Accouchement avec cardiopathie maternelle: quelle prise en charge?

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

8 octobre 2015

Tarbes, France -- Quelles précautions prendre lors de l'accouchement d'une femme atteinte d'une pathologie cardiaque? Si la prise en charge, forcément pluridisciplinaire, varie selon les pathologies et les risques associés, l'accouchement par voie basse reste privilégié, en limitant les efforts expulsifs, ont rappelé les Drs Anita Hastoy et Daniel Fillette (CHU de Toulouse), lors d'une intervention aux 29èmes Journées Infogyn , à Tarbes.

 
Dans 30% des cas, les complications obstétricales surviennent chez des patientes atteintes d'une pathologie cardiaque -- Dr Anita Hastoy
 

« Dans 30% des cas, les complications obstétricales surviennent chez des patientes atteintes d'une pathologie cardiaque », a rappelé le Dr Hastoy. « Ces femmes sont plus à risque d'hypertension artérielle gravidique, de pré-éclampsie ou d'accouchement prématuré. Les conséquences des hémorragies du post-partum sont également redoutées. »

Jusqu'à 80% de hausse du débit cardiaque

Indéniablement, lors d'un accouchement, le système cardiovasculaire de la mère est soumis à rude épreuve, avant même le début du travail. « Dès la phase de latence, l'autoperfusion de 300 à 500 mL de sang accompagnant chacune des contractions entraine une hausse du débit cardiaque de 15% », explique la gynécologue.

Ensuite, pendant la phase de travail, « le débit cardiaque augmente de 25%, en raison des contractions rapprochées et des douleurs induites, puis de 50% pendant les efforts expulsifs. Au final, l'augmentation peut atteindre 80%, en post-partum immédiat, après la remise en circulation du sang contenu dans l'utérus ».

Dans ces conditions, il est aisé de comprendre le risque pour une femme atteinte d'une pathologie cardiaque. « La question est de savoir quelles sont celles qui vont pouvoir supporter les efforts du travail et comment », souligne le Dr Hastoy.

Premier facteur de risque : la douleur. « Elle induit une stimulation brutale du système sympathique entrainant une tachycardie, une majoration du débit cardiaque et une hausse de la consommation d'oxygène. Les cardiopathies ischémiques, les arythmies et les cardiomyopathies hypertrophiques vont mal le tolérer ».

Les insuffisances valvulaires et l'hypotension coronariennes sont, quant à elles, « plus sensibles aux vasodilatations ». Tandis que l'hypertension artérielle pulmonaire « peut s'aggraver lors des efforts de poussée avec la hausse brutale de la pression intrathoracique ».

Enfin, « l'insuffisance valvulaire va mal supporter l'hypotension et l'hypovolémie provoquées par les pertes sanguines en post-partum ».

Quatre niveaux de risque
Pour orienter la prise en charge des grossesses avec cardiopathie maternelle, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a établi quatre niveaux de risque :

- Niveau I: pas de risque de mortalité maternelle décelable, risque de morbidité absent ou léger (sténose pulmonaire, persistance du canal artériel ou prolapsus valvulaire mitral légers ou modérés, battements auriculaires/ventriculaires ectopiques isolées…)

- Niveau II: risque de mortalité maternelle légèrement augmenté, morbidité modérément augmentée (arythmies, défaut septal auriculaire ou ventriculaire non opérés, isolés ou non compliqués, légère déficience ventriculaire gauche, cardiomyopathie hypertrophique…)

- Niveau III: risque de mortalité significativement augmenté ou de morbidité sévère. L'avis d'un spécialiste est nécessaire. Surveillance intensive pendant la grossesse, l'accouchement et le post-partum (présence d'une valve mécanique, ventricule droit systémique, cardiopathies congénitales complexes…)

- Niveau IV: risque très élevé de mortalité maternelle ou de morbidité sévère. En cas de grossesse, l'avortement est à envisager. Dans le cas contraire, même suivi qu'en niveau III (hypertension artérielle pulmonaire, sténose mitrale sévère, sténose aortique symptomatique sévère, …).

Position en décubitus latéral gauche

Si les patientes à faible risque (niveaux I et II) peuvent accoucher normalement, avec l'aval du cardiologue, « les décisions concernant les femmes à plus haut risque sont à prendre, au cas par cas, en s'appuyant sur une concertation pluridisciplinaire, tout au long de la grossesse », précise le Dr Hastoy.

Dans tous les cas, la consultation avec un anesthésiste est « à prévoir dès la fin du deuxième trimestre », en raison d'une possible prématurité. Et, selon les profils, « il est conseillé d'assurer un suivi par le cardiologue tous les deux à trois mois, puis tous les mois. »

En dehors des contre-indications maternelles formelles à l'épreuve du travail (niveau IV), qui conduisent généralement à une césarienne, « l'accouchement par voie basse et sous péridurale est à privilégier », en assurant une surveillance continue, notamment par électrocardiogramme. La voie vaginale est, en effet, associée à un meilleur pronostic en cas de cardiopathie, autant pour la mère que pour l'enfant.

Pour éviter la stimulation du système sympathique, la péridurale reste une technique de choix à initier au plus tôt. « Il convient cependant de rester très prudent et de surveiller ses effets sur la pression artérielle », estime, pour sa part, le Dr Daniel Fillette. « On procédera toujours par des injections de petits volumes de produit anesthésiant ».

Laisser agir les contractions utérines

Une administration autocontrôlée par intraveineuse de remifentanil (Ultiva®, GSK) est une bonne alternative. Selon l'anesthésiste, « ce morphinique très puissant, à durée d'action rapide et brève, permet une stabilité hémodynamique, mais son administration nécessite une surveillance continue. »

 
Près de 80% des femmes avec cardiopathies accouchent aujourd'hui par voie basse et sous péridurale, sans complications -- Dr Anita Hastoy
 

Pour ce qui est des efforts expulsifs, « il est recommandé de limiter ses effets en invitant la patiente à pousser avec la glotte ouverte, avec une expiration simple, en position de décubitus latéral gauche », plus favorable au débit cardiaque, indique le Dr Hastoy. La manœuvre classique de Valsalva consistant à effectuer les poussées en bloquant sa respiration (glotte fermée) est donc à éviter.

« Les efforts expulsifs n'étant pas nécessaires pour accoucher (et contre-indiqués dans ces circonstances), il vaut mieux laisser faire uniquement les contractions. Une extraction instrumentale est alors à envisager » pour réduire la durée de l'accouchement, toujours dans l'objectif de favoriser la voie vaginale.

Conséquence de cette prise en charge adaptée: « près de 80% des femmes avec cardiopathies accouchent aujourd'hui par voie basse et sous péridurale, sans complications », précise le Dr Hastoy.

 

REFERENCE :

  1. Fillette D, Hastoy A. L'accouchement des patientes avec une pathologie cardiaque: efforts expulsifs, analgésie et autre précautions particulières éventuelles", 29èmes Journées Infogyn, 1er octobre 2015, Tarbes.

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