Hyderabad/Bangalore, Inde — Parler deux, trois langues ou plus préserverait les fonctions cognitives après un AVC, selon une étude indienne publiée dans l’édition en ligne de la revue Stroke [1].
D’après le Dr Suvarna Alladi et coll. (Hyderabad/Bangalore, Inde), en post-AVC, les patients bilingues sont deux fois plus nombreux à présenter des fonctions cognitives normales que les patients qui ne parlent qu’une seule langue.
Tout comme jouer d’un instrument de musique, ou faire régulièrement des sudoku, être bilingue serait donc une façon de booster ses capacités cognitives, selon les auteurs.
Une donnée d’autant plus importante que l’on sait qu’après un AVC, plus d’un patient sur deux a des séquelles cognitives.
Auparavant, plusieurs études se sont intéressées au langage et à la démence même si aucune ne l’a fait dans le contexte de l’AVC. Des liens entre le bilinguisme et les capacités cognitives ont déjà été établis. Une étude a montré qu’être bilingue retardait l’apparition de la démence de 4,5 ans, précise la chercheuse indienne. Une autre, que l’acquisition d’une seconde langue, même à l’âge adulte, protégeait du déclin cognitif.
Elle ajoute qu’en Suisse, où de nombreux citoyens sont trilingues, la prévalence de la démence est relativement faible.
Bilingues versus monolingues
L’analyse des chercheurs a inclus 608 adultes enrôlés dans le registre « AVC » de l’Institut des Sciences Médicales de Nizam (Inde) dont la moitié se considérait comme bilingue. Les participants, victimes d’un AVC ischémique entre 2006 et 2013, ont passé des tests dans les 3 à 24 mois suivant l’événement. Les chercheurs ont utilisé l’échelle d’évaluation des capacités cognitives généralesAddenbrooke’s Cognitive Examination-Revised (ACE-R), adaptée aux populations parlant leTelugu (ou télougou) et le Hindi. Mais aussi l’échelle d’évaluation de la sévérité de la démence Clinical Dementia Rating (CDR). En outre, tous les patients ont eu une imagerie cérébrale.
A l’entrée dans l’étude, les patients bilingues ou monolingues avaient le même âge (57 et 56 ans respectivement, en moyenne) et des caractéristiques vasculaires similaires (61,2% des patients bilingues et 64,3% des patients monolingues étaient hypertendus et 35,7% des patients des deux groupes étaient diabétiques).
Les auteurs en concluent donc que les différences observées entre les deux groupes ne sont pas liées à un mode de vie plus ou moins sain.
Globalement, une démence vasculaire a été diagnostiquée dans 31,1% des cas, un trouble cognitif vasculaire modéré dans 26,2% des cas et une aphasie chez 11% des patients. 31,7% des participants avaient des fonctions cognitives normales.
La plupart des sujets bilingues avaient des fonctions cognitives normales (40,5% vs 19,6% ; p<0,001). En miroir, les sujets monolingues avaient un déficit cognitif plus important (démence vasculaire, trouble cognitif vasculaire modéré) (77,7% vs 49 %; p = 0,0009).
En dehors du monolinguisme, les chercheurs ont observé que l’âge, le faible niveau d’éducation et d’occupation et les facteurs de risque vasculaires étaient significativement associés au déclin cognitif post-AVC (p<0,003).
Un taux d’aphasie équivalent
En parallèle, aucune différence significative n’a été observée entre les deux groupes en termes d’aphasie (11,8% pour les patients monolingues versus 10,5% pour les patients bilingues ; p=0,354).
Selon le Dr Addadi, cette donnée, comme d’autres travaux, suggère que l’effet protecteur du bilinguisme ne serait pas la conséquence de meilleures capacités linguistiques mais d’une amélioration des fonctions exécutives (logique, stratégie, raisonnement…) obtenue par des années de pratique du passage d’une langue à l’autre.
Interrogé par Medscape édition anglaise, le Pr Jose Biller (Service de neurologie, Loyola Medicine, Etats-Unis), lui-même bilingue, indique que l’étude indienne va dans le sens de recherches qui montrent que « le bilinguisme a un impact positif sur les fonctions cognitives ».Selon lui, ces bénéfices sont probablement induits par des changements plastiques au niveau du cerveau qui « peuvent activer des réseaux neuronaux qui ne sont pas activés ou impliqués dans le monolinguisme. »
Il conclut : « je suis intrigué par cette question du langage parce que si le langage bilingue utilise des circuits cérébraux différents, alors les modèles pronostics qui ont été développés pour les monolingues ne peuvent peut-être pas s’appliquer aux sujets bilingues qui ont fait un AVC ».
Il souligne, toutefois, que l’étude a été menée auprès d’une population indienne assez hétérogène et que les résultats ne sont peut-être pas superposables dans d’autres régions du monde. Il appelle à réaliser d’autres études pour évaluer la reproductibilité de ces résultats.
L’étude a été financée par le Conseil Indien de la Recherche Médicale. Les auteurs n’ont pas de liens d’intérêt en rapport avec le sujet. |
REFERENCE :
Alladi S. et coll. Impact of Bilingualism on Cognitive Outcome After Stroke. Stroke 2015; Published online November 19, 2015.
Citer cet article: Aude Lecrubier. Post AVC : être bilingue protège les fonctions cognitives - Medscape - 30 nov 2015.
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