Paris, France – La fonction du microbiote dans l’organisme est de mieux en mieux connue et reconnue. En plus de son rôle métabolique et immunitaire, les recherches font désormais apparaitre une possible implication de la flore intestinale sur la fonction cérébrale. « Si des déséquilibres (dysbioses) du microbiote ont d’abord été associées aux maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) puis à un nombre grandissants de pathologies : syndrome de l’intestin irritable, allergies, maladies métaboliques et diabète de type 2, aujourd’hui, des preuves s’accumulent quant à un possible lien entre microbiote intestinal, d’une part, et la maturation et le fonctionnement du système nerveux central (SNC), d’autre part » confirme Laurent Naudon, chargé de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra, Jouy-en-Josas).
Microbiote en chiffres - 200 millions de neurones peuplent les intestins ; - 100 000 milliards de bactéries colonisent le tube digestif ; - 800 à 1000 espèces de bactéries présentes ; - 1 à 2 kg de la masse corporelle. |
Nos 2 cerveaux communiquent
L’intestin et le cerveau sont étroitement connectés. Plus précisément, il a été suggéré que le microbiote intestinal prendrait part à la communication entre le cerveau et l’intestin – lequel a souvent été qualifié lui-même de deuxième cerveau –, et influencerait ainsi le fonctionnement cérébral. Les molécules mises en jeu sont produites par les bactéries (produits de fermentation, neurotransmetteurs) ou des molécules constituant des bactéries elles-mêmes. Ces molécules peuvent agir directement sur le cerveau qu’elles atteignent par 4 voies possibles :
- la voie circulatoire ;
- le système immunitaire en déclenchant la libération de cytokines par les cellules immunitaires de la muqueuse intestinale ;
- le système endocrinien en entrainant la libération de neuropeptides par les cellules entéro-endocrines ;
- le système nerveux autonome (le nerf vague irrigue la totalité de l’intestin).
Si le microbiote participe à la communication entre intestin et cerveau par différentes voies, la question qui vient à l’esprit est : est-ce qu’une dysbiose pourrait contribuer à la physiopathologie de pathologies neurologiques et psychiatriques ? « Les premières études, menées chez l’animal, ont permis de constater qu’en l’absence de microbiote, on observait des dysfonctionnements au niveau cérébral. Il a été possible également de démontrer qu’en modulant la composition du microbiote intestinal, on obtient des modifications de la réponse comportementale de l’hôte » expose le chercheur.
Effet modérateur sur le stress
La première démonstration d’un effet modérateur du microbiote sur la réponse au stress remonte à 2004 quand l’équipe de Nobuyuki Sudo, de l'Université de Kyūshū (Sudo et al, 2004), au Japon, montre une hypersensibilité au stress chez les rongeurs dépourvus de microbiote intestinal (axéniques). Après avoir immobilisé des souris axéniques et des souris normales pendant une heure dans un tube à contention, les chercheurs démontrent que la concentration sanguine de corticostérone est augmentée chez les animaux sans microbiote par rapport à leurs congénères conventionnels. Des résultats confirmés par la suite à plusieurs reprises, d'abord chez la souris puis chez le rat.
Si le microbiote a un effet modérateur sur la réponse au stress, peut-on obtenir un effet déstressant en le modulant ? L’étude réalisée en 2011 par Javier Bravo, de l'Université de Cork, et ses collègues, le suggère (Bravo et al, 2011). Les chercheurs ont montré que l'administration de bactéries probiotiques Lactobacillus rhamnosus à des souris Balb/C naturellement émotives atténue le comportement anxieux dans un labyrinthe en croix surélevé. Des effets souches-dépendants puisque l’administration combinée des souches Lactobacillus helveticus R0052 etBacillus longum R0175 induit un comportement anxieux chez des rats (Messaoudi et al.,2011), alors qu’un traitement chronique pendant 28 jours par Lactobacillus rhamnosus (JB-1) entraine une libération moindre de cortisol et des comportements moins stressés au cours du test de nage forcée ou de parcours dans un labyrinthe en croix surélevé. L’expérience a aussi été menée, avec des résultats similaires, chez l’homme.
Outre le stress et les états anxieux ou dépressifs, l’autisme a aussi fait l’objet de recherches. Des études ont comparé les microbiotes d’enfants autistes à ceux d’enfants témoins (Williams BL, 2012 ; Finegold SM, 2010) et ont rapporté des différences significatives. Sandler et son équipe ont, eux, rapporté une amélioration comportementale notable des symptômes autistiques chez 8 enfants sur 10 suite à un traitement par un antibiotique non absorbable, la vancomycine, pendant 8 semaines (Sandler et al, 2000). Un retour à la normale a été constaté à l’arrêt du traitement, qui au vu du protocole n’a pas été retenu car ne pouvant être utilisé sur la durée, mais suggère néanmoins un lien entre le microbiote intestinal et le cerveau.
Implications possibles dans les maladies neuro-dégénératives
Pour ce qui est des maladies neuro-dégénératives, des études ont notamment été menées dans la sclérose en plaques (SEP), la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer. Les hypothèses dans la SEP sur fondées sur des données expérimentales. Des travaux (Berer et al, 2011) ont ainsi suggéré que des modifications du microbiote induites notamment par l’utilisation d’antibiotiques modifiaient la sévérité de l’encéphalomyélite auto-immune (EAE), modèle animal de SEP.
Une étude finlandaise récente vient, quant à elle, d’établir pour la première fois un lien entre la composition du microbiote intestinal et la maladie de Parkinson, en montrant une altération morphologique de la barrière épithéliale intestinale (Clairembault et al, 2015) et une potentielle dysbiose chez les patients atteints (Scheperjans et, 2015). La relative abondance d’entérobactéries chez les patients atteints de la maladie de Parkinson a été associée positivement à la sévérité des symptômes d’instabilité posturale et de difficultés à la marche (Clairembault et al, 2015).
En ce qui concerne la maladie d’Alzheimer, aucune étude n’est actuellement disponibles chez l’homme, ni même chez l’animal, mais il a été montré que des bactéries du microbiote avaient la capacité de produire in vitro en quantité notable des peptides amyloïdes biologiquement similaires à ceux retrouvés dans le système nerveux central des malades (Bhattacharjee et al, 2013). D’autres recherches sont en cours (Hill et al, 2015).
Mettre au point de nouvelles modalités thérapeutiques
« La découverte de l’impact du microbiote sur le cerveau apporte un nouveau point de vue en neurosciences fondamentales et montre qu’il faut s’intéresser à l’existence d’une comorbidité entre pathologies intestinales, d’une part, et pathologies psychiatriques et neuro-dégénératives, d’autre part. Certains auteurs avancent même la possibilité d’un point de départ gastro-intestinal, via des dysbioses du microbiote, pour expliquer ce type de pathologies. Quoi qu’il est soit, il est sûr que les résultats que nous obtiendrons à l’avenir permettront de mettre au point de nouveaux concepts et de nouvelles modalités thérapeutiques pour des pathologies, notamment neuropsychiatriques, dont la physiologie est encore mal comprise » a conclu l’orateur.
Pour en savoir plus sur le microbiote : 1 revue et 1 site La Revue des microbiotes est le premier journal scientifique consacré aux microbiotes et à leurs répercussions en santé humaine. Destinée aux professionnels de santé, son comité scientifique est constitué de 11 experts français issus de différents domaines pour une approche transdisciplinaire. La revue, lancée en 2015 et disponible sur abonnement, bénéficie du soutien institutionnel du laboratoire Pileje, qui lance par ailleurs un site didactique et tout public www.probiotiques-sante.fr pour s'informer sur le microbiote. |
REFERENCE :
L’intestin et les microbiotes. Conférence de presse Pileje. 08/10/2015.
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Influence du microbiote intestinal sur le risque de cancer du sein
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Citer cet article: Stéphanie Lavaud. Microbiote intestinal et pathologies neuro/psychiatriques : que sait-on ? - Medscape - 23 oct 2015.
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