Dans cette première partie d’une série de quatre, le Dr Patrick Lemoine (psychiatre, Lyon) présente les origines anciennes du placebo.
Retrouvez la transcription de cette présentation avec notes de l’éditeur et de l’auteur sous la vidéo.

Bonjour, je suis Patrick Lemoine, psychiatre et également écrivain. J’ai beaucoup travaillé sur la question du placebo et aujourd’hui je vais vous parler des origines anciennes du placebo.
Depuis les origines, la médecine, au moins occidentale, n’a été qu’une placebothérapie. Sur les 750 substances thérapeutiques listées dans le code de Hammurabi ([N.D.E.] ≈1750 av. J.C.), seule une a survécu : le pavot, c’est-à-dire la morphine. Mais la placebothérapie fonctionne.
Dans l’Évangile, qui s’est surtout occupé d’ophtalmologie, de dermatologie et un peu de psychiatrie, on trouve des fabrications placebo. Par exemple on pouvait, avec de la poussière et de la salive, faire un emplâtre sur l’œil pour guérir les trachomes (Évangile selon Jean, chap. 9).
Le mot « placebo » a une origine tout à fait intéressante. C’est une origine religieuse. On le trouve dans la vulgate de Saint-Jérôme (IVe siècle après J.C.), qui est la traduction en langue vulgaire, c’est-à-dire en latin, de la Bible depuis le grec. [1]
Aussi, les vêpres des morts disaient « placebo Domino in regione vivorum » (« je plairai au Seigneur au pays des vivants »). Et on ne sait pas pourquoi, mais ce mot « placebo » était très populaire au Moyen Âge, et tout le monde chantait à « placebo » lorsqu’il y avait des vêpres d’enterrement. Les pleureuses étaient souvent appelées des « placebos ».
La société s’est peu à peu laïcisée et rapidement ce terme de placebo est devenu péjoratif parce qu’il ne s’agissait plus de plaire au Seigneur avec un grand « S », mais au seigneur avec un petit « s ». Et donc le mot placebo est devenu synonyme de courtisan, flagorneur. Dans les cours de récréation, en Normandie par exemple, ce qu’on appelle aujourd’hui un « fayot », était traité de « placebo ». [2]
[N.D.E.] Dans Marnix Differens II, III, 1 (1603), on trouve : « Il semble qu’il les voudrait un petit flagorner et oindre les moustaches de miel pour leur faire du placebo et faigner leur bonne grâce. »
Et puis au XVIIIe siècle, ce terme de placebo a quitté la Cour pour arriver enfin en médecine. Selon moi, ce terme de placebo aurait été exporté de la Cour à la médecine par mon maître, François Rabelais. [N.D.A.] S’inspirant d’Hippocrate, il expliquait que la médecine est un drame joué à trois personnages : le médecin, le malade et la maladie. Mais que si le minois du médecin était « chagrin, tétrique, catoniant, malcontent… », le remède risquait de ne pas fonctionner. Alors que si le minois du médecin était plaisant, si le médecin était « complaisant » (qui veut dire « se plaire avec »), le médicament risquait d’être efficace. [3]
Alors bien sûr, ces origines sont un peu sulfureuses puisque on parle de la Bible, de médicaments inefficaces et de traitements qui marchent uniquement par la pensée. Le placebo est donc resté longtemps péjoratif. Dans le Larousse, jusque dans les années 60, il n’est qu’un courtisan-flagorneur. Mais le placebo a acquis sa respectabilité scientifique grâce aux études en double aveugle versus placebo. Les recherches ont alors pu commencer et le placebo fait désormais l’objet de toute demande de mise sur le marché.
Mais attention : d’un point de vue historique, le placebo peut être très mal utilisé. Il existe des dérives sectaires (avec des trances collectives, des administrations très fortes de placebo etc.) qu’il faut éviter à tout prix. Il est possible que dans le futur on découvre une vraie respectabilité scientifique du placebo puisque l’on sait maintenant qu’il fonctionne en incitant le cerveau à fabriquer des « médicaments » adéquats.
Enregistré le 28 mai 2015, à Paris
Références
1. Finniss D et al. Biological, clinical and ethical advances of placebo effects.Lancet, 2010,375, 686-95
2. Lemoine P — Le mystère du placebo. Odile Jacob (Paris), 1996
3. François Rabelais - Préface du Quart Livre Pantagruel. VIe siècle. ("Le minoys du médecin chagrin, tétrique, rébarbatif, catoniant, malplaisant, malcontent, sévère, rechigné, contriste le malade, et du Médecin la face joyeuse, sereine, gracieuse, ouverte, plaisant, resjouit le malade... »)
Citer cet article: Placebo : Les origines - Medscape - 11 sept 2015.
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