Boston, Etats-Unis — Aux urgences, une concentration élevée de troponine T permet d'identifier les patients souffrant d'un syndrome coronarien aigu (SCA) et de les orienter vers une revascularisation rapide. Mais, avec l'arrivée des dosages ultra-sensibles de la troponine, des faibles augmentations du biomarqueur ont aussi été détectées chez les coronariens stables.
Dans une nouvelle analyse de l'essai Bypass Angioplasty Revascularization Investigation in Type 2 Diabetes (BARI-2D), le Dr Brendan Everett (Brigham and Women's Hospital, Boston, Etats-Unis) et coll. ont donc émis l'hypothèse qu'une augmentation de la troponine chez des patients à la fois coronariens stables et diabétiques de type 2 était corrélée à un sur-risque cardiovasculaire, et que ces patients pourraient tirer bénéfice d'une revascularisation rapide [1].
Les résultats de cette analyse, publiés le 13 août dans le New England Journal of Medicine, confirment que chez ces patients, l'augmentation de la troponine est effectivement associée à une élévation du risque d'infarctus du myocarde, d'AVC ou de décès (critère primaire composite).
En revanche, chez les patients dont les concentrations de troponine sont supérieures ou égales à 14 ng/L, la revascularisation n'abaisse par le risque cardiovasculaire à 5 ans par rapport au traitement médical (randomisation 1:1, RR=0,96 ; IC 95% [0,74 à 1,25]).
Une troponine élevée chez 40% des coronariens stables
Dans l'essai BARI-2D, sur les 2285 patients coronariens stables et diabétiques de type 2 inclus dans l'analyse, près de 40% ont des concentrations de troponine anormales (≥14 ng/L).
En outre, à 5 ans, 27,1 % de ces patients ont été victimes d'un événement cardiovasculaire (décès de cause cardiovasculaire, infarctus du myocarde ou AVC) contre 12,9 % des patients avec des concentrations de troponine normales (p<0,001).
Le taux de mortalité toutes causes est de 19,6% dans le groupe à la troponine élevée contre 7,1% chez les patients avec ou sans élévation de la troponine (p<0,001).
Après ajustement pour les facteurs de risque cardiovasculaire classiques et les caractéristiques cliniques, le risque de mortalité cardiovasculaire, d'infarctus du myocarde ou d'AVC est 85% supérieur à 5 ans chez les patients qui avaient une troponine élevée vs ceux qui avaient une concentration de troponine normale (p<0,001).
Aussi, après randomisation pour recevoir une revascularisation ou un traitement médical, il apparait que « ni le pontage, ni la pose de stent n'a amélioré le pronostic des patients coronariens stables avec une concentration de troponine anormale, et que l’une ou l’autre intervention n’a pas n'ont pas non plus fait baisser les taux de troponine », déplore le Dr Everett, interrogé par Medscape.com.
Une concentration élevée de troponine d'origine inconnue
A ce stade, les chercheurs ignorent l'origine des concentrations anormales de troponine chez ces patients coronariens stables et diabétiques de type 2.
Le Dr Everett suggère que l'hypertension, l'hyperglycémie et peut être la dyslipidémie (tous les stress métaboliques et cardiovasculaires qui agissent sur le coeur) pourraient contribuer à l'élévation de la troponine, mais il précise qu'il ne s'agit là purement d’hypothèses.
« L’insuffisance cardiaque et le SCA sont des entités distinctes », souligne-t-il.
Dans un éditorial accompagnant l'article [2], les Drs Chiara Melloni et Matthew T. Roe (Duke Clinical Research Institute et
Duke University Medical Center , Durham Etats-Unis), indiquent que les mécanismes physiopathologiques qui contribuent à l'élévation de la troponine chez les patients coronariens stables doivent être recherchés à l'aide de l'imagerie, notamment de l'IRM cardiaque et de l'imagerie de la plaque d'athérome mais aussi par l'utilisation de biomarqueurs qui reflètent l'activité des plaquettes et de la coagulation.
En pratique ?
« Je ne recommanderais pas [le dosage de la troponine T chez les patients coronariens stables] en routine avant que nous ayons trouvé une façon d'abaisser le risque que nous constatons », explique le Dr Everett.
Pour les Drs Melloni et Roe, d'autres études devront également être menées pour déterminer si les patients coronariens stables ayant des concentrations élevées de troponine tirent plus de bénéfices des traitements actuellement recommandés pour ces pathologies comme les thérapies antiplaquettaires et les statines.
En parallèle, les éditorialistes soulignent que le seuil de 14 ng/L correspond à celui du SCA, et que celui à partir duquel le risque cardiovasculaire augmente chez les coronariens stables reste à préciser.
Enfin, ils notent que la forte prévalence de la troponine élevée chez les patients coronariens stables peut mener à des faux diagnostics de SCA. Les patients coronariens se présentant aux urgences pour une douleur thoracique peuvent être diagnostiqués avec un SCA juste sur la base d'une troponine ≥ 14 ng/L.
Lorsque la troponine est élevée chez un patient coronarien stable, ils recommandent donc, d'une part, un second dosage de la troponine et d'autre part, de porter une attention particulière à l'historique du patient.
Selon eux, « la façon d'utiliser les dosages ultra-sensibles de troponine chez les coronariens stables reste à préciser mais les données dont nous disposons montrent que les valeurs de la troponine cardiaque pourraient être utilisées en routine pour stratifier le risque cardiovasculaire chez l'ensemble des patients coronariens ».
L'étude BARI-2D a été financée par le National Institutes of Health et Roche Diagnostics. Le Dr Everett a reçu des financements de Roche et de Novartis et une compensation financière de Genzyme pour sa participation à un comité sur les incidents cliniques. |
REFERENCES :
Everett BM, Brooks MM, Vlachos HE, et al. Troponin and cardiac events in stable ischemic heart disease and diabetes. N Engl J Med 2015; 373: 610-20. DOI: 10.1056/NEJMoa1415921.
Melloni C, Roe MT. Cardiac troponin and risk stratification in ischemic heart disease. N Engl J Med 2015; 373: 672-674. DOI: 10.1056/NEJMoa1506298.
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Citer cet article: Aude Lecrubier. La troponine marqueur du risque cardiovasculaire chez les coronariens stables - Medscape - 24 août 2015.
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