Essai clinique de Rennes : 1 décès, et 5 volontaires dans un état stable

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

18 janvier 2016

ACTUALISATION -- Selon un communiqué de presse du CHU de Rennes , le patient en état de mort cérébrale est décédé ce dimanche en milieu de journée. L’état de santé des cinq autres personnes est stabilisé. Sur les 84 autres volontaires de cette étude, 10 ont été reçus en consultation, et n’ont présenté aucune des anomalies cliniques et radiologiques présentes chez les 6 patients hospitalisés.

Rennes, France / 15 janvier 2016 – L’accident survenu dans un centre agréé d’essais cliniques à Rennes, Biotrial, entre les 10 et 14 janvier dernier est un événement sans précédent en France, comme l’a souligné Marisol Touraine lors de sa conférence de presse à Rennes, ce 15 janvier. Soumis à un test de phase 1 d’un antalgique produit par le laboratoire portugais Bial, 6 personnes sur 8 patients, seraient actuellement hospitalisés au centre hospitalier universitaire de Rennes. L’un d’entre eux, un homme, aurait été déclaré en mort clinique cérébrale. Les deux volontaires qui n’ont pas été hospitalisés avaient pris du placebo. « Les volontaires hospitalisés sont des hommes entre 28 et 49 ans », a précisé la ministre.

90 personnes incluses dans l’essai

La demande d’essai clinique avait été déposée le 30 avril dernier, auprès de l’ANSM, par Biotrial. « Cet essai concerne une molécule destinée à soigner des troubles moteurs, maladies neurodégénératives et troubles de l’anxiété. Elle agit sur le système endocannabinoïde », a précisé la ministre de la Santé. L’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a autorisé cet essai le 25 juin 2015, lequel a pu débuter le 8 juillet. Il prévoyait d’inclure 128 volontaires et, jusqu’à présent, 90 personnes y ont participé, en absorbant des doses moindres à celles des 6 personnes hospitalisées. « Cette molécule a d’abord été administrée en dose unique, puis en dose multiple, enfin de manière répétée, dans le cadre d’une prise concomitante au repas. » Le groupe de huit personnes incriminées s’est vu administrer cette molécule à des doses plus élevées que les groupes précédents, à partir du 7 janvier. Sur les 8 personnes, deux d'entre elles avaient absorbé des placebos, ce qui explique qu'elles n'ont connu aucun symptôme.

Troubles neurologiques à l’augmentation des doses

Le 10 janvier, un des volontaires s’est présenté au CHU de Rennes, dans un état grave. « Nous avons d’abord cru qu’il était victime d’un accident vasculaire cérébral », a précisé le Pr Pierre-Gilles Edan, du service de neurologie au CHU de Rennes. Ce patient est actuellement en état de mort cérébrale, ajouté le neurologue. Le 11 janvier, Biotrial a décidé d’interrompre cet essai, tandis que quatre patients étaient hospitalisés. Le 14 janvier, le ministère de la Santé était informé de cet incident [1]. « Quatre patients présentent des troubles neurologiques, et le cinquième patient, qui ne présente aucun symptôme, est en observation. Trois patients présentent un tableau sévère, qui fait craindre un handicap irréversible. À l’IRM, des lésions cérébrales nécrotiques et hémorragiques ont été détectées », a détaillé le Pierre-Gilles Edan. L’Agence régionale de santé (ARS) de Bretagne aura pour tâche, dans les jours qui viennent, de rappeler les autres participants à cette étude.

Inspection de l’Igas et enquête du parquet de Paris

Par ailleurs, l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) « a décidé de procéder à une inspection technique de réalisation de ces essais cliniques. Marisol Touraine a pour sa part demandé à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) de mener « une inspection sur l’organisation, les moyens, et les conditions d’intervention de cet établissement dans la réalisation de l’essai clinique ». Le pôle santé du parquet de Paris a ouvert une enquête en flagrance pour "blessures involontaires".

Le laboratoire Biotrial, qui a mené cet essai de phase 1 « bénéficiait d’une autorisation en bonne et due forme et avait des résultats positifs », a ajouté Marisol Touraine. Crée en 1989 par le pharmacien Jean-Marc Gandon, et Hervé Allain, professeur en pharmacologie, Biotrial réalise entre 20 et 25 études simultanées chaque année. Jusqu’à présent, Biotrial n’a pas connu le moindre incident.

1 précédent en Grande-Bretagne

D’ailleurs, comme l’a fait remarquer la ministre de la Santé, ce genre d’incident est tout à fait "inédit" en France. En Europe, un événement similaire s’est déroulé en 2006 [2]. En mars de cette année, six hommes ont dû être hospitalisés, dont deux dans un état critique, et quatre dans un état grave. On leur avait administré, le 13 mars, dans le cadre d’un essai clinique, un médicament, un anticorps monoclonal anti-CD28, destiné à être prescrit dans certaines maladies cancéreuses ou immunitaires. Cet essai avait été conduit par la compagnie Parexel, spécialisée dans les essais cliniques. Comme lors de l’incident survenu à Rennes, les deux seules personnes à n’avoir connu aucun symptôme étaient celles qui avaient absorbé des placebos. Le médicament pour sa part avait été conçu par TeGenero, une société de biotechnologie allemande. Il s’agissait, là encore, d’un essai de phase 1.

Au Nigeria, en 1996, un essai conduit par le laboratoire Pfizer avait causé la mort de 11 enfants. Le laboratoire testait son nouvel antibiotique, le Trovan®, dans la dernière phase d’essais clinique. Au terme d’une action judiciaire, et d’un accord finalement trouvé entre Pfizer et l’État nigérian, le laboratoire américain avait dû verser la somme de 75 millions d’euros aux victimes.

État des lieux des essais cliniques en France
Selon le rapport d’activité 2014 de l’ANSM, 1795 essais cliniques ont été autorisés en France, dont 821 pour des médicaments, et 276 pour des dispositifs médicaux. Un tiers des promoteurs de ces essais sont académiques, et deux tiers sont industriels. Par ailleurs, l’ANSM est également impliquée, à l’échelle européenne, dans l’évaluation conjointe des demandes d’autorisation d’essai clinique pour l’ensemble des États membres. Cette procédure, appelée Voluntary harmonisation procedure (VHP) a permis de traiter 159 dossiers, dont 114 dossiers français. L’ANSM a conduit en France 32 inspections d’essais cliniques pour médicaments en 2014 et prononcé une mise en demeure.

Les différentes étapes de la recherche
La recherche biomédicale, précise l’ANSM, se décompose en plusieurs étapes : recherche fondamentale, puis essais pré-cliniques (sur des modèles expérimentaux ou des animaux). Si les essais pré-cliniques sont jugés concluants, des essais cliniques sur l’homme sont menés. Dans les essais cliniques, on distingue trois phases :

- phase 1 : essais conduits sur des volontaires sains

- phase 2 : essais conduits chez des maladies pour estimer l’efficacité et la tolérance

- phase 3 : essais qui évaluent l’efficacité et la tolérance dans les indications visées, sur un nombre de patients et pour une durée plus importants.

À l’issue de ces trois phases, le laboratoire peut envisager d’obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM).

REFERENCES :

  1. Accident grave dans le cadre d’un essai clinique à Rennes . Ministère de la Santé, 15/01/2016.

  2. Le premier essai humain d'un futur médicament tourne mal à Londres . Le Monde, 17/03/2006.

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