Paris, France – Une proposition de loi, déposée en 2014, devrait faire son grand retour au Sénat le 22 octobre prochain en séance publique, en seconde lecture [1]. Or, ce texte de loi suscite la désapprobation d’association de parents d’enfants handicapés, et le scepticisme de l’Ordre des médecins. Elle tend à encourager l’ensemble des médecins et des professionnels de santé à signaler des cas de maltraitance qui ont été infligées à un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. Pour ce faire cette proposition de loi déposée par la sénatrice LR Colette Giudicelli propose de modifier l’article 11 du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance. Pour mieux protéger les médecins contre d’éventuelles poursuites, la proposition de loi prévoit que « le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire, du praticien, à moins que sa mauvaise foi n’ait été judiciairement établie ».
700 à 800 décès de mineurs tous les ans
Dans l’exposé des motifs, les sénateurs LR qui ont déposé cette proposition de loi constatent en effet que la maltraitance est responsable de 700 à 800 décès de mineurs tous les ans. Or, ajoutent-ils, il a été constaté que les signalements de médecins ne seraient à l’origine que de 5% du nombre total de signalements. Pour eux, la cause de ce quasi-silence observé par les médecins provient de la crainte de poursuites, pénales ou civiles. « Depuis 1997, environ deux cents médecins (qu'ils soient psychiatres d'enfants, médecins généralistes, pédiatres ou encore gynécologues) ont fait l'objet de poursuites pénales et/ou de sanctions disciplinaires à l'initiative du ou des auteurs présumés des agressions. L'accumulation de ces poursuites a entrainé un climat de stress et un malaise profond au sein du monde médical », est-il notifié dans l’exposé des motifs de la loi.
Les chiffres de non signalement obtenus dans notre enquête Medscape Selon le sondage Medscape France sur « les médecins français et l’éthique médicale », réalisé en 2014, 24% de l’ensemble des médecins et 33% des généralistes ont un jour rencontré un cas où la maltraitance pouvait être fortement soupçonnée, sans donner suite. Précision utile, peut-être : sur les 268 médecins ayant répondu au questionnaire, on compte 71% d’hommes, et 76% de moins de 40 ans. Dans d’autres tranches de la population médicale, les chiffres auraient-ils été meilleurs ? A titre indicatif, parmi les médecins américains, la prévalence de l’indifférence n’est que de 11%, selon le sondage Medscape International. La comparaison a certes une signification limitée, en l’absence d’ajustement entre populations de médecins interrogés de part et d’autre de l’Atlantique. Elle met néanmoins en évidence le niveau très élevé des ordres de grandeur observés en France. |
Lever toute ambiguïté sur « l’impunité » accordée aux médecins
Pourtant les lois d’ores et déjà votées, comme le rappelait le sénateur François Pillet, rapporteur de la commission des lois lors de la séance au Sénat du 10 mars 2015, protégeaient déjà suffisamment les médecins qui faisaient des signalements. Mais cette proposition de loi, complétait-il, permet de lever toute ambiguïté sur « l’impunité » accordée aux médecins en cas de signalement : « En réaffirmant clairement l’irresponsabilité des médecins sans pour autant modifier au fond le droit en vigueur, le quatrième alinéa de l’article unique de la proposition de loi initiale améliore la lisibilité des textes. »
Cette proposition de loi a également reçu le soutien de Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la Famille, des personnes âgées et de l’Autonomie. En rappelant, lors de la séance du 10 mars 2015, que « les auteurs de l’une des études publiées en 2009 par la revue scientifique britannique The Lancet estiment que, dans les pays à hauts revenus comme la France, 10 % des enfants seraient victimes de maltraitance ».
Ouvrir une troisième voie entre dénoncer ou se taire
Néanmoins, a tenu à rappeler Laurence Rossignol, la loi du 5 mars 2007 [2] portant réforme de la protection de l’enfance a introduit la notion « d’informations préoccupantes » et créé dans chaque département les cellules de recueil, d’évaluation et de traitement des informations préoccupantes (CRIP). « Ces dispositions permettent aux médecins, comme aux autres professionnels, d’échapper à un véritable dilemme, dénoncer ou se taire, pour ouvrir une troisième voie, celle qui consiste à partager une préoccupation avec des professionnels formés, à qui il revient de procéder à une évaluation pluridisciplinaire des situations de danger ou de risque de danger », a expliqué la secrétaire d’État. L’ensemble des groupes parlementaires ont par ailleurs soutenu cette proposition de loi, qui semble faire consensus dans les travées sénatoriales.
Les dispositions existantes L’article 11 de la loi du 2 janvier 2004 établit les dispositions relatives au signalement des actes de maltraitance. Il stipule que, en cas de soupçons de privations ou de sévices, le médecin est autorisé à lever le secret médical pour en informer le Procureur de la République. Si ces sévices sont constatés sur des personnes mineures, le médecin peut se passer de l’accord du mineur pour faire un signalement. Cet article pose également que le médecin, du fait de ce signalement, ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire. |
La loi du 5 mars 2007 crée la notion d’informations préoccupantes. Ce sont des informations concernant un mineur en danger ou risquant de l’être, transmises au conseil général. Si besoin est, le président du Conseil général peut faire un signalement auprès du Procureur de la République. L’ensemble de ces informations préoccupantes sont recueillies au sein d’une cellule de recueil, de traitements des informations préoccupantes (CRIP).
Les associations redoutent les signalements abusifs
Il n’en est pas de même des associations de parents d’enfants en situation de handicap, vent debout contre ce texte. Ainsi les association Toupi (informations et soutien pour l’inclusion des personnes atteintes de handicap cognitif), la ligue française des droits de l’enfant, le Cedif (Comité élargi de défense de l’individu et des familles), et Violette Justice, s’élèvent contre ce texte qui assure une impunité totale aux médecins, et pourrait favoriser les mesures abusives contre les familles. Contactée par Medscape, Marion Aubry, vice-présidente de l’association TouPI, justifie la défiance de son association vis-à-vis de ce projet de loi : « Les familles qui ont des enfants en situation de handicap sont souvent victimes de signalement de maltraitance totalement injustifiées. Des médecins connaissant assez mal l’autisme ont parfois diagnostiqué un syndrome de Munchausen par procuration, qui est une forme de maltraitance. Ces informations préoccupantes déclenchent des enquêtes sociales qui parfois peuvent déboucher sur des placements d’enfants. Cet été, trois enfants ont été placés parce que le médecin n’a pas reconnu l’autisme et a diagnostiqué un syndrome de Munchausen par procuration. Le vote de cette loi risque de libérer le corps médical, et les situations abusives vont se multiplier. » Le défenseur des droits s’est saisi de cette question de la protection de l’enfance et des enfants handicapés, et devrait rendre un rapport sur ce sujet en novembre. La Fnaseph (Fédération Nationale des Associations au Service des Élèves Présentant une Situation de Handicap) a versé sa contribution à ce futur rapport du défenseur des droits. Et établit un constat inquiétant : entre 2013 et 2015, entre 3,6% et 7,1% des familles d’enfants handicapés ont fait l’objet d’un signalement. À Paris, sur l’ensemble des enfants en 2010, ce taux de signalement n’était que de 0,78%.
Prudence du CNOM
Le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) fait preuve, pour sa part, de prudence, voire de scepticisme, sur l’efficacité de ladite proposition de loi. « Il y a jusqu’à présent suffisamment de textes pour que le médecin puisse exercer son rôle face aux cas de maltraitance de l’enfant. Si le médecin fait un signalement au procureur, il ne pourra pas être poursuivi, même s’il a signalé à tort, à condition que le médecin respecte les conditions de rédaction de ce signalement, c’est-à-dire qu’il ne faut pas mettre en cause un tiers », explique le Dr Jean-Marie Faroudja, membre de la section éthique et déontologique du CNOM. « Si l’enfant est en danger, le médecin pourra faire hospitaliser l’enfant et informer le chef de service des doutes qu’il peut avoir. Le chef de service pourra alors faire un signalement au Procureur de la République. Si le médecin a une hésitation sur la nature de ce qu’il constate, alors il peut informer la CRIP au Conseil départemental. Cette proposition de loi n’ajoute qu’une couche supplémentaire. »
REFERENCES :
Citer cet article: Jean-Bernard Gervais. Maltraitance : une loi propose une impunité totale pour les médecins en cas de signalement - Medscape - 19 oct 2015.
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