Effet placebo : allié du médecin ou facteur de confusion ?

Dr Catherine Desmoulins

Auteurs et déclarations

30 novembre 2015

Paris, France - Illusion, autosuggestion, pouvoir charismatique  du  médecin gourou… Quand il n’y avait pas d’explication « médicale » à une amélioration clinique, on avait tendance à nommer, avec un certain mépris, l’effet placebo. Mais cette façon condescendante de considérer  le pouvoir d’autoguérison  n’est plus la règle aujourd’hui. La capacité d’une personne à influer sur son humeur, son immunité ou bien encore ses sécrétions hormonales, intéresse de nombreux scientifiques mais aussi les fabricants de médicaments et de dispositifs médicaux. Concernant les « devices », faut-il rappeler l’engouement pour le traitement de l’hypertension artérielle par dénervation rénale jusqu’à la réalisation d’un essai avec un comparateur simulé (Sham) qui montrait que l’efficacité de cette technique invasive était identique à… celle du placebo (voir Dénervation rénale : les leçons de SYMPLICITY HTN-3) ?

Impossible d’évaluer l’efficacité d’un produit, sans tenir compte de l’effet placebo. Tous traitements et situations confondues, on estime que cet effet entre en compte dans environ 30% de la réponse à un traitement pharmacologique. Mais ce taux peut être beaucoup plus élevé car il varie, notamment, en fonction de la pathologie (douleur, dépression…), du comparateur (couleur, forme), de la population et du mode d’administration du produit actif (comprimé, injection, chirurgie…).

Effet placebo dans la dépression : un facteur de confusion gênant

Dans le domaine de la psychiatrie et notamment de la dépression, l’importance de l’effet placebo est telle qu’il est devenu difficile aujourd’hui de mettre sur le marché de nouveaux traitements. Plusieurs industriels se sont groupés au niveau européen pour mieux comprendre les déterminants de la réponse au placebo dans le cadre d’essais cliniques portant sur la dépression et la schizophrénie. Le Dr Jonathan Rabinowitz (Bar Ilan University, Israël)coordinateur de ces travaux, recommande ainsi de mener des essais dans la dépression comparant un seul groupe actif au groupe placebo (1 :1) car dès qu’on augmente ce ratio en faveur du traitement actif, on augmente l’effet placebo. « Si 10% de la population incluse est sous placebo et 90% sous traitement actif, on baisse fortement la différence entre les deux groupes, il faut donc augmenter le nombre de patients dans le groupe placebo » expliquait à Medscape le Dr Rabinowitz à l’occasion du congrès européen des neuropharmacologie (ECNP). «  On a aussi constaté que les réponses au traitement actif et au placebo peuvent fortement varier en fonction des hôpitaux. Par conséquent, les centres avec une forte réponse au placebo, probablement liée aux investigateurs, devraient être exclus des  essais cliniques. »

Dans les essais testant des antidépresseurs, il n’est pas rare d’obtenir des valeurs avoisinants les 30 à 45% de réponse positive  dans le groupe prenant le « faux » médicament contre environ 50% dans le groupe antidépresseur. Difficile dans ces conditions de séparer l’efficacité propre d’une molécule chimique de l’effet placebo.

Pour complexifier encore le problème, des chercheurs américains (University of Michigan Medical School) ont démontré très récemment pour la première fois, imagerie à l’appui, que lorsqu’il s’agit de traiter la dépression, la réponse à un traitement placebo est prédictive de la façon dont un patient va ensuite répondre à un traitement antidépresseur.

Autre constat, un peu surprenant des travauxdu Dr Rabinowitz, portant cette fois-ci sur la schizophrénie : les femmes répondent mieux au traitement actif que les hommes (comparativement au placebo) d’où la recommandation d’augmenter le nombre de femmes dans les essais portants sur les antipsychotiques pour réduire le biais du placebo.

Dans le domaine des douleurs neuropathiques, une étude canadienne a quant à elle constaté que l’effet placebo va croissant aux Etats-Unis probablement du fait des attentes de plus en plus grande des patients via la publicité et le coût des médicaments. De même, si l’on présente deux placebos injectables comme deux médicaments à la fois efficaces et strictement équivalents quant à leur formulation – au détail près que l’un coute 100 $ la dose, et l’autre 1500 $ - à des sujets parkinsoniens, le second donnera des résultats supérieurs au premier sur le plan moteur.

Mécanisme actif ou passif ?

Si l’objectif, pour les industriels, est de minimiser l’effet placebo afin de prouver l’efficacité d’un nouveau produit, celui de certaines thérapies est au contraire de faire appel aux capacités d’autoguérison ou de régulation du corps via le mental. Mais là, parler de placebo est un abus de langage car, des phénomènes cérébraux actifs, empruntant des voies neuronales différentes de celles du placebo, sont à l’œuvre dans la méditation pleine conscience ou le yoga,  par exemple. Alors que dans le cas du placebo, le patient ou sujet n’a pas connaissance ou n’a pas conscience de sa croyance en l’effet d’un traitement.

Le mot de la fin sur l’aspect actif ou passif du placebo reviendra au psychiatre Patrick Lemoine qui propose une stratégie de sevrage d’un médicament actif comme d’un somnifère en demandant au sujet de « jouer » lui-même avec l’effet placebo jusqu’à ce qu’il oublie l’inefficacité du traitement.

L’effet placebo, c’est un peu comme le microbiote intestinal dont on a ignoré les fonctions jusqu’à ce qu’on soit capable, avec des sondes à ADN, de le décrire et de faire le lien entre ses anomalies et des pathologies. L’imagerie fonctionnelle du cerveau devrait aussi nous éclairer sur la vraie réponse à un faux médicament.

Le Dr Rabinowitz a déclaré avoir reçu des honoraires de Amgen, Janssen, JNJ, Eli Lilly, Pfizer, BiolineRx, F. Hoffmann-La Roche, Avraham Pharmaceuticals et Newron Pharmaceuticals pour le comité scientifique de MedAvante et être le fondateur de DupCheck.

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