Saint-Denis, France --ACTUALISATION : Le dernier point d'information de l'ANSM vient malheureusement confirmer que lors de l'essai, tous les sujets ont commencé les prises du médicament étudié en même temps le mercredi 6 janvier. Ils étaient pourtant les premiers à se voir administrer une telle dose – 50 mg/j – de façon répétée. Pour rappel, cette pratique est formellement contre-indiquée par les recommandations européennes réglementant les phases I auxquelles ce protocole se réfère à maintes reprises. Espacer les sujets d'un temps suffisant - à adapter en fonction des données de pharmacodynamie dont on dispose - lorsque l’on monte de palier constitue le point central de ces recommandations éditées en 2007. L'analyse des causes et cofacteurs de l'accident de phase I survenu au Royaume-Uni en 2006 avait mis en évidence qu'allonger le délai d'observation avant l'inclusion du prochain sujet pourrait singulièrement minorer le risque d'accident, du moins d'accidents en chaîne. Ces recommandations en phase I ne sont pas une nouveauté. Impossible de ne pas être au courant. Hier à Rennes, presque 10 ans après l'accident survenu Outre-Manche, le simple respect de ces bonnes pratiques aurait peut-être pu prévenir ou au moins minorer le drame. Difficile en effet aujourd'hui de prédire l'évolution clinique d'au moins quatre sujets, ceux présentant des lésions nettes à l'IRM, de même que celle de toutes les personnes sans lésions significatives à l'imagerie mais pas nécessairement indemnes. |
Paris, France/27 janvier 2016 -- A la mi-janvier, la molécule BIA-1024-74 développée par le laboratoire Bial, a causé la mort d'un volontaire sain et entrainé des lésions cérébrales documentées à l'IRM chez au moins 3 personnes.
Hier, on en était resté à :
- une personne hospitalisée dans un établissement proche de chez elle et ayant subi un événement intercurrent ;
- une personne en suivi en ambulatoire ;
- une personne rentrée chez elle.
Ce terrible accident arrivé au cours d'un essai de phase I est-il le seul fruit du « pas de chance » ou a-t-il d’autres causes ? A l'heure actuelle, nul ne le sait.
Trois enquêtes sont en cours. Une en flagrance de la police judiciaire, celle de l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) et celle de l' Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), saisie par le ministre de la Santé.
Elles vont devoir répondre aux multiples questions posées par ce drame et éclairer les responsabilités des uns et des autres.
Leurs résultats sont attendus en fin du mois.
Mais, la lecture du protocole clinique [1] - mis en ligne en première instance par Anne Jouan sur le site du Figaro.fr [2] avant que l'ANSM elle-même ne finisse par le publier [3], suscite quelques "étonnements".
BIA-1024-74: un inhibiteur impliqué dans la dégradation des endocannabinoïdes La molécule en cause dans l'essai, le BIA-1024-74 développé par Bial, est un inhibiteur la FAAH (Fatty Acid Amid Hydrolase). La FAAH est une enzyme impliquée dans la dégradation des endocannabinoïdes, famille de neurotransmetteurs participant au niveau cérébral mais aussi en périphérique à de multiples régulations dont la réponse à la douleur. BIA-1024-74 agirait plus précisément sur le niveau d'anandamide, un des principaux endocannabinoïdes. Enfin c'est un inhibiteur réversible de longue durée d'action de la FAAFH centrale et périphérique selon le protocole de l'essai. A noter, cette nouvelle classe d'inhibiteurs est en développement dans plusieurs laboratoires. Il s’agit d’une voie prometteuse notamment en termes d'antalgie. Mais jusqu'à présent, ces inhibiteurs semblent manquer d'efficacité en clinique du moins sur la douleur. |
Envergure, mélange des genres, précipitation : un protocole de phase I détonnant
On peut en particulier être surpris:
- du nombre impressionnant d'animaux utilisés au stade préclinique ;
- des objectifs multiples de cette phase I censée se limiter à pharmacocinétique et sécurité ;
- du corpus de quatre sous essais: dose simple, doses répétées, interaction, et pharmacologie ;
- de sa chronologie en mode accéléré et de l'imprécision des délais à respecter au sein et entre les paliers et les études ;
- du nombre très important de sujets à traiter, donc à exposer à une molécule inconnue ;
- de l'inclusion de femmes en âge de procréer, généralement écartées des phases I ;
- du suivi particulièrement soucieux notamment des ECG et de la coagulation ;
- et, cerise sur le gâteau, de la stratégie de double aveugle versus placebo.
Les questions en suspens sont nombreuses :
Y avait-il déjà en préclinique chez l'animal des motifs d'inquiétude ?
Et /ou ne s'agit-il pas plutôt d'un essai de phase I-II ?
Auquel cas, au-delà de la responsabilité éventuelle de Bial, laboratoire requérant:
- l'ANSM est-elle habilitée à valider ce protocole alors qu'aucune autre phase I préalable n'a été menée ?
- Biotrial est-il habilité à mener ce type d'études cliniques ?
Enfin l'ANSM, a-t- elle joué son rôle ? Car si ce n'était pas le cas, il faudrait sérieusement revoir, à nouveau, notre système.
Citer cet article: Pascale Solère. Essai Bial/Biotrial : irrégularités dans le protocole? - Medscape - 28 janv 2016.
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