Médiator® : un jugement exemplaire, des indemnisations ridicules

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

26 octobre 2015

Nanterre, France Le tribunal de grande instance de Nanterre n’a finalement pas écouté l’avocate des laboratoires Servier, Maitre Nathalie Carrère qui, comme nous l’avions alors relaté dans Medscape , demandait au juge de surseoir à statuer sur le cas de deux plaignants à qui l’on avait prescrit du Mediator®, dans l’attente des conclusions du pénal.

Le 22 octobre dernier, la juge de Nanterre Laure Toutenu et les vice-présidentes du tribunal Fabienne Lagarde et Agnès Cochet-Marcade ont rendu un jugement, le premier, d’ailleurs, dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire du Mediator® [1]. Chargé de juger une vingtaine de dossier de victimes présumées de ce médicament commercialisé par Servier, le tribunal a rendu un verdict sur les deux premiers dossiers, dont l’audience s’est déroulée le 10 septembre dernier.

Insuffisance aortique

Premier de ces dossiers, celui d’une femme, Mme S. âgée de 67 ans, à qui son médecin traitant lui avait prescrit du Mediator® entre 2006 et 2009. Mme S. présente, selon le rapport d’expertise judiciaire, une insuffisance aortique minime et une insuffisance mitrale très minime. Elle rend responsable le Mediator® de sa pathologie cardiaque, et demandait donc d’engager la responsabilité des laboratoires Servier au motif que le Mediator® est un produit défectueux. Elle demandait la condamnation de Servier à lui payer : 3780 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire, 8000 euros au titre des souffrances endurées, 15 000 euros au titre de son déficit fonctionnel, et 15 000 euros au titre du préjudice d’anxiété. En outre, en vertu de l’article 700 (honoraires d’avocats, frais de consultation d’un spécialiste à l’amiable, frais de déplacement…) elle demandait également le versement de 15 000 euros pour les frais engagés.

Pas de sursis à statuer

Sur le sursis à statuer demandé par le laboratoire Servier, le tribunal a jugé que l’action engagée au civil est sans rapport avec les infractions jugées au pénal, et que le laboratoire a pu avoir droit à un procès équitable, car « il a été en mesure de faire valoir les moyens qui étaient nécessaires à sa défense dans le cadre de la procédure civile ». Le tribunal a par ailleurs refusé à la plaignante sa demande de nouvelle expertise.

Sur la responsabilité du laboratoire, le tribunal a jugé que l’insuffisance aortique est d’origine médicamenteuse, contrairement à l’insuffisance valvulaire mitrale. « Il existe des présomptions précises, graves et concordantes de la présence d'un lien direct et certain entre la prise de Médiator pendant plusieurs années par Mme S. et sa valvulopathie aortique », écrit le tribunal dans son jugement dont Medscape a eu copie. Par ailleurs, le tribunal a estimé que, même si le Mediator® n’a été retiré du marché qu’en 2009, de nombreux rapports et éléments antérieurs à cette date pouvaient amener Servier à connaitre la défectuosité de ce produit. « les éléments recueillis par les autorités de santé entre 1995 et 2005 auraient dû conduire à une évaluation défavorable de la balance bénéfice-risque du Médiator, notamment les rapports italiens très documentés sur la toxicité de la norfenfluramine, le signalement le 3 octobre 2003 d'un cas de valvulopathie cardiaque par l'agence du médicament espagnole, et les cas signalés en France: alerte de trois médecins conseil nationaux de l'assurance maladie entre 1997 et 1998, la notification au CRPV de Marseille le 10 février 1999 d'un cas de valvulopathie aortique et un cas d'HTAP notifié en juin 1999 », rappelle le tribunal.

La responsabilité des laboratoires Servier est engagée

Il est établi, rappelle le juge, que le benfluorex (Mediator®) se métabolise en norfenfluramine, suspectée d’être responsable depuis 1995 de risques cardio-vasculaires. Donc, au moment où l’on prescrivait du Mediator® à Mme S., Servier connaissait les risques associés à ce médicament, mais n’en a informé ni les patients, ni les professionnels de santé. « Par conséquent, la responsabilité des laboratoires Servier est engagée vis à vis de Mme S. en application des articles 1386-1 et suivants du code civil et ils seront tenus à l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis du fait de son exposition au Médiator », statue le tribunal.

Ce dernier a condamné le laboratoire à verser à la plaignante 3000 euros au titre des souffrances endurées, 1350 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 5400 euros au titre du déficit fonctionnel permanent. En revanche, le TGI de Nanterre n’a pas retenu de préjudice spécifique d’anxiété. Au titre de l’article 700, Servier devra également verser 10 000 euros. La CPAM du Tarn, également partie civile, recevra la somme de 473,48 euros.

Les montants alloués : « une vraie catastrophe »

Dans le deuxième dossier, si le tribunal reprend la même argumentation pour condamner les laboratoires Servier, les montants diffèrent, en vertu des troubles et des pathologies causés par la prise de Mediator®. Le plaignant, un homme de 72 ans, a dû subir une opération à cœur ouvert, pour la pose de valve mécanique. Il demandait le versement de 845 000 euros, auxquels s’ajoutait 100 000 euros pour les quatre enfants du plaignant. Le juge a estimé que le Mediator® n’était responsable qu’à hauteur de 50% des préjudices subis, comme l’y invitait le rapport d’expertise. Le tribunal a donc condamné les laboratoires Servier au versement de 27 000 euros, et 12 000 euros au titre de l’article 700. « C’est une vraie catastrophe, s’est plaint l’un des avocats des victimes du Médiator®. En effet, le plaignant avait obtenu de la Cour de Versailles une provision sur son dommage d’un montant de 50 000 euros. Or il n’a obtenu que 27 000 euros du tribunal de Nanterre. Ce qui veut dire que les laboratoires Servier sont en droit de lui réclamer le remboursement de 23 000 euros. »

 
Sur le principe c’est un excellent jugement, tous nos arguments ont été repris mais les montants alloués sont ridicules -- Maître Joseph Houdin
 

Mais un jugement qui donne du « baume au coeur »

Ce que confirme Maître Joseph Houdin, avocat de ce plaignant : « Sur le principe c’est un excellent jugement, tous nos arguments ont été repris mais les montants alloués sont ridicules, nous allons donc faire appel. » Le Dr Irène Frachon, la praticienne hospitalière qui avait la première révélé l’étendue du scandale sanitaire du Mediator®, a estimé que ce jugement était « exemplaire », mais que « le montant des indemnisations est dérisoire, incompréhensible et inacceptable » sur la chaine France 3. L’eurodéputée écologiste Michèle Rivasi a pour sa part déclaré que « ce n'est qu'un début mais il donne du baume au cœur. Ce jeudi 22 octobre, le tribunal de grande instance de Nanterre a reconnu la responsabilité des laboratoires Servier dans le scandale du Mediator ». Les laboratoires Servier, dans un communiqué, ont annoncé qu’ils se réservaient le droit de faire appel de ce jugement.

Le tribunal de Nanterre devra encore examiner une vingtaine de dossiers, dans cette affaire du Mediator®. Maitre Houdin devra pour sa part défendre de nouveaux dossiers de plaignantes le 19 novembre prochain.

 

REFERENCE :

1.Tribunal de Nanterre. 22 octobre 2015

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