un accident que l'on aurait pu, au moins dans une certaine mesure, prévenir, ou même d'un accident qui n'aurait jamais dû avoir lieu si l'on avait été plus prudent, plus sérieux voire plus honnête ? Beaucoup d'informations restent réservées aujourd'hui aux enquêteurs. |
Des chercheurs réclament la publication des informations
Actuellement l'ANSM se dit "interdite" pour raisons de confidentialité par le laboratoire pharmaceutique Bial de communiquer le contenu de la brochure aux investigateurs qui pourrait apporter quelques précisions en terme de données précliniques [3].
Mais des chercheurs du monde entier réclament la publication d'un maximum d'informations pour se mettre au plus vite à la tâche [8, 9].
Leur but?
Elucider l'origine de cet accident si brutal et grave.
D'autres essais cliniques avec des molécules de la même "classe" c'est à dire visant la même cible étaient en effet en cours. Par précaution ils ont été suspendus. Ils ne pourront pas être repris avant que l'on ait compris pourquoi, comment, cette molécule a pu brutalement tuer un homme en pleine santé et induire des lésions anatomiques irréversibles chez plusieurs autres, au bout de quelques jours d'administration seulement..
D'où les appels de plus en plus pressants des chercheurs mais aussi de la Société Royale Britannique de Statistique (UK's Royal Statistical Society) à une publication par l'ANSM de la brochure destinée aux investigateurs. Quant pour sa part la Société Britannique de Pharmacologie (British Pharmacological Society) appelle le même jour plus largement à un accès plus facile et précoce aux données des essais cliniques "catastrophiques" [9].
REFERENCES :
1. Clinical Study Protocol N° BIA-102474-10, Version 1.2 du 1 Juillet 2015 et Version 2.0 du 16 octobre 2015 (seule modification, changement de l'investigateur principal qui devient Mr Didier Chassart dans la seconde version)
2. Jouan A. Drame de Rennes, le protocole de l’essai clinique en accusation . Le Figaro, 21janvier 2016.
3. ANSM. L’Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) met en ligne le protocole de l’essai clinique BIA-102474-101 du laboratoire BIAL. 22 janvier 2016.
4. CP et MP. Ce que l'on sait des victimes , 16 janvier, Le Parisien.fr
5. Mascret D. Essai clinique à Rennes: le patient en état de mort cérébrale est décédé ,15 janvier, Le Figaro.fr
6. Analyse: "Système endocannabinoïde et cannabinoïdes exogènes". chapitre 14 :285-296, (http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/171/?sequence=19)
7. Venance L. Le système endocannabinoïde central . Endocannabinoids in the central nervous system. Medecine Science 2004, vol 20.
8. De Pracontal M. Essai clinique de Rennes: des scientifiques réclament la transparence. 25 janvier 2016, Médiapart.
9. Callaway E, Butler D. Researchers question design of fatal French clinical trial. UK's Royal Statistical Society among those demanding more information after the release of trial's protocol. Nature News (22 January 2016)
Citer cet article: Pascale Solère. Essai Bial/Biotrial : irrégularités dans le protocole? - Medscape - 28 janv 2016.
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