Un régime riche en fructose a-t-il un impact sur la prise de poids, la résistance à l’insuline et le risque de diabète de type 2? Quid du métabolisme lipidique et des maladies cardiovasculaires? Le point sur les études récentes avec Luc Tappy, endocrinologue et professeur de physiologie à l’Université de Lausanne en Suisse.
Retrouvez la transcription de cette présentation sous la vidéo.

Enregistré le 16 septembre 2015, à Stockholm, Suède.
TRANSCRIPTION
Bonjour, mon nom est Luc Tappy, je suis médecin endocrinologue et professeur de physiologie à l’Université de Lausanne, en Suisse. J’ai participé à une séance de l’Association européenne pour l'étude du diabète (EASD) 2015 qui avait trait aux effets néfastes du sucre et au cours de laquelle on m’a demandé de répondre à la question : Est-ce que le sucre est dangereux? [1]
Le métabolisme du fructose
Tout d’abord, qu’il y a-t-il de spécial concernant le sucre? Il faut peut-être rappeler qu’une bonne partie de notre alimentation est composée d’hydrates de carbone, donc de glucides, mais que cela devrait être majoritairement de l’amidon. Cet amidon, lorsqu’il est digéré, va être absorbé sous forme de glucose. Il y a une partie de nos hydrates de carbone alimentaires qui sont des sucres et qui sont formés de glucose ou de fructose, ou le plus souvent de saccharose qui est un dimère de glucose et de fructose. Donc du point de vue métabolique, ce qui va faire la différence entre l’amidon et les sucres, c’est principalement le métabolisme du fructose.
Toutes nos cellules ont besoin d’énergie mais que ce n’est pas rentable pour toutes les cellules de devoir synthétiser toutes les enzymes nécessaires pour le métabolisme de tous les nutriments. Donc notre métabolisme a évolué de de la manière suivante : toutes nos cellules peuvent utiliser du glucose – c’est la première source d’énergie – et elles peuvent accessoirement utiliser des graisses. Les autres aliments, comme le fructose, ne peuvent pas être utilisés directement par les cellules. Cela veut dire que dans un premier temps, ce fructose va devoir être transformé dans le foie, soit en graisse, soit en glucose. On a en effet avoir un métabolisme en deux étapes : 1) Le fructose est transformé en glucose ou graisse dans le foie, 2) Ce glucose ou ces graisses sont ensuite mis à disposition des autres tissus.
Maintenant que l’on sait en quoi le métabolisme du fructose diffère, existe-il des éléments indiquant que ce fructose serait plus dangereux du point de vue métabolique que nos autres aliments?
Fructose et prise de poids
La première question qu’on peut se poser est : Est-ce que le fructose fait grossir? On sait que le contrôle du poids dépend de la balance énergétique, et que pour que le fructose fasse grossir, il faudrait soit qu’il diminue nos dépenses d’énergie, soit qu’il nous fasse manger plus. Clairement, le fructose ne diminue pas nos dépenses d’énergie, donc si on a une association, c’est éventuellement par le fait que le fructose, qui a un goût sucré, va conférer une certaine saveur aux aliments et va tendre à nous faire consommer plus.
Est-ce que c’est vraiment le cas? Difficile à répondre, mais toutes les études épidémiologiques concordent pour montrer que plus les gens consomment du sucre, principalement sous forme de boissons sucrées, et plus ils vont prendre du poids au cours des années. [2-6]Donc la réponse est vraisemblablement que le fructose contribue au gain de poids dans la mesure où il fait partie des calories que l’on mange et où il a un goût qui tend à faire manger les gens.
Fructose et résistance à l’insuline
Est-ce que, indépendamment de cet effet possible sur l’excès de poids, le fructose a d’autres effets métaboliques directs? Alors la première question qu’on peut se poser, c’est est-ce que consommer du fructose va mener à un diabète? Il faut se rappeler que le diabète de type 2, qui est le plus commun, est lié à une résistance à l’insuline. Chez des sujets sains à qui on donne une suralimentation en fructose, on constate c’est que très rapidement, en l’espace de quelques jours, une résistance hépatique à l’insuline s’installe, c’est-à-dire que le foie va produire un petit peu plus de glucose que lorsque les gens ne reçoivent pas de fructose. Mais cette résistance hépatique à l’insuline est très modeste, elle ne s’accompagne pas d’une hyperglycémie ni d’une hyperinsulinémie, donc elle n’est pas de la même nature ou de la même gravité que la résistance à l’insuline qu’on observe dans le diabète de type 2.
Dans le diabète de type 2, on observe régulièrement une résistance musculaire à l’insuline et contrairement à ce qu’on croit, les études qui ont mesuré la sensibilité à l’insuline chez des sujets sains ou des patients obèses après une suralimentation en fructose ne montrent pas une telle diminution de la sensibilité musculaire à l’insuline. On a donc très peu d’évidences d’un effet direct du fructose comme cause de résistance à l’insuline, mais on ne peut évidemment pas exclure qu’il existe un effet à long terme via le gain de poids.[7]
Quel effet sur le métabolisme lipidique?
Enfin, est-ce que [le fructose] a des effets sur le métabolisme des lipides et est-ce que ces modifications pourraient jouer un rôle dans les maladies cardiovasculaires? C’est probablement l’aspect concernant le métabolisme du fructose qui est le plus clair. Il a été clairement établi qu’une alimentation riche en fructose augmentait les triglycérides sanguins, autant à jeun qu’après la prise alimentaire. [8-10] On sait par ailleurs qu’une telle augmentation des triglycérides peut être associée au développement de maladies cardiovasculaires avec le temps.
On sait aussi depuis plus récemment que la stéatose hépatique, qu’on appelle maladie hépatique non-alcoolique et qui correspond à une infiltration de graisses dans le foie, et en pratique immanquablement associée à la résistance à l’insuline. Chez des volontaires sains soumis à une suralimentation en fructose, on observe une augmentation importante de graisses dans le foie. Il s’agit d’une augmentation qui peut doubler ou tripler en l’espace de quelques jours.
Conclusion
Pour conclure, peut-on dire que le sucre joue un rôle particulier dans les maladies métaboliques? Je vais donner une réponse suisse : oui et non. Le sucre étant une source importante de notre alimentation et la suralimentation pouvant induire des maladies métaboliques, le sucre contribue de ce fait aux maladies métaboliques. Maintenant, il n’y a pas d’évidence que le métabolisme du sucre va entraîner une résistance à l’insuline ou causer un diabète, et les effets néfastes vont être probablement plutôt liés à la prise de poids. Il n’en reste pas moins que la consommation de fructose s’accompagne de modifications du métabolisme des lipides sous forme d’une hypertriglycéridémie et d’une infiltration de graisses dans le foie. On peut donc craindre qu’à long terme, ces perturbations du métabolisme des lipides puissent favoriser les maladies cardiovasculaires.
RÉFÉRENCES
Tappy L. Is fructose dangerous? Friday, September 18, 2015. European Association for the Study of Diabetes (EASD) 2015 Annual Meeting, Stockholm, Sweden.
Vartanian LR, Schwartz MB, Brownell KD. Effects of soft drink consumption on nutrition and health: a systematic review and meta-analysis. Am J Public Health. 2007 97:667-75. Epub 2007 Feb 28.
Schulze MB et al. Sugar-sweetened beverages, weight gain and incidence of type 2 diabetes in young and middle-aged women. JAMA 2004;292:927-34.
Troiano RP, Briefel RR, Carroll MD, Bialostosky K. Energy and fat intakes of children and adolescents in the United States: data from the national and nutrition examination surveys. Am J. Clin Nutr. 2000;72:1343S-1353S.
Welsh JA, Cogswell ME, Rogers S, Rockett H., Mei Z, Grummer-Strawn LM. Overweight among low-income preschool children associated with the consumption of sweet drinks: Missouri, 1999-2002. Pediatrics. 2005;115:e223-9.
Mozaffarian D, Hao T, Rimm EB, Willett WC, Hu FB. Changes in diet and lifestyle and long-term weight gain in women and men. N Engl J Med. 2011; 364:2392-404.
Stanhope KL, Schwartz JM, Keim NL. Consuming fructose-sweetened, not glucose-sweetened beverages increases visceral adiposity and lipids and decreases insulin sensitivity in overweight/obese humans. J Clin Invest. 2009; 119(5):1322-34.
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Aeberli I, Gerber PA, Hochuli M et al. Low to moderate sugar-sweetened beverage consumption impairs glucose and lipid metabolism and promotes inflammation in healthy young men: a randomized controlled trial. Am J Clin Nutr. 2011;94(2):479-85.
Theytaz F, Noguchi Y, Egli L et al. Effects of supplementation with essential amino acids on intrahepatic lipid concentrations during fructose overfeeding in humans. Am J Clin Nutr 2012;96(5):1008-16.
Citer cet article: Diabète et maladies CV: Le fructose est-il dangereux? - Medscape - 20 nov 2015.
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