Nanterre, France – Faut-il, oui ou non, attendre la fin de l’instruction du dossier « Servier » traité au pénal à Paris, pour que la justice civile puisse rendre son verdict, dans le cas de deux plaintes de victimes supposées du Médiator ? C’est à cette question centrale que devra répondre la deuxième chambre du tribunal de grande instance de Nanterre, qui a pour la première fois entendu, en audience publique ce 10 septembre, les dossiers de deux demandes d’indemnisation, à la suite des préjudices supposées de la prescription du Mediator®, chez deux patients.
Devant un parterre clairsemé. Les plaignants voulaient faire reconnaître la connaissance de la « défectuosité » du benfluorex (Mediator®) par les laboratoires Servier.
La première de ces patientes, âgée de 67 ans, était défendue par Maitre Martine Verdier. Dans sa plaidoirie, Maitre Verdier a rappelé que la défectuosité du produit, le benfluorex, était connue par les laboratoires Servier depuis 1993, depuis que le « rapport Gordon, commandé par le laboratoire, leur a été remis. On sait depuis 1993 que le benfluorex est un anorexigène. Or le benfluorex a été mis sur le marché pour des problèmes de diabète, il n’a jamais été indiqué qu’il s’agit d’un anorexigène », a expliqué Maitre Verdier. On a pourtant prescrit du benfluorex à sa patiente entre 2003 et 2009.
Lien de causalité
Pour établir un lien de causalité entre la prise du Médiator et la pathologie de sa plaignante, une double valvulopathie, Maitre Verdier s’est appuyée sur deux expertises : un avis de l’Oniam relatif à une demande d’indemnisation, et un rapport d’expertise demandé par le juge des référés en 2011. L’avis de l’Oniam établit un lien de causalité entre l’insuffisance aortique et la prise de Médiator, a rappelé Maitre Verdier, tout en rejetant une partie des conclusions du rapport d’expertise judiciaire demandé en 2011, arguant de probables conflits d’intérêt du professeur en charge de cette expertise. Conséquence, l’avocate de la plaignante a demandé une nouvelle expertise médicale. « Toutefois, s’il n’y avait pas de nouvelle expertise, nous demandons une indemnité provisionnelle de 50 000 euros ». Les indemnités demandées au global s’élevant à 125 000 euros. Une telle somme, selon Maitre Verdier, est justifiée par les préjudices subies : dyspnée d’effort, déficit fonctionnel temporaire, préjudice spécifique d’anxiété…
« Pas d’imputabilité directe »
En réponse, Maitre Nathalie Carrère, conseil des laboratoires Servier, a rappelé, en préambule, qu’il n’y avait pour son client aucune opposition de principe aux demandes d’indemnisation. « Seuls 8 cas d’indemnisation problématiques ont été montés en épingle. Tous les autres avis d’indemnisation ont donné lieu à des indemnisations », a-t-elle rappelé. Sa défense fut claire : jusqu’en 2009, il n’y a pas eu « de signaux d’alerte » suffisants pour juger de la dangerosité du Mediator®.
Quant au lien de causalité entre la prise du Médiator et les pathologies de la cliente de Maitre Verdier, le conseil de Servier s’est appuyé sur le rapport d’expertise médical de 2011. Lequel établit une causalité « plausible » entre la prise de benfluorex et les valvulopathies, mais certainement pas « d’imputabilité directe et certaine ».
Demande de surseoir à statuer
Maitre Carrère a par ailleurs mis en cause la source des plaignants, à savoir le rapport de l’Igas rédigé en 2011 principalement par Aquilino Morelle, rappelant que ce dernier avait été impliqué dans un conflit d’intérêt avec un laboratoire pharmaceutique. Quant aux demandes d’indemnisation, Maitre Carrère les a rejetées, en jugeant « le préjudice peu important, car il s’agit d’une valvulopathie sans retentissement de grade 0,5 sur 4. De même la demande de nouvelle expertise n’est justifiée en rien, et si une nouvelle expertise était décidée elle ne pourrait porter que sur le préjudice permanent ». Maitre Carrère a également demandé au tribunal de Nanterre de surseoir à statuer, dans l’attente des conclusions du procès au pénal à Paris.
945 000 euros de dommages et intérêts
Maitre Joseph Oudin, avocat du deuxième plaignant, un homme âgé de 72 ans, à qui l’on a prescrit du benfluorex entre 2004 et 2009, a abondé dans le même sens que Maitre Verdier. « Nous savons depuis 1993 que le benfluorex se transforme dans l’organisme en norfenfluramine. En 1997, de ce fait, le Mediator a été retiré de la vente aux Etats-Unis. Nous connaissons en France depuis 1999 deux cas signalés en pharmacovigilance qui établissent un lien direct entre prise du Médiator®, HTAP et valvulopathie », a-t-il expliqué à la cour. Maitre Houdin a rappelé que son client avait dû subir une opération à cœur ouvert pour la pose d’une valve mécanique. En conséquence, la somme tendant à réparer les dommages et intérêts de son client est importante : 845 000 euros, auquel s’ajoute 100 000 euros pour les quatre enfants du plaignant. Maitre Carrère, avocat de Servier, a demandé, pour le calcul des dommages et intérêts, « l’application du rapport d’expertise, qui conclut à une responsabilité à 50% du benfluorex dans la pathologie du plaignant. En conséquence les dommages et intérêts ne sauraient dépasser une somme de 35 000 euros. » Le délibéré a été fixé au 22 octobre prochain.
Le point sur les procédures Deux informations judiciaires ont été ouvertes en 2011 à Paris, auprès du Tribunal de grande instance, pour « tromperie aggravée et prise illégale d’intérêt », « homicides involontaires », « escroquerie ». Plus de 300 plaintes ont été déposées. Pour les faits présumés de tromperie, escroquerie et trafic d’influence, 28 personnes, morales ou physiques, y compris l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), ont été mises en examen. Pour le volet « homicides et blessures involontaires », un rapport rendu public en avril 2013 estiment qu’entre 1300 et 1800 personnes sont mortes des suites de la prescription du Mediator®. Aucune date n’a été fixée pour les deux volets de ce procès. Au pénal à Nanterre, 700 victimes ont décidé de lancer une procédure accélérée, en citation directe. Mais en mai 2013, le tribunal de Nanterre s’est jugé incapable de juger cette affaire, sans le dossier de l’instruction menée à Paris. Devant des juridictions civiles, quelque 500 demandes d’expertises en référé ont été déposées, pour une demande d’indemnisation. C’est dans ce cadre que les juges de Nanterre ont entendu ce 10 septembre les deux premiers plaignants, sur le fondement de la défectuosité du Mediator®. Une soixantaine de dossiers doivent être traités par la justice civile à Nanterre. Par ailleurs, les victimes supposées du Mediator® peuvent demander également réparation auprès du fonds public d’indemnisation des victimes du Mediator® sous la responsabilité de l’Oniam. |
LIENS |
Citer cet article: Jean-Bernard Gervais. Mediator : la justice civile met son nez dans le dossier Servier - Medscape - 14 sept 2015.
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