Contre le tiers-payant généralisé, des médecins préparent leur déconventionnement

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

2 novembre 2015

Paris, France – Après de multiples tergiversations, aller-retours et oppositions entre Sénat et Assemblée Nationale autour du projet de loi de modernisation de santé, il est fort probable que les députés rétablissent in fine le tiers-payant généralisé (TGP), qui sera totalement opérationnel en 2017. Face à cet état de fait, les collectifs médicaux comme l’Union française pour une médecine libre (UFML), mais aussi certains syndicats, comme la Fédération des médecins de France (FMF), brandissent de nouveau la menace de déconventionnements massifs des médecins.

Déjà leaders de la fronde au printemps derniers, les médecins de Roanne s’y préparent de façon collective en cas d’adoption du projet de loi de santé, qu’ils considèrent comme une atteinte au système solidaire de financement de la protection sociale. Partout en France, des centaines de médecins pourraient bien suivre leur exemple.

Projet de loi de modernisation du système de santé : renvois et réexamens en série
Cette fois-ci, le compte à rebours est enclenché. La commission mixte paritaire sur le projet de loi de santé, qui réunit sénateurs et députés, s’est tenue le 27 octobre dernier. Elle devait proposer une nouvelle version du projet de loi de modernisation du système de santé, un compromis entre celle du Sénat et celle de l’Assemblée nationale.

Principale divergence entre les deux chambres : le tiers-payant généralisé (TPG). Le Sénat n’en veut pas, l’Assemblée nationale en fait le point d’orgue du projet de loi. Les avis ont été tellement opposés qu’aucun compromis n’a émergé à l’issue de cette réunion du 27. Échec complet.

Résultat, le projet de loi de santé a été de nouveau renvoyé vers l’Assemblée nationale et devrait être examiné ce 16 novembre en séance publique, et le 9 novembre en commission des affaires sociales.

Les médecins préparent la riposte

Dans les régions, des groupements de médecins ont d’ores et déjà préparé des « feuilles de route » du déconventionnement, prêtes à être appliquées dès l’adoption du projet de loi de santé. À l’instar des médecins de Roanne (Loire), qui avait déjà attiré l’attention des pouvoirs publics en mai dernier : ils avaient lancé une grève des cabinets, qui a duré trois jours, et avait été suivie par près de 100% des médecins du territoire. A l’époque déjà, les médecins roannais avaient adressé des courriers à l’assurance maladie pour s’enquérir des modalités de déconventionnement. Cette fois-ci, toujours aussi groupés, les médecins généralistes de Roanne sont fins prêts pour un déconventionnent collectif.

 
Nous avons de nouveau fermé nos cabinets en octobre, et les pouvoirs publics nous ont répondu par un silence assourdissant -- Dr Bruno Pages
 

Interrogé par Medscape, le Dr Bruno Pages, l’un des protagonistes du mouvement sur la région roannaise, explique sa démarche.

« Après la grève de mai, nous avons de nouveau fermé nos cabinets en octobre, et les pouvoirs publics nous ont répondu par un silence assourdissant. Que nous restait-il donc à faire ? Le déconventionnent collectif a été évoqué et adopté à la majorité lors d’une assemblée générale le 7 octobre dernier. » Le plan d’actions est en cours de préparation : « Depuis une dizaine de jours les médecins ont formé des groupes de travail pour étudier toutes les conséquences dans leur pratique professionnelle du déconventionnement ».

En tout, à Roanne, six groupes de travail sont à l’œuvre, qui planchent sur les thématiques suivantes :

- modalité et organisation du déconventionnent solidaire,

- harmonisation des honoraires,

- aspects médico-administratifs de la pratique déconventionnée,

- modalités comptables, communication auprès de la population,

- avenir de la profession.

Chaque groupe est constitué entre 5 et 8 médecins, qui devraient se réunir le 12 novembre prochain pour faire la synthèse des travaux effectués.

« Le jour où la loi sera votée à l’assemblée nationale, nous déposerons nos lettres de déconventionnement chez un huissier. Ces lettres seraient envoyés aux directeurs des caisses primaires d’assurance maladie, le jour de la publication du premier décret d’application de la loi de santé », détaille le Dr Pages.

Un mouvement de solidarité

 
Demain ce sont les mutuelles qui prendront le contrôle de l’assurance maladie – Dr Pages
 

À ce jour, il est impossible pour le collectif de connaitre le nombre de médecins qui devraient se déconventionner. Dans tous les cas de figure, cet appel au déconventionnement concerne une centaine de médecins.

« Ce déconventionnement est solidaire, c’est-à-dire que même les médecins qui ne souhaitent pas se déconventionner resteront solidaires de ceux qui se déconventionnent. Cela veut dire que chaque médecin gardera sa patientèle. » Comme pour défendre ce mouvement, le Dr Pages argue que le projet de loi de santé est une atteinte au système solidaire de financement de la protection sociale : « Demain ce sont les mutuelles qui prendront le contrôle de l’assurance maladie. » Si les aspects techniques, voire financiers du TPG pour la profession médicale - qui peut alourdir les frais de gestion d’un cabinet - ne sont pas niés, le Dr Pages affirme que ce n’est pas ce qui a motivé les médecins à rentrer dans le mouvement : « Nous ne voulons pas être à la merci des financeurs. »

Quimper, Vannes, Lorient, Hautes Pyrénées prêts à suivre

Au-delà de Roanne, d’autres collectifs s’organisent. Le Dr Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF), qui a lui-même menacé de se déconventionner en cas d’adoption du projet de loi, recense plusieurs initiatives éparses sur l’ensemble de la France : « Le Dr Nikan Mohtadi, actif du côté de Quimper, a proposé une charte solidarité dans la région [1], qui prévoit un déconventionnent en cas d’adoption du projet de loi de santé. Dans les Hautes Pyrénées, le Dr Patrick Guimbaum a fait signer une charte à 300 médecins sur le même modèle que celle du Dr Mohtadi. Il y a d’autres médecins prêts à se déconventionner à Lorient, Vannes, à la pointe du Finistère. Il existe plusieurs coordinations sur le même modèle que celle mise en place par le Dr Mohtadi. »

Si le déconventionnement apparaissait encore il y a quelques mois comme une menace, il est progressivement devenu une alternative crédible au projet de loi de santé et au TPG. D’autant que le gouvernement ne semble pas reculer, comme l’a rappelé le Premier ministre Manuel Valls à la tribune du Congrès de l’Ordre des médecins le 29 octobre dernier, sous les huées des médecins présents. Interrogé sur les conséquences d’un déconventionnent massif des médecins, l’assurance maladie n’a apporté aucune réponse.

Nouvelle journée de grève le 13 novembre
Rebelote ! L’ensemble la majorité des syndicats de médecins libéraux (CSMF, FMF, SML, Bloc) et généralistes (MG France) appellent à une nouvelle journée de fermeture des cabinets le 13 novembre prochain, à quelques jours de l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi de modernisation de notre système de santé.

Dans un communiqué, la CSMF explique que, « face au comportement jusqu’au-boutisme de Marisol Touraine, la CSMF demande aux médecins de sensibiliser les patients en les informant contre les effets délétères de la loi de santé et en pratiquant la désobéissance civile au fur et à mesure de l’installation du tiers-payant généralisé ». Néanmoins, des rencontres bilatérales sont organisées par le cabinet du ministère de la Santé début novembre, pour parvenir à un accord.

 

REFERENCE :

  1. Collectif organisation défense territoire de santé

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