Dans cette 2e partie, le Dr Patrick Lemoine, psychiatre, passe en revue les études qui ont permis de mettre en évidence l’effet du placebo sur le système immunitaire, aussi bien chez l’homme que chez l’animal.

Transcription
Aujourd’hui, nous allons parler de la deuxième partie de notre série sur le placebo, à savoir les effets du placebo sur le système immunitaire.
On sait depuis plus de 30 ans que lorsqu’il y a un stress majeur, il y a un effondrement de tout le système immunitaire. C’est ainsi qu’à Boston (en 1972), il a été montré que les veufs et les veuves, 6 mois voire 18 mois après la perte du conjoint, ont une réduction du nombre des lymphocytes et le l’immunité circulante. [1] Comment peut-on expliquer cela?
Pour essayer de comprendre ce phénomène, nous pouvons regarder les études chez l’animal et voir ce qui se passe chez la souris lorsqu’elle est en situation d’attente. Imaginons donc, dans un laboratoire, un élevage de souris à qui on inflige des chocs électriques aléatoires et douloureux. Au bout d’une semaine de ce régime, les animaux tombent malades : leurs poils deviennent cassants, ils maigrissent, et ils finissent par mourir. En revanche, si chaque fois qu’il va recevoir un choc, l’animal est prévenu 5 secondes avant par un signal lumineux, on voit qu’il se prépare psychologiquement à recevoir son choc, et une semaine après, il se porte comme un charme. Le fait d’être informé qu’il va recevoir un choc fait qu’il n’a pas d’altération du système immunitaire. [2]
Toujours chez l’animal, voyons ce qui se passe chez des rats à qui on greffe une tumeur cancéreuse, par exemple de type Walker. Donc tous nos rats ont la même tumeur cancéreuse, ils sont tirés au sort et répartis en trois groupes : [3]
1. Le premier groupe est le groupe contrôle, on laisse les rats tranquilles.
2. Dans le deuxième groupe, les rats sont dans une cage dont le fond est en grillage relié à un générateur électrique. De manière aléatoire, ils reçoivent un choc douloureux dans les pattes. Ils n’y peuvent rien, ne savent pas combien de temps cela va durer, quand cela s’arrêtera, ni quand cela recommencera.
3. Dans le troisième groupe, on a le même dispositif relié au même générateur électrique, mais lorsque les rats reçoivent les mêmes chocs, ils disposent aussi d’un bouton – et ils l’apprennent très vite -- qui leur permet d’interrompre le choc chez eux et chez les rats du groupe 2.
Au bout d’un mois, tel qu’anticipé, le taux de croissance tumorale dans le groupe contrôle était autour de 50%. Dans le deuxième groupe, c’est-à-dire chez des animaux qui n’avaient eu aucun contrôle sur leur stress, le taux était de 64%. Donc le choc électrique douloureux sans contrôle est mitogène, cancérigène. Dans le troisième groupe, ce fût la surprise : le taux était de 36%. Donc on peut dire que recevoir un stress douloureux sur lequel on a un contrôle est antimitotique. Suite à ces recherches, les médias avaient d’ailleurs parlé de « bon stress ».
Bien sûr, nous ne sommes pas des rats, on peut difficilement transposer à l’homme ce qui ce passe chez l’animal. Mais chez l’homme, il y a quelques données. Par exemple, à gravité égale, chez les femmes qui ont le cancer du sein [4], il est possible d’avoir une idée assez simple du pronostic de ce cancer -- j’insiste là-dessus, les cancers du sein sont comparables aussi bien en extension qu’en malignité.
En effet, il y a deux types de réactions chez les femmes lorsqu’on leur annonce leur diagnostic : il y a celles qui s’effondrent et celles qui disent « je vais me battre ». Et comme attendu, celles qui s’effondrent, qui disent « je suis foutue », ont un pronostic nettement moins bon que celles qui disent « je vais me battre » (c’est le « fighting spirit » des Anglo-Saxons). Donc clairement, il y a un rôle pour le médecin lorsqu’il donne une information péjorative. Lorsqu’il donne en même temps un outil de contrôle (« voilà madame ce qu’il vous arrive, mais on va se battre ensemble, tel est le pronostic mais nous avons des traitements ») et informe bien les gens, non seulement c’est éthique, mais en plus, techniquement, cela améliore le pronostic et l’efficacité du traitement.
De la même manière, cela explique que le placebo est plus efficace dans les maladies dites psychosomatiques qui sont en réalité des maladies allergiques (le rhume des foins, l’ulcère à l’estomac, etc). Toutes ces maladies qui tournent autour de l’immunité sont clairement plus sensibles au placebo et à l’effet placebo. De manière générale, puisqu’au fond toute la pathologie est liée au système immunitaire, le fait de préparer les patients à ce qui va leur arriver, leur dire comment on peut se battre, est une manière extrêmement importante d’aborder la maladie pour les praticiens.
RÉFÉRENCES
1. Parkes CM, Brown RJ. Health after bereavement. A controlled study of young Boston widow and widowers. Psychosom Med. 1972;34(5):449-61.
2. Ader R. Conditioned immunomodulation: research needs and directions. Brain Behav. Immun. 2003;17:Suppl 51-7.
3. Visintainer M, Volpicelli JR, Seligman ME. Tumor rejection in rats after inescapable or escapable shock. Science 1982;216(4544):437-9.
4. Lemoine P. Le mystère du placebo. Odile Jacob (Paris), 1996
Citer cet article: Les effets du placebo sur le système immunitaire - Medscape - 29 sept 2015.
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