Insuffisance cardiaque : traiter les apnées centrales du sommeil par ASV est délétère

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

3 septembre 2015

Londres, Royaume-Uni – Les résultats négatifs et totalement inattendus de certaines études, allant à l’encontre du rationnel, changent parfois la donne et les pratiques cliniques. C’est indiscutablement le cas de l’étude SERVE-HF, dont les résultats définitifs ont été présentés lors du congrès de l’European Society of Cardioloy ESC 2015 et publiés concomitamment dans le NEJM [1,2].

 
Cette étude a changé notre compréhension des apnées du sommeil dans l’insuffisance cardiaque – les manuels vont devoir être ré-écrits -- Pr Martin Cowie
 

« Cette étude a changé notre compréhension des apnées du sommeil dans l’insuffisance cardiaque – les manuels vont devoir être ré-écrits. Les médecins savent désormais qu’un traitement par ventilation asservie pour traiter l’apnée centrale du sommeil n’aide pas ces patients et peut même leur faire du tort » a déclaré le Pr Martin Cowie, co-investigateur principal de l’étude et professeur de cardiologie à l’Imperial College de Londres.

En effet, contre toute-attente et alors que de petites études et quelques méta-analyses avaient montré une amélioration des marqueurs (concentration plasmatique de peptide natriurétique (BNP), fraction d’éjection ventriculaire gauche, qualité de vie, résultats fonctionnels et mortalité) chez des patients avec une IC à FEVG altérée traités par ventilation auto-asservie pour leur apnée centrale, l’étude SERVE-HF n’a pas satisfait à son critère d’évaluation principal, loin de là.

« Néanmoins, cette étude fournit d’importantes informations, susceptibles de modifier la pratique, sur la façon d’améliorer le traitement des personnes souffrant d’insuffisance cardiaque chronique. Nous savons à présent que le traitement par ventilation auto-asservie (ASV) ne doit pas être utilisé pour traiter l’apnée centrale du sommeil chez les personnes présentant une insuffisance cardiaque chronique symptomatique avec fraction d’éjection altérée » considère le Pr Cowie.

Arrêt prématuré de l’étude et alerte : rappel des faits
Pour mémoire, SERVE-HF (www.controlled-trials.com; ISRCTN19572887) est un essai contrôlé, randomisé, multicentrique et international de phase IV, avait pour objectif de déterminer si le traitement de l’apnée centrale du sommeil prédominante modérée à sévère par ventilation auto-asservie (Auto Set CS™; ResMed) pouvait réduire la morbi-mortalité chez les patients présentant une insuffisance cardiaque chronique symptomatique avec un traitement médical optimisé. L’étude a inclus 1325 patients insuffisants cardiaques (NYHA classe II à IV), dont la fraction d’éjection ventriculaire gauche était ≤ 45 %, porteurs d’un syndrome d’apnées du sommeil modéré à sévère (index d’apnées – hypopnées, IAH > 15/h), majoritairement central (≥50% apnées – hypopnées centrales et IAH centrales ≥10/h), et comparait deux groupes :

-un groupe sous traitement médical optimal de l’IC

-un groupe sous traitement médical optimal de l’IC, traités par ASV à raison de 5 heures par nuit, 7j/7.

Le critère d’analyse composite principal était le délai de survenue de l’un des évènements suivant : mortalité toute cause, hospitalisation non planifiée pour aggravation de l’IC, intervention susceptible de sauver la vie du patient (transplantation cardiaque, choc approprié dans le cas où le patient est porteur d’un défibrillateur implantable).

L’augmentation de la mortalité toute cause et de la mortalité cardiovasculaire constatée dans SERVE-HF a conduit à l’arrêt prématuré de l’étude [3] et ResMed®, promoteur de l’étude, a lancé, le 13 mai 2015, une alerte auprès des autorités de santé, concernant le traitement par ventilation servo-adaptée des apnées du sommeil centrales (SASC) des patients insuffisants cardiaques (IC) systoliques.

En pratique l’utilisation d’une ventilation servo-adaptée chez l’insuffisant cardiaque systolique (FEVG ≤ 45 %) symptomatique (NYHA II à IV) avec apnées centrales majoritaires, est désormais contre-indiquée [4].

Résultat inattendu

Dans cet essai, non seulement aucune différence n’est apparue sur le critère primaire après 31 mois de suivi entre le groupe ASV et le groupe contrôle (54,1% et 50,8% respectivement) avec un risque relatif de 1,13 [IC95% : 0,97 to 1,31; P=0,10]. Mais la mortalité toute cause et la mortalité cardiovasculaire étaient significativement augmentées dans le groupe ASV par rapport au groupe contrôle (34,8% versus 29,3%, RR : 1,28 ; p=0,01 et 29,9% versus 24,0%, RR : 1,34 ; P=0,006). Avec un signal plus fort sur le critère primaire chez les patients avec une respiration de Cheyne–Stokes sévère que chez les patients moins atteints. De même, un risque de décès cardiovasculaire était d’autant plus accentué que la fraction d’éjection était basse.

Par ailleurs, aucun bénéfice de la SAV n’a été mis en évidence sur la qualité de vie, les symptômes de l’insuffisance cardiaque et l’activité physique (test des 6 minutes de marche).

« Ce résultat sur l’augmentation de la mortalité était totalement inattendu, et les raisons restent à ce jour inconnues », a expliqué le Dr Cowie. Deux explications sont avancées, l’une serait que l’apnée centrale relève d’un mécanisme adaptatif qui repose les muscles respiratoires et module l’activité sympathique excessive du système nerveux. En en diminuant les effets, l’ ASV serait donc délétère. L’autre explication est que la pression positive impacterait négativement la fonction cardiaque, mais les études sur ce point sont contradictoires.

Précisons que l’incident de sécurité constaté dans SERVE-HF a été observé uniquement avec l’utilisation du traitement par ASV chez les patients présentant une apnée centrale du sommeil prédominante modérée à sévère et non une apnée obstructive du sommeil ET une insuffisance cardiaque chronique symptomatique avec fraction d’éjection altérée.

L’étude n’a inclus aucune autre modalité de traitement telle que la ventilation par pression positive continue (CPAP) ou par pression positive auto-pilotée (auto-PPC).

Dans l’éditorial qui accompagne l’article Ulysses J. Magalang et Allan I. Pack s’interrogent sur la spécificité même de l’appareil d’ASV utilisé dans l’étude et conseillent en attendant les résultats d’une autre étude utilisant un autre appareil (ADVENT-HF; ClinicalTrials.gov number, NCT01128816) que la ASV ne soit plus utilisée en dehors d’études cliniques chez les patients insuffisants cardiaques présentant une apnée centrale du sommeil [5].

L’étude SERVE-HF a été financée par ResMed Ltd.
Le Pr Cowie a notamment reçu des fonds de recherché et des honoraires de consultant de la part de ResMed Ltd.

 

REFERENCES :

  1. Cowie MR. Treatment of sleep-disordere breathing with predominant central sleep apnoea by adaptative servo ventilation in patients with heart failure and reduced ejection fraction (SERVE-HF), 1er septembre, ESC 2015.

  2. Cowie MR, Woehrle H, Wegscheider K et al. Adaptive Servo-Ventilation for Central Sleep Apnea in Systolic Heart Failure. NEJM, September 1, 2015 DOI: 10.1056/NEJMoa1506459

  3. ResMed publie un état des lieux de l’étude SERVE-HF de ResMed - SERVE-HF phase IV sur le traitement par ventilation auto-asservie (ASV) en cas d’apnée centrale du sommeil et d’insuffisance cardiaque chronique, communiqué ResMed, 13 mai 2015.

  4. SERVE-HF© : quelle conduite à tenir dans la suite immédiate des premiers . Communiqué commun SFMRS et Groupe Sommeil SPLF, 19 mai 2015.

  5. Magalang UJ, Pack AI, Heart Failure and Sleep-Disordered Breathing — The Plot Thickens, NEJM, September 1, 2015 DOI: 10.1056/NEJMe1510397

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