Dans cette 3e partie, Patrick Lemoine décrit le mode d’action biologique du placebo au travers d’études menées sur les antalgiques, la maladie de Parkinson et la dépression.

Transcription :
Nous allons aborder la troisième partie de nos rencontres sur le placebo et qui concerne le mode d’action biologique du placebo. Au fond, comment ça marche le placebo?
On peut dire que la question est pratiquement résolue depuis plusieurs années. C’est un certain John Levine, dentiste de son état, qui, avec une première publication il y une vingtaine d’années, a fait couler beaucoup d’encre et de salive [1].
Douleur et antalgiques opiacés
John Levine avait donné un placebo d’antalgique à des personnes à qui on avait enlevé une dent de sagesse. Il les avait ensuite randomisées en deux groupes :
• Dans le 1er groupe, il donnait de la naloxone, une substance qui bloque les récepteurs aux endorphines.
• Dans le 2e groupe, il donnait du placebo de naloxone.
Les résultats ont été stupéfiants pour la communauté scientifique de l’époque, à savoir que les sujets qui répondaient au placebo d’antalgique ne répondaient pas lorsqu’ils prenaient de la naloxone, alors que ceux qui avaient en même temps du placebo de naloxone pouvaient bien répondre.
Comment peut-on l’expliquer? Puisque la naloxone bloque les récepteurs aux endorphines, vous pouvez produire autant d’endorphines que vous voulez, elles ne vont pas se fixer et vous n’aurez pas d’efficacité. Donc l’hypothèse de départ de Levine était que le placebo d’antalgique fonctionne grâce à la fabrication/sécrétion/activation du système opioïde de l’organisme, ce qui avait été évidemment immédiatement contré par beaucoup de bons esprits qui ne croyaient pas à cette hypothèse et qui ne voyaient pas du tout où il voulait en venir.
Par la suite, de nombreuses études, notamment en imagerie fonctionnelle, ont montré que lorsqu’on donne un placebo d’antalgique (j’insiste: cela ne marche que pour les antalgiques), on active les régions du cerveau qui sont riches en récepteurs aux opiacés.[2]
Le chercheur Fabrizio Benedetti, de Milan, fait autorité dans le domaine du placebo et en particulier dans l’épidémiologie du placebo. Il a randomisé le même type d’études sur des centaines de sujets sains avec des groupes de posologie, voire de posologie de placebo, et a montré de manière, cette fois-ci définitive, que lorsqu’on donne un placebo d’antalgique et que celui-ci marche, on active effectivement les systèmes opioïdes, surtout si les sujets sont habitués à fonctionner avec des antalgiques de type opiacés. [3] En revanche, lorsqu’on conditionne les sujets à répondre à un antalgique autre que les opiacés (aspirine ou autre produit antalgique), et bien bloquer les endorphines ne bloquera pas l’action. Donc on ne sait pas exactement encore quelle est la substance qui est concernée : Est-ce la cholécystokinine? S’agit-il d’autres substances? [4] On pense en réalité que ce sont bien des substances qui sont fabriquées [par l’organisme] et que j’appelle des « endomédicaments », qui sont des médiateurs.
Maladie de Parkinson et dopamine
Il existe une autre étude sur le sujet et qui concerne la maladie de Parkinson [5]. Lorsqu’on donne de la L-DOPA à des sujets parkinsoniens porteurs de lésions dans les noyaux gris centraux et qui répondent au médicament, on observe une activation des noyaux gris centraux. Si on donne un placebo de L-DOPA, et que les sujets répondent, on allume alors dans le cerveau exactement les mêmes zones que si on avait donné de la L-DOPA. Conclusion : Lorsqu’un parkinsonien répond à un placebo, c’est probablement efficace lorsque le sujet est capable de fabriquer de la dopamine endogène avec ses neurones non détruits.
Dépression et sérotonine
Enfin, il y a un troisième type de démonstration : la dépression. Il a été montré que lorsqu’on donne un placebo d’antidépresseur, on va allumer dans le cerveau les zones particulièrement riches en récepteurs à la sérotonine. Donc on peut considérer aussi que lorsque on traite un sujet avec un placebo d’antidépresseur, on aura une action qui sera médiée par de la sérotonine endogène. [6]
Conclusion
On sait que dans notre cerveau, il y a une usine pharmaceutique absolument incroyable. On peut en effet fabriquer tous les médicaments de la Création : antimitotiques, interférons, lymphocytes, antipyrétiques, somnifères, antidépresseurs ou cortisone. On est aussi capable de produire de la nicotine, de l’alcool, du LSD, du cannabis, de l’héroïne etc. On sait tout faire puisqu’on a les récepteurs pour ! Je suis maintenant persuadé que le placebo agit grâce à l’activation de la fabrication des endomédicaments et qu’un médecin qui est capable d’induire un effet placebo est donc un bon médecin. Il s’agit d’un médecin charismatique, qui croit en ce qu’il fait et qui va emmener ses patients vers la guérison sans ce gouffre de l’industrie pharmaceutique exogène.
Références
1. Levine JD, Gordon NC, Fields HL. The mechanism of placebo analgesia. Lancet. 1978;2(8091):654-7.
2. Stein DJ1, Mayberg H. Placebo: the best pill of all. CNS Spectr. 2005;10(6):440-2.
3. Benedetti F et al. When words are painful: unraveling the mechanisms of the nocebo effect. Neuroscience, 2007;147:260-271.
4. Benedetti F et al. Blockade of nocebo hyperalgesia by the cholecystokinin antagonist proglumide. Pain 1997;71 :135-40.
5. de la Fuente-Fernández R, Ruth TJ, Sossi V, Schulzer M, Calne DB, Stoessl AJ. Expectation and dopamine release: mechanism of the placebo effect in Parkinson's disease. Science. 2001;293(5532):1164-6.
6. Leuchter AF, Cook IA, Witte EA, Morgan M, Abrams M. Changes in brain function of depressed subjects during treatment with placebo. Am J Psychiatry. 2002;159(1):122.
Citer cet article: Le placebo: Comment ça marche? - Medscape - 30 oct 2015.
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